Texte : Morgan Couturier. À trois jours du premier tour de l’élection présidentielle, la polémique sur le recours massif aux cabinets de conseil, dont McKinsey, alimente le débat politique. Jusqu’ à Lyon, où les opposants comme les soutiens au candidat Macron, livrent leur vérité sur l’affaire. Avec quelles conséquences ? Réponse dans les urnes, dès ce dimanche 10 avril.
Le scénario était prévisible, presque écrit à l’avance, mais alors que le mercredi sert d’ordinaire à promouvoir de nouveaux films, le monde de la politique a souhaité apporter un nouvel opus à sa collection de blockbusters, à ces affaires d’Etat éclatant à quelques jours des joutes électorales. Avec son lot de victimes et son héros final, applaudi au générique de fin. Après avoir endossé le premier rôle en 2017, voilà donc le Président sortant, Emmanuel Macron, contraint d’endosser un nouveau costume et d’incarner le rôle peu enviable de l’accusé, dévolu à François Fillon, il y a 5 ans.
Du méchant en l’occurrence, alors qu’un rapport sénatorial publié mi-mars, lui incrimine un important recours aux cabinets de conseil, dont celui de McKinsey, à qui l’Etat aurait versé près d’un milliard d’euros en 2021 pour leurs précieuses recommandations (893,9 millions d’euros, selon certaines sources, contre 379,1 millions en 2018, ndlr). Un avis externe, généreusement facturé, que l’opposition peine à accepter, et ce, même si le recours à ces cabinets de conseils n’est pas une nouveauté, les précédents présidents utilisant également ces sociétés de consulting.
« Le président a fragilisé l’organisation de notre démocratie »
« Avoir un cabinet de conseil n’est pas un mal en soi. Ça ne me pose pas de problème, même si la fonction publique a quand même des gens de très fort calibre. Je suis étonné qu’on n’ait pas utilisé ces réserves. Le Parlement n’a pas eu son mot à dire. On aurait pu nous consulter. Mais le Président se défie des élus locaux et des contre-pouvoirs. Il a fragilisé l’organisation de notre démocratie », soutient Philippe Cochet, maire LR de Caluire-et-Cuire.
Un son de cloche partagé par le maire du 6e arrondissement de Lyon, Pascal Blache, également candidat aux prochaines législatives. Pour ce dernier, l’impair vient à se cacher dans la surexploitation de ces cabinets, au détriment des fonctionnaires déjà existants. Des hauts fonctionnaires souvent très bien payés, auxquels viennent se rajouter les honoraires de McKinsey et consorts. « Un lourd tribut, alors que la crise actuelle impose aux Français de nouvelles économies, de gaz, d’électricité ou de carburant ».
Une affaire symptomatique d’une haute fonction publique à revoir ?
« Utiliser ces structures pour affiner, ce n’est pas un problème. Mais là, le montant est important ! Pourtant, dans chaque ministère, des hauts fonctionnaires ont pour rôle d’apporter des conseils précis. Ce qui me gêne, c’est ce cumul. On finance des commissaires généraux, on ne tient pas compte de leur avis et on vient superposer à cela, des cabinets de conseils comme McKinsey. Il y a un problème ! Soit c’est une question de confiance, soit ce système est obsolète », rapporte Pascal Blache.
Si l’édile lève là, une vraie problématique de fond, les soutiens au candidat Macron voient surtout dans cette polémique, une tentative de déstabilisation, une brèche à entrouvrir pour tenter de faire chuter le président sortant, donné largement favori des bookmakers. « Le cabinet McKinsey est utilisé depuis des années. Mais il faut trouver quelque chose. Le problème, c’est qu’il n’y a pas grand-chose d’autre pour faire bouger les lignes. Alors on essaye d’aller chercher quelque chose d’embêtant. Mais au final, tout cela pollue le débat démocratique », défend le conseiller municipal, Yann Cucherat.
« Un scandale d’Etat » pour Eric Pelet
En effet, si le montant des dépenses, chiffré à « 0,3% de la masse salariale de l’Etat », peut alimenter la thèse d’une « récupération politique », certains détails de l’affaire tend à nourrir les attaques de l’opposition. Dont Reconquête représenté par l’avocat Eric Pelet, porte-parole d’Éric Zemmour dans le Rhône, pour qui « McKinsey est un scandale d’Etat qui en regroupe quatre ». « Cette affaire donne une vision de l’Etat incapable de faire le travail. Ça dégage une forme d’amertume. On doute. Ça aurait pu être organisé en interne sans difficulté, mais non », glisse-t-il. Pour quelles raisons ? Un renvoi d’ascenseur, évoque Eric Pelet, lequel soutient l’idée d’une influence manifeste des collaborateurs de McKinsey lors de la campagne de 2017.
« Lors de la présidentielle 2017, ils ont travaillé gratuitement pour Emmanuel Macron, ce qui est illégal. Toutes les dépenses doivent être comptabilisées dans les comptes de campagne », poursuit Eric Pelet, ce dernier regrettant également « l’optimisation fiscale », faite par la société américaine, accusée de ne pas payer ses impôts sur le sol français. « Ça mériterait une enquête ! On sait aussi que Victor Fabius est directeur associé de McKinsey France et donc de fait, son père, Laurent Fabius, en tant que président du Conseil constitutionnel, a validé toutes les procédures médicales votées dans des lois d’urgence », avance encore le porte-parole d’Éric Zemmour.
Quel impact dans les urnes ?
Un potentiel conflit d’intérêts que les faits ont finalement réfuté. Bien que Laurent Fabius ait été chargé de valider ou non la mise en place d’un outil de contrôle de la vaccination, l’appel d’offres fut à la charge de la Direction générale de la Santé et non du Conseil constitutionnel. Reste que tous ces éléments mis bout à bout, la question d’un possible renversement de l’opinion publique fut soulevé. Une hypothèse loin d’être approuvée par les protagonistes interrogés, y compris par Eric Pelet, conscient « qu’une grande majorité de la population n’est pas au courant de cette affaire ». Néanmoins le président sortant a perdu 2 points dans les sondages depuis la révélation de cette affaire.
« Ce n’est pas une bonne séquence pour lui », avoue Pascal Blache, dubitatif sur le réel impact de cette affaire. « Les gens décideront. Il faudra regarder l’efficacité du Président pendant cette crise. Nous, on n’a pas oublié », affirme de son côté, Philippe Cochet. Seul partisan du candidat Macron à avoir répondu à nos questions, Yann Cucherat se veut lui, évidemment plus confiant. À moins que ce « scandale » ne fasse le jeu de l’abstention et par ricochet, « le jeu des extrêmes ». « Je peux vous dire que le Président est droit dans ses bottes. Mais les gens ne savent pas s’ils vont aller voter. Ce genre d’affaire peut inciter d’autres personnes à ne pas se rendre aux urnes. Pour autant, il n’y a que lui qui incarne le bon positionnement de la France dans l’Europe », avance l’ancien gymnaste, en guise de teaser. Réponse à la fin du film, le 24 avril prochain, au soir du 2e tour !
* Thomas Rudigoz et Gérard Collomb n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview
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