Texte : Morgan Couturier – Alors que Lyon berce paisiblement dans le silence, les Halles Paul Bocuse laissent entrevoir au petit matin, toute une organisation invisible du grand public. De la réception des marchandises jusqu’à la mise en place des stands, chaque commerçant tient une routine bien à lui, que nous avons eu la chance d’observer.
Jacques Dutronc avait beau ne plus avoir sommeil, percer l’obscurité est un défi bien compliqué à relever, lorsque que l’horloge affiche péniblement cinq heures à son chronomètre. Pour beaucoup d’ailleurs, les paupières y sont encore lourdes, sans qu’aucun hypnotiseur ne nous ait invités à les fermer. Mais qu’importe, le métier ne laisse guère le choix. Il faut trouver sa route.
Celle menant aux Halles de Lyon Paul Bocuse. Une première escapade, alors que le site revêt une robe noire. Sombre. Pire, alors que la devanture se lit péniblement, un premier piège se dresse au moment de tracer son chemin et de trouver l’entrée. Pour une simple raison : seules les portes de la rue Garibaldi daignent s’ouvrir à partir de 4h30 ! Une fois entré, les allées se présentent alors comme rarement, à savoir silencieuses et inéclairées.
On y décèle aucune silhouette, sinon quelques bruits, indéfinissables. Puis vint le temps des premières arrivées. 5h05 : une heure miroir pour de premières voix. Celle d’Éric Giraud (Chez Antonin) en l’occurrence, débarqué en trottinette en même temps que son chef Kaïs Tersim. Et cette première question, sitôt le rituel de l’installation des deux chaises pour le café, effectué : « Les huîtres sont-elles arrivées ? ». « Pas encore », répond rapidement le gastronome, une fois les sous-sols examinés.
Une bizarrerie, alors qu’en temps normal, les premières palettes de produits arrivent dès l’ouverture des portes. « Il suffit que vous veniez pour qu’ils soient en retard. Vous portez la poisse », en rigole Eric Giraud, rompu à l’exercice depuis 32 ans. De quoi lui donner le temps d’expliquer toute la routine. Son rituel.
« Là, j’ai commandé hier matin (le mardi pour le jeudi, avant un gros arrivage le samedi, nldr). Généralement, on sait ce que l’on veut, même si de temps en temps, le grossiste me dit : ‘‘j’ai cela, est-ce que cela t’intéresse’’ », raconte l’une des figures de ce lieu emblématique, alors que la réception des crevettes, huîtres et autres oursins, se fait désirer. Les Halles, elles, ne patienteront pas.
5h30 pétantes : de nouveaux engins à roulettes percent la nuit pour remplir les allées. Les commerces s’illuminent enfin. Les remue-ménages souterrains se font de plus perçants. Il est temps de descendre. De plonger dans le « ventre de Lyon » pour découvrir son for intérieur. Et là, surprise ! Des allées aussi grandes que la partie émergée de l’iceberg, le côté accueillant en moins, chaque enseigne détenant son box, désigné par une pancarte digne d’une porte de prison.
Monsieur Paul, en son temps, venait y faire son marché et boire son café
Là n’est pas l’essentiel. On se laisserait volontiers enfermer. On peut y boire un verre avec les employés de la maison Massot, ou voir défiler une sublime carcasse de viande siglée Trolliet. Plus loin, les poissonneries Pupier et Durand lèvent leurs premiers filets. Du saumon et du bar sont déjà arrivés. Mais le reste se fait désirer. Jusqu’à la libération : l’arrivée des premiers camions.
Alors qu’à l’étage, la mère Renée Richard et son équipe s’attèlent au déballage des fameux Saint-Marcellin et à la préparation d’une commande de fromage à raclette, les sous-sols s’activent alors enfin. On voit débarquer le logo de Marguin Marée. Le grossiste vient livrer la maison Merle.
Puis Éric Giraud, content comme un enfant à Noël, au moment de découvrir sa commande. Ce jour, quinze caisses de deux kilos de crevettes de Madagascar (cuites à Marseille ou à Nantes puis transportées à Corbas) ont fait le déplacement. Tout autant de bulots. Puis vint un autre camion, bien plus chargé.
Pour Eric Giraud, c’est la découverte de somptueuses langoustes, ô combien remuantes, malgré l’horaire prématuré et un périple de plusieurs kilomètres depuis le Finistère. « Elles sont belles ! Là, c’est Rosalie. Elle, c’est Gertrude, et ici, Eva », s’amuse l’écailler. Avant de poursuivre, et de reprendre son sérieux devant le ballet de transpalettes présenté devant lui : « On a 5 ostréiculteurs dans tout l’Atlantique pour les huîtres et trois fournisseurs pour les coquillages ».
Le « village de Gaulois » étale enfin toute sa grandeur. Les étals se remplissent, se décorent. On parfait la présentation chez Durand. Chez Trolliet, on bichonne les commandes déjà enregistrées. Las, l’heure tourne. « À l’époque, à cette heure, Monsieur Paul venait boire son café », raconte-t-on. Un instant de répit impossible pour la maison Rousseau, tant le retard pris dans les livraisons pousse à la hâte ce jour-là. Il faut ouvrir les huîtres avant l’arrivée des premiers clients, tout en réceptionnant les derniers colis.
À commencer par les crevettes, fournies par la maison Durand, en guise d’accord gagnant-gagnant de non-concurrence. Tout est fin prêt. À 7h, les Halles de Lyon Paul Bocuse s’ouvrent en grand. Pour Thomas Vedrine (Baba la Grenouille), le signal est lancé. Place aux premières cuissons. Des… calamars pour commencer. Les amphibiens tant convoités attendront leur tour et les premières commandes. On débute par un café. Un petit mot pour les habitués.
Chez Antonin, les langoustes ont fini de bronzer. Les voilà cuites, prêtes à être exposées. Il en va de même des poissons chez Durand. Ou des « fruits de la mer » pour la Maison Rousseau. Le temps passe vite quand on s’amuse. Entre-temps, le jour s’est levé sur une nouvelle journée. Longue et harassante à n’en pas douter, mais diablement passionnante. Sortez les couverts, place aux dégustations !
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