Crise de l’immobilier. Pascal Pancrazio : « 9000 logements sont sortis du marché lyonnais »

30 janvier, 2024 | Actualités économiques | 0 commentaires

Propos recueillis par Morgan Couturier et Marco Polisson – Agent immobilier depuis 2005, promu président de la Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM) sur le département du Rhône en janvier 2023, Pascal Pancrazio se confronte à un secteur d’activités en pleine contrariété. Pour Lyon People, le gérant de l’agence Lyon Ouest Immobilier à Charbonnières-les-Bains, livre ses vérités sur le contexte actuel, animé par la volonté de « parler d’une seule voix », au nom de ses 235 adhérents et des 13 corps de métiers référencés au sein du syndicat.

Lyon People : Dans quel état se trouve l’immobilier lyonnais ? On va déjà parler du marché du neuf.
Pascal Pancrazio : On est toujours dans la difficulté. Pour donner un ordre de grandeur, si l’on se fie aux chiffres de novembre, nous sommes à -50% au niveau des réservations par rapport à l’an dernier, à périmètre égal. Et pourtant, l’année 2022 n’était pas une superbe année. Nous sommes donc sur une conjoncture extrêmement difficile sur l’immobilier neuf. Il s’est beaucoup dit que la métropole de Lyon avait bloqué des permis avec l’arrivée de la nouvelle équipe, mais le principal sujet, ce sont les taux d’intérêts. Quand vous perdez 25% de pouvoir d’achat, clairement, cela bloque le marché. Je voudrais toutefois apporter une petite nuance au niveau de l’immobilier d’entreprise, où l’on retrouve des signes assez positifs. Nous étions à -36% au mois de juillet 2023 sur les bureaux et l’on doit être à -20% aujourd’hui (l’interview a été réalisée le 13 décembre, ndlr).

Qu’en est-il du marché de l’ancien ?
Sur le marché de l’ancien, nous sommes sur une baisse des volumes, de l’ordre de -15% à -20%, ce qui est assez important. Mais pour le coup, c’est moins « grave » que ce que l’on peut retrouver dans le neuf. Cela n’empêche pas que dans l’existant, nous avons une baisse de volume, un allongement des délais de commercialisation, mais aussi, une baisse des prix (de l’ordre de -5%).

Cet allongement des délais, de quel ordre est-il ?
Il y a un an et demi, nous avions des ventes qui se faisaient quasiment dans le mois. Aujourd’hui, nous avons des délais qui ont dépassé les six mois. Pour des biens identiques. Et encore, lorsque ça se vend… Il y a aussi un effet valeur verte. Les biens qui nécessitent de gros travaux de rénovation énergétique, ont du mal à se vendre. Pourtant, on dénombre 130 000 logements à rénover dans le Rhône. Or, toutes les entreprises du BTP ne sont pas qualifiées pour le faire. Il y a donc un peu tout qui s’accumule. La conjoncture est vraiment difficile.

Pour la première fois depuis l’été 2021, aucune banque n’a augmenté ses taux immobiliers en ce mois de décembre. Mieux, certaines d’entre eux sont en baisse. Faut-il y voir un motif d’espoir ?
Tout à fait ! À priori, cela veut dire que l’on a atteint le pic de l’inflation. En général, il y a toujours un décalage entre ce pic et la baisse des taux. Il y a une petite détente qui s’opère. C’est un signal positif pour le marché et un marché a besoin de confiance, bien que tout le monde demeure encore assez inquiet pour 2024.

Que faire lorsque les banques ne veulent pas vous prêter de l’argent ?
Concrètement, c’est cette situation qui a grippé fortement le marché en cette année 2023. L’accès au crédit a été très compliqué. Il est vrai que le métier des banques est de limiter les risques ou de ne pas en prendre, mais elles demandent clairement plus de garanties, lorsque le marché est en baisse. Mais aussi plus d’apports, ce qui veut dire que toute une frange de la population n’a plus accès aux crédits. Et malheureusement, il n’y a pas forcément de solution lorsque les banques ne prêtent pas. La seule solution est d’avoir de l’apport, mais tout le monde n’en a pas. Cela reste un point compliqué, d’autant que même des personnes ayant des profils qui passaient sans aucun problème auparavant, voient désormais leur dossier refusé.

La seule solution pour acheter est donc d’avoir déjà les fonds pour soi ?
Oui, il faut un apport important. Sinon, il n’y a pas de prêt. D’ailleurs, dans notre métier d’agent immobilier, on a constaté une baisse générale du chiffre d’affaires, mais nous avons continué à tourner grâce à une proportion d’acquéreurs qui n’avaient pas besoin de ces prêts immobiliers.

« Le vrai point de grippage, c’est que les banques ne prêtaient pas »

Finalement, l’argent facile n’était-il pas la solution à tous les problèmes ?
Vous avez raison. Nous nous étions habitués à l’argent facile. Quand les taux d’intérêt ne dépassent pas 1%, l’argent ne coûte rien. Dans les bilans des promoteurs, porter un dossier sur plusieurs années, ne coûtait rien. Mais depuis, le monde a changé. Quand vous passez de 1 à 5% et que vous devez porter un dossier, l’équation est complétement chamboulée.

Mais ne revient-on pas à ce qui se faisait il y a quelques années ?
Oui, on revient à la normale sur la partie des taux d’intérêt. Il y a 30 ans, nous étions à 15% et ça ne posait pas de problème. Mais à mon sens, ce n’est pas ça le sujet. On peut emprunter à 5% si le pouvoir d’achat progresse en proportion et si les banques sont rassurées et prêtent.

La tendance est-elle à un assouplissement de leur part ?
On voit les hommes politiques réagir, à commencer par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Ils ont mis un certain temps à riposter, mais je vais tempérer mes propos. Ils voulaient réguler l’inflation. Sur ce point, ils ont bien réussi. Ils voulaient stopper la consommation et ils ont réussi. Y compris dans l’immobilier. Mais maintenant que le pic de l’inflation est passé, on commence à apercevoir la sortie du tunnel.

Que faire quand vous n’avez que de petites sommes à investir ?
Quelque part, la bonne nouvelle, c’est que les prix ont globalement un petit peu baissé. À partir du moment où il y a une détente, et il faut que celle-ci soit confirmée dans les faits, ça devient le bon moment pour acheter. D’autant que nous avons la possibilité en France, et ce n’est pas le cas dans d’autres pays, de renégocier ses prêts. Si les taux redescendent d’ici 2-3 ans, on pourra les renégocier. Cela pourrait permettre de débloquer le marché. La clé, c’est vraiment que le marché retrouve de la confiance et que les banques jouent le jeu.

Peut-on vraiment considérer qu’il est plus facile de se tourner vers des biens avec travaux plutôt que des biens finis, comme certains semblent l’avancer ?
C’est une bonne opportunité, en effet. Avoir beaucoup de travaux sur un bien, fait un petit peu peur aux ménages. C’est un métier que tout le monde ne maîtrise pas. Pour autant, ces biens-là, ont une vraie décote, par rapport aux biens qui sont bien classés au niveau énergie. À la FNAIM du Rhône, on a créé une commission climat. Nous formons nos adhérents, de manière à ce qu’ils montent en compétences. Nous sommes capables de les accompagner grâce à des organismes qui maîtrisent toutes les aides publiques possibles en matière de rénovation énergétique.

« 9 000 logements sont sortis du marché lyonnais depuis l’instauration de l’encadrement des loyers »

Ces aides, sont-elles de nature à aider les petits ménages à rénover leurs biens ?
Ces aident ne prendront jamais en compte la totalité des travaux, mais elles peuvent être incitatives. Malheureusement, on ne pourra que regretter toutes les démarches administratives. Il faut aussi cocher toutes les cases. Puis pour obtenir réellement l’argent, il faut se battre, ce qui veut dire qu’il ne faut pas avoir besoin de cet argent tout de suite.

Inciter à l’achat permet de libérer des biens en location et de limiter les tensions du marché locatif, n’est-ce-pas ?
Oui ! Le fait qu’il n’y ait pas de neuf qui sorte impacte le marché locatif. Les particuliers restent en location, et aucun bien ne se libère. Ce qui aggrave la crise du logement.

Quel est l’effet de l’encadrement des loyers imposé par la Métropole de Lyon ?
Sur le principe, l’objectif de l’encadrement des loyers est assez louable. Le principe est de faire en sorte que les biens soient accessibles au plus grand nombre, à des prix raisonnables. C’est plutôt bien de se dire que l’on va loger le plus de monde possible dans de bonnes conditions. Sauf que dans la pratique, ce n’est pas du tout ce qu’il se passe. La réalité est que l’on est sur un marché qui réagit. Les investisseurs ont fui.

Concrètement, que reprochez-vous aux écologistes ?
Nous regrettons le côté contre-productif de cette mesure. Nous avons assez de difficultés, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Trop de régulation, tue la régulation. Nous, les professionnels, respectons cet encadrement des loyers. Mais ceux qui sont impactés, ce sont les particuliers qui après avoir fait des économies, ont acheté un appartement pour le louer et s’assurer une retraite. Lorsque l’on a prévu 600€ de remboursement par mois et 600€ de loyer, mais que vous vous retrouvez d’un coup, d’un seul, avec 350€ de loyer, c’est très difficile. C’est un mauvais signal. Cette insécurité juridique fait peur au marché.

Combien de logements sont-ils sortis du marché depuis la mise en place de cette mesure ?
Depuis la mise en œuvre de l’encadrement des loyers, il y a 9 000 logements qui sont sortis du marché lyonnais. Nous avions annoncé cela avec nos confrères de l’UNIS lors d’une conférence de presse commune avec BTP du Rhône.

À Paris, un logement sur 5 est inoccupé. Quelle est la situation à Lyon ?
À Lyon, il y a des logements vacants comme partout. Mais c’est mathématique, il y a un certain nombre de logements qui sont inoccupés, mais on ne peut pas y faire grand-chose. Je pense notamment aux successions. Mais pour d’autres, en revanche, la Métropole de Lyon travaille dessus en contactant, les propriétaires de ces logements. Ils annoncent ainsi jusqu’à 5 000 logements qu’ils pourraient retrouver, même si, sur ces 5 000 biens, tous ne pourront pas être récupérés.

« La pierre reste un investissement rentable à long terme »

Ces logements pourraient alors répondre aux besoins des Lyonnais…
Une étude que l’on a présentée avec le BTP, nous permet d’affirmer que les besoins exogènes en logement pour les habitants au niveau de la Métropole de Lyon, étaient de 8 000 par an. Comme vous pouvez le voir, on ne répond pas à ce besoin-là, uniquement avec ces logements vacants.

L’obligation de travaux d’isolation énergétique a également refroidi bon nombre de propriétaires…
C’est une contrainte en plus. Lorsque vous êtes obligés de réaliser des travaux, les petits investisseurs se retrouvent face à des dépenses très importantes. Et certains ne peuvent tout simplement pas le faire. C’est forcément un frein…

Taxe foncière, coût du crédit, réglementations, IFI… Être bailleur privé à Lyon en 2024, est-ce valable ?
Ça, c’est une vraie question (rires) ! Moi, je dirais oui, même s’il faut être bien accompagné pour ne pas tomber dans certains pièges. Mais il y a toujours des opportunités. Ça reste un bon investissement. Il faut simplement être vigilant.

L’équipe de Lyon Ouest Immobilier à Charbonnières

Est-ce le président de la FNAIM 69 qui répond ou bien l’agent immobilier ?
(Il rigole) Les deux, forcément. Je représente une profession et je la défends. C’est la moindre des choses. C’est aussi une réalité. Les professionnels doivent accompagner les acquéreurs. On reste des garde-fous par rapport à certains pièges dans lesquels on pourrait tomber facilement. La pierre reste un investissement rentable à long terme.

En parallèle, cette crise a-t-elle permis d’assainir la profession d’agent immobilier, où pléthore d’enseignes ouvraient dans tous les sens ?
Je ne peux pas dire cela. On pousse pour que tous les agents et cabinets immobiliers aient une véritable formation. Ce n’est pas simple. On est dans un monde où tout n’est pas parfait. Ça reste néanmoins une exigence de la FNAIM. Notre président fédéral, Loïc Quentin est vraiment dans cette logique de professionnalisation. Il veut vraiment rassembler tout le monde. Lors de notre congrès début décembre, le nouveau ministre du logement nous a confirmé le respect de la loi Hoguet et adhère à notre notion de « tiers de confiance ».

« La location saisonnière ne doit pas bloquer le marché »

Concernant la Métropole de Lyon, que pensez-vous de son plan d’urgence voté en octobre dernier, visant à accorder une enveloppe de 10 millions d’euros au profit des bailleurs sociaux ?
Si cette enveloppe permet de débloquer un certain nombre de logements, c’est une bonne politique. En revanche, il ne faut pas oublier le secteur privé.

Les écologistes font justement des logements sociaux leur cheval de bataille. Est-ce un moyen de sauver un secteur de l’immobilier en difficulté ?
En immobilier, pour un promoteur, avoir une garantie de sortie sociale, en termes de cash flow (le flux net de trésorerie d’une entreprise, ndlr), c’est une véritable bouteille d’oxygène. Il faut le prendre positivement. Cela permet parfois à des programmes de sortir de terre.

Pour en revenir à Airbnb. Comment jugez-vous l’impact de la location saisonnière sur votre activité ?
Nous ne sommes pas contre la location saisonnière. Mais il faut prendre un peu de recul. La location saisonnière a pris trop d’importance. Il ne faut pas que ce soit quelque chose qui bloque le marché.

Quelles sont les solutions ?
Cela ne doit pas devenir industriel. Il faut trouver une certaine harmonie fiscale. Certains ne doivent pas être avantagés par rapport à d’autres. Tout cela se retourne contre les habitants. Ça crée des désordres plus qu’autre chose. Le législateur s’est retrouvé un peu dépassé. Le cadre n’est pas juste. Il faut revenir à l’intérêt général. Nous pensons que la régulation mise en place par la Ville de Lyon va dans le bon sens.

Pour finir, quels sont les motifs d’espoir pour l’année à venir ?
Le même qui a été un motif de désespoir en 2023 (rires), à savoir le taux d’intérêt. À partir du moment où il y a un frein là-dessus, c’est un signal très positif qui nous est envoyé. Ça me paraît être la clé. C’est un espoir d’accès au crédit pour tous ceux qui n’y avaient pas accès cette année.

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/marco" target="_self">Marco Polisson</a>

Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
Délégué à la protection des données RGPD

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