Lyon. La disparition de Gérard Collomb

25 novembre, 2023 | Actualités People Lyonnais | 1 commentaire

Texte : Philippe Lecoq – Gérard Collomb, 76 ans, maire honoraire de notre cité, a rendu les armes. Ainsi soit-il.

Son cancer de l’estomac, révélé sur notre antenne en septembre 2022, « un cancer sournois » avait-il alors prévenu, l’a terrassé. Si vite, déjà. A Camille, Clémence, Anne-Laure, Alexandre et Thomas, ses enfants, et à ses plus fidèles amis, Lyon People présente ses sincères condoléances. Nous partageons leur douleur, vraiment.

Car nous aussi avons fait un bout de chemin avec lui. Et apprécié l’homme. Un chemin parallèle, sans doute, avec la prudence qui convient dans les relations entre un élu et la presse, avec une certaine retenue dans le verbe et la confidence…

Pour nous, journalistes, c’est le maire réélu trois fois, le sénateur, le député en 1981, le conseiller régional sans doute et peut-être aussi départemental, on s’en moque aujourd’hui, c’est le ministre d’État – « le premier des ministres » du premier gouvernement Macron avait justement titré Le Progrès – que nous avons côtoyé, suivi en campagnes, en meeting, c’est l’élu que nous avons interviewé, analysé, critiqué parfois.

Mais l’élu ne porte pas toujours son armure. Et le journaliste son stylo. Il y a eu des rires, fous parfois, des engueulades, c’est le mot, des échanges en off, riches souvent, qui ont marqué plus d’un confrère à Lyon People et ailleurs.

Alors, pour lui rendre hommage, ou plus simplement évoquer le personnage, quelques saynètes vécues ensemble.

Un déjeuner en terrasse, place Morand ou Lyautey, quelques semaines après l’échec de 2020. Gérard Collomb arrive à pied, en retard, et s’installe vite à table. Le temps de saluer les patrons du resto – fiers de le recevoir, et de tomber la veste, les tables voisines commencent à chuchoter ; les plus hardis se lèvent et viennent, presque en file indienne, le saluer. Juste un mot, une phrase, des mercis, des regrets de n’avoir pas voté… L’ancien maire sourit, apprécie, pour un peu il signerait des autographes. Il profite. Il fait beau, il est chez lui, à Lyon, et les Lyonnais viennent à lui. Là, malgré la mairie perdue, son engagement pour sa ville, les combats, les heures passées, tout prenait sens. Et personne ne lui donne du « Monsieur le ministre », non, juste « Monsieur le maire », le titre le plus apprécié des Français.

Comme les barons Gaudin à Marseille ou Frêche à Montpelier, Gérard Collomb a grandi avec sa ville, jusqu’à l’incarner.

Un autre rendez-vous, petit-déjeuner vers l’Hôtel-Dieu, où nous n’avons pas évoqué le flop de la cité de la gastronomie. Le maire n’est plus maire, mais en sortant il est happé par deux personnes âgées qui tiennent à le saluer. Les deux groupies parlent fort, ce qui n’échappe pas à un groupe de collégiens, une vingtaine, qui sort de l’ancien hôpital. Les vingt gamins se précipitent alors sur Gérard, qui serre des mains à tour de bras, souriant là encore jusqu’aux oreilles. « C’est Collomb, c’est Collomb ! » et de le mitrailler avec leurs portables. Du Bonheur. Et cette phrase, avec un clin d’œil : « ils auraient mieux fait de dire à leurs parents de bien voter ».

Juste deux confidences au cours du déjeuner, sans doute plus encore, mais les off doivent le rester.

Devenu orphelin de chauffeur et de voiture de fonction, l’ancien maire avait investi dans une Renault genre Grand Scenic, « pratique pour les filles », un paquebot. Hélas, manque de pratique au volant, il explose un pneu de la voiture neuve jante comprise dans une entrée de parking à Confluence… Et de confier en riant – comme un enfant qui fait une boulette, vraiment – avoir été bien désarmé de ce qu’il faut faire en pareil cas.

Le ministère de l’Intérieur ce n’était pas son choix, mais celui du Président. Colomb aurait préféré un maroquin plus proche de ce qu’il connaissait par cœur : le territoire, son aménagement, les collectivités territoriales. Mais on ne dit pas « non » au Président qui souhaitait peut-être marquer sa reconnaissance par ce ministère régalien, où l’on place les plus fidèles.

Pour faire taire les critiques, notamment sur son âge et son inexpérience, le ministre a multiplié les sorties sur le terrain, jour et nuit, et les heures de travail sur dossiers. Sans repos en fin de semaine, puisqu’il revenait pratiquement chaque week-end humer l’air de Lyon, et, surtout, profiter de sa famille laissée pour la cause entre Rhône et Saône.

Il confiera plus tard à Lyon People avoir « peut-être fait une erreur en allant à Paris ». Mais comment abandonner son poulain quand il vous appelle au gouvernement pour faire ce que vous avez bâti avec lui en campagne ? Et comment refuser d’être ministre, ministre d’État, quand certains de ceux que vous avez poussé jadis ont obtenu des strapontins ou des chaises musicales, et que l’on vous offre – enfin – un fauteuil ? Bref.

Puisque nous évoquons Macron, autre scène, plus lointaine dans le temps. Café des négociants, le maire est un habitué. Déjeuner avec Caroline et Gérard. Quelques potins, quelques nouvelles, Caroline et Gérard vantent les travaux de Philippe Aghion, économiste, professeur à Harvard. Et puis à la question « qui pour succéder à Hollande » déjà très mal noté à mi-mandat dans les sondages d’opinion, ils balaient de deux revers de main l’option Valls, pour sortir de leur chapeau Emmanuel Macron, tout jeune ministre, encore inconnu du grand public. L’un comme l’autre, l’un après l’autre, évoquent son intelligence hors norme, sa rapidité de compréhension, sa capacité à créer la surprise. Ils sont bluffés, emportés. Quelques mois plus tard, Gérard Collomb fera publiquement son choix, en étant le premier poids lourd politique à sortir du bois.

Et, au passage, Philippe Aghion était un ardent défenseur de la retraite à points, mesure phare du premier quinquennat.

Edouard Philippe lui, était ardent défenseur des 80 km/h sur routes, Collomb a dit publiquement ce qu’il en pensait, « qu’il y avait peut-être plus urgent à faire ». Rancunier, Philippe l’a fait poireauter trente minutes sur le perron de Beauvau lors de son départ du ministère. Élégance en direct sur les chaines d’info.

Dernière scène peut-être, campagne électorale de 2014.

Coup de téléphone au Progrès qui consacre avec précision le même lignage pour chaque liste. Bon sang, quelle colère ! Nous n’étions pas équitables, nous faisions la campagne de machin, pas digne d’un grand journal, je vais appeler votre grand patron… Mince, on se serait cru dans les couloirs de son cabinet quand ses réputées et redoutées soufflantes en désespéraient plus d’un…

Voilà. Quelques bribes sur notre Gérard. Celui que l’on a connu. S’ajouteront des réactions par centaines. Toute souligneront son amour immodéré pour notre ville. Son sens politique peut-être. Mais surtout son entêtement à entremêler économie et politique dans le sens de gestion de la cité. C’était sa signature.
Gérard Collomb avait commencé un livre qui devait aborder cette vision de la chose publique. Il n’aura pas eu le temps de nous le commenter.

 

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/philippe" target="_self">Philippe Lecoq</a>

Philippe Lecoq

Correspondant Lyon People
Sa longue expérience de journaliste lui octroie une légitimité naturelle. La ville de Lyon  n’a pas de secret pour lui, alors Philippe Lecoq prend un malin plaisir à nous en conter les meilleurs récits, aussi bien au rayon économique que politique.

1 Commentaire

  1. ASPIEducationUNIVERSITAS

    #InMemoriamDeProfundis
    Tout comme son prédécesseur Édouard Herriot (1872-1957), Gérard Collomb (1947-2023), – fin lettre, visionnaire de son temps, et batisseur -, nous à quitté à l’âge de 76 ans. Homme de terrain et de proximité, l’ancien enseignant devenu Senateur du Rhone ; puis, sur le tard, Ministre d’Etat ; s’affirme chronologiquement – et post-mortem – comme le second « meilleur » maire de la « Capitale des Gaules ». Avec recul et experiences, nous avions eu plaisir à le connaître – ainsi que sa famille -, au Senat d’abord ; puis sur Lyon, à l’issue de ses 18 mois de fonctions ministérielles. Attriste par cette perte que l’a-Venir republicain réhabilitera ; toutes nos sincères condoléances se tournent vers ses proches, ainsi que celles et ceux qui l’ont apprécié. – Professeur honoraire Pierre J-Y. LE BLAVEC – ASPIEducationUNIVERSITAS – Filmographie indicative : « Alice et le Maire » (Nicolas Pariser, 17 septembre 2019, Fr., avant-première au cinéma d’art et d’essais Comoedia de Lyon, avec Fabrice Luchini, Anais Demoustier, 103 min.)

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