Liaison Lyon – Turin. Stéphane Guggino. « Pour Lyon, tourner le dos à l’Italie serait invraisemblable »

5 juin, 2024 | VOYAGES ET WEEK-END | 1 commentaire

Propos recueillis par Morgan Couturier – Présidée par Jacques Gounon, par ailleurs Président du tunnel sous la Manche, le Comité pour la Transalpine fédère les collectivités publiques et les grands acteurs économiques mobilisés pour la concrétisation de la liaison ferroviaire dessinée entre Lyon et Turin. Délégué général de l’association depuis 6 ans, Stéphane Guggino fait le point sur les freins et, surtout, les dernières avancées du dossier.

Lyon People : Le projet de ligne ferroviaire entre Lyon et Turin date des années 90, mais a longtemps semblé au point mort. Comment l’expliquer ? Stéphane Guggino : C’est un projet d’une grande complexité, que ce soit technique, financier, juridique ou diplomatique. Pour autant, le projet n’a jamais cessé d’avancer, même si les gens ne le voient peut-être pas. Il y a tous les jours des progrès et des montées en puissance.

Malgré les chiffres, évoquant 25 millions de tonnes de marchandises transportées par an et les bénéfices environnementaux qui en découlent, la ligne Lyon–Turin ne fait pas l’unanimité. Pourquoi ?
Le Lyon-Turin est en réalité contesté par une petite minorité. Toutes les études d’opinion montrent un soutien extrêmement fort des populations pour ce projet, de l’ordre de 85 à 90%, que ce soit du côté français ou du côté italien. C’est un peu normal. C’est le sens de l’histoire. C’est le plus grand chantier d’infrastructures de mobilité bas carbone pour les voyageurs et les marchandises.

Quels sont ses principaux points forts ?
Cette ligne permettra de proposer une alternative à la route pour les voyageurs et surtout pour les marchandises. Sur ce point, 80% de la liaison sera dédiée au transport de marchandises. L’objectif est de basculer un million de poids lourds par an vers le rail et de délester les Alpes du trafic routier. De l’adhésion, il y en a. Les gens ont compris que le train était le moyen le plus écologique pour se déplacer.

Comprenez-vous néanmoins les arguments des opposants, qui pointent à contrario « un impact environnemental important » et donc négatif pour la planète ?
Chaque argument est respectable dès lors qu’il concorde avec la réalité des faits. Il faut être clair : une infrastructure de cette envergure a toujours un impact sur l’environnement. Mais quand vous construisez une piste cyclable, il y a aussi un impact environnemental. Vous coupez des arbres, vous coulez du bitume. Les bénéfices environnementaux arrivent plus tard. À une autre échelle, le Lyon – Turin, c’est pareil. Il faut regarder les bénéfices sur le long terme, à 100-150 ans.

La ligne actuelle est obsolète

La balance est donc positive ?
Elle est positive dans tous les cas. Aujourd’hui, il faut comprendre que la France et l’Italie sont aujourd’hui reliées par une petite ligne qui date de Napoléon III et donc forcément obsolète en termes de capacité, de fiabilité et de performance. Elle ne répond plus aux exigences du transport ferroviaire international. Tous les opérateurs sont unanimes sur un point : sans le Lyon-Turin, pas de report massif des camions sur les trains. Il y a aussi les questions de sécurité, comme en témoigne l’éboulement en Maurienne en août dernier qui a entraîné la fermeture de la ligne historique pour plus d’un an.

Justement, cet éboulement du 27 août 2023 a remis de nombreux camions sur la route. Cet incident a-t-il permis de rappeler toute l’importance du projet ?
Il a mis en lumière la nécessité de réaliser une infrastructure moderne, haute performance et sécurisée pour relier les deux pays. Cette ligne du XIXe siècle passe dans des zones géologiquement fragiles et qui le seront de plus en plus à cause du réchauffement climatique. Avec le tunnel sous les Alpes, le principe du Lyon – Turin, c’est de passer sous la montagne. Aujourd’hui, si le Lyon – Turin avait été réalisé, la circulation ferroviaire se ferait normalement.

Néanmoins, la modernisation de la ligne Dijon – Modane a été un temps la piste privilégiée par l’ancienne Première ministre, Elisabeth Borne. Avez-vous craint pour la survie de la Transalpine ?
Vous évoquez les voies d’accès françaises au tunnel sous les Alpes qui, lui, est irréversible. Il y a eu, il est vrai, des hésitations de l’Etat pour des raisons financières, avec une lecture du projet trop franco-française. Pour autant, l’Etat a redonné une impulsion au dossier en 2020. Il faut comprendre que Dijon – Modane, ce n’est plus le Lyon – Turin. C’est Dijon – Turin. Et cela n’a plus aucune cohérence, ni pour les Italiens ni pour l’Union Européenne et encore moins pour l’agglomération de Lyon.

Le contournement ferroviaire de Lyon (CFAL) est également un projet concurrent. La multitude de propositions n’est-elle pas de nature à perdre tous les acteurs ?
Le contournement ferroviaire de Lyon (CFAL) et les accès français du Lyon – Turin sont des projets distincts mais extrêmement complémentaires. On sait que le nœud ferroviaire est saturé. Or, pour que les accès du Lyon – Turin fonctionnent, il faut aussi réaliser le CFAL afin d’assurer une fluidité des trafics et la connexion aux grands réseaux européens.

Les deux projets peuvent-ils fonctionner de concert ?
La Transalpine a toujours été pour le CFAL, mais pas le CFAL tout seul. Le CFAL tout seul, c’est moins de report modal entre la France et l’Italie. Et ça voudrait aussi dire que la Métropole de Lyon se débarrasse des trains de fret qui empiètent sur la qualité de vie des habitants, pour envoyer ces flux sur Chambéry. Mais eux aussi ont le droit d’avoir une qualité de vie. Donc le principe est d’avoir le CFAL et les accès du Lyon – Turin. C’est une question de volonté politique. Si tout le monde poussait dans le même sens plutôt que d’opposer les deux projets, ce serait plus facile.

N’a-t-on pas l’impression que ce projet est devenu d’une complexité absolue ?
C’est un projet en effet très complexe. Il y a beaucoup d’étapes à franchir en permanence, avec un processus décisionnel national et international impliquant une multitude de rouages. Le principal écueil reste celui du financement, même si l’Europe est prête à financer la moitié. C’est un taux de cofinancement exceptionnel !

Le gouvernement et Emmanuel Macron ont traîné des pieds pour déposer ce fameux dossier de subventions auprès de l’UE. Pour quelles raisons ?
Le gouvernement a toujours été clair dans son soutien au Lyon – Turin, tout autant que les gouvernements précédents. Maintenant, on parle de la prochaine grande étape des études détaillées. Alors effectivement, il y a eu des discussions sur le financement de cette phase cruciale entre l’État, la Région et les collectivités locales, dont le Département du Rhône. Finalement, on est arrivé à un accord sur le fil et le dossier a été déposé.

La proposition de l’Union Européenne de cofinancer le projet ne date pas d’hier. Pourquoi avoir attendu les ultimes instants ?
Cette annonce de l’Union Européenne de participer à 50% au financement des accès, a été formulée pour la première fois lors de l’assemblée générale de la Transalpine, en 2019.

On a donc attendu 5 ans pour agir…
C’est le propre de ces grands projets. Si la volonté politique est là, les lourdeurs technocratiques des administrations centrales pèsent parfois sur la dynamique du dossier.

Avez-vous échangé à ce sujet, avec le nouveau chef du gouvernement, Gabriel Attal ?
Nous n’avons pas encore échangé avec lui, ni avec le nouveau ministre des Transports (Patrice Vergriete). Pour autant, ce dernier a réaffirmé publiquement que le Lyon – Turin était un chantier irréversible et qu’il se ferait.

Grâce à la participation de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le financement des études sur les voies d’accès est assuré. Est-ce un soulagement ?
Evidemment. L’impulsion donnée par Laurent Wauquiez dans la dernière ligne droite, a été très positive. Les discussions avec le ministre de la Transition Écologique (Christophe Béchu), étaient de plus en plus nourries. Ce dernier avait assuré qu’un échec était inenvisageable. Au final, chacun des acteurs s’est montré à la hauteur des enjeux.

Concrètement, quel est impact de cette participation de l’Union Européenne sur l’avancée des travaux ?
Clé de voute de la future liaison, le tunnel de 57,5 kilomètres sous les Alpes est irréversible. Sous la conduite du maître d’ouvrage TELT, plus de 22% du projet global est réalisé. 35 kilomètres de galeries ont déjà été creusés, dont 13 kilomètres du tunnel définitif. Le chantier monte en puissance. Il mobilise 2500 salariés. Ce chiffre va encore augmenter. Le rythme de creusement aussi, à partir de cette année. Sept tunneliers vont progressivement arriver et le rythme de creusement va faire un bond spectaculaire. Les débats portent maintenant sur la programmation des indispensables voies d’accès françaises au tunnel. On n’imagine pas un tunnel sans voies ferrées d’un même niveau de performance pour y accéder.

Où en est-on à ce sujet ?
Ces voies d’accès, côté italien, sont programmées. Elles seront réalisées dans les temps. Côté français, on vient de franchir une étape avec ce dépôt de dossier de cofinancement à Bruxelles. Les financements attendus vont permettre de lancer la procédure des études d’avant-projet détaillées. Aujourd’hui, il y a un tracé, qui a été déclaré d’utilité publique, mais qui a été dessiné à gros trait. Là, on va passer à une étude d’ingénierie quasi-opérationnelle qui va permettre de définir la liaison de manière extrêmement précise, à quelques 10 centimètres près. C’est la dernière étape avant les travaux.

Outre Laurent Wauquiez, 42 des 59 maires de la métropole lyonnaise ont exprimé leur soutien au Lyon-Turin.
Cette mobilisation, à l’initiative de Gilles Gascon (maire de Saint-Priest), a évidemment été très positive. Elle a surtout été très entendue du côté italien. Dans Lyon – Turin, il y a Lyon. Depuis quelques années, c’était quand même curieux de voir que l’exécutif politique de l’une des extrémités de la liaison n’adhère pas au projet. Nos amis italiens envisagent cela de manière très pénalisante. Le fait qu’une très large majorité des maires de la métropole ait confirmé leur adhésion, a été très apprécié du côté italien. C’est un message de soutien qui est fort. Lyon ne peut pas tourner le dos à l’Italie, ce n’est pas possible. Au-delà de l’exigence écologique, il s’agit de renforcer les liens économiques, culturels, scientifiques, universitaires… entre nos territoires sur un axe européen stratégique.

Sur ce point, nos voisins italiens ont parfois semblé se lasser de l’immobilisme français. Les relations ont-elles vocation à se dégrader ?

J’ai eu l’occasion de discuter avec le maire de Turin il n’y a pas très longtemps : les relations entre les deux villes sont bonnes. Après, c’est vrai que chez les Italiens, il y a une certaine incompréhension. Notamment vis à vis des écologistes. Ils ne comprennent pas comment on peut s’opposer à une liaison qui est vitale et qui permet de relier deux des plus grands pays européens. Ce sont les deux seuls en Europe, à ne pas être reliés par des liaisons modernes. Donc oui, il y a eu une certaine forme d’interrogation et d’incompréhension, même si cela ne nuit pas aux relations institutionnelles.

Désormais, va-t-on avoir une idée précise du tracé définitif de la Transalpine ?
On connaît le tracé et où va passer la ligne. Maintenant, il va s’agir de la préciser très en détail. C’est donc une ligne qui partira de Lyon, qui ira sur le nord Isère, qui passera sous la Chartreuse pour filer vers la Savoie et le tunnel transfrontalier.

« Dès 2032, il y a déjà la possibilité de raccourcir les temps de trajet »

A combien est évaluée la facture globale, dont le coût a explosé du fait des retards ? On évoquait 12 milliards € en 2002, 26 milliards € en 2012, où en est-on ?
Il y a beaucoup de confusion sur le coût du projet. Chaque évaluation ne prend pas en compte les mêmes choses. Le Lyon – Turin, aujourd’hui, c’est une vingtaine de milliards. Compte tenu des financements européens et italiens, la part de la France est d’environ 5 ou 6 milliards d’euros sur 15 ans, ce qui représente deux fois moins que la liaison Bordeaux – Toulouse, pour avoir un ordre d’idée. C’est un investissement lourd, mais dont il faut évidemment mesurer les effets sur le long terme. Les Suisses ont réussi à réaliser 3 tunnels identiques au Lyon – Turin en les payant tous seuls. Leurs résultats en termes de report modal sont exceptionnels. Alors quelque part, il faut se poser des questions, et se demander si la France est toujours capable de réaliser des infrastructures de ce type-là. C’est quand même le témoignage de notre excellence industrielle et de notre capacité à mener des grands projets d’avenir. Aujourd’hui, la bonne nouvelle, c’est que le projet avance. Il faut maintenir la dynamique du projet.

Les élections européennes ont lieu en juin 2024. Leurs résultats peuvent-ils avoir des répercussions sur le projet ?
Sur le soutien au projet, c’est très peu probable. Depuis le début, c’est un projet prioritaire et stratégique pour l’Europe. Il devrait y avoir encore une majorité forte en faveur du Lyon-Turin au futur Parlement. En revanche, le prochain mandat sera déterminant pour la mobilisation des financements nécessaires. Il y a une grosse concurrence entre les pays qui veulent faire financer leurs projets. Il faut que les eurodéputés français et italiens qui seront élus, fassent preuve de vigilance mais aussi de combativité pour que ces financements soient sécurisés.

A quelle date, selon vous, le premier train quittera Lyon pour Turin sur la nouvelle infrastructure ?
Dès 2032, il y aura déjà la possibilité de raccourcir les temps de trajet. Le tunnel transfrontalier sera livré, de même que les voies d’accès côté italien. Rien que cela, ça nous fera gagner près d’une heure de trajet. Aujourd’hui, en moyenne, c’est quand même 4 heures de trajet. Lyon – Turin, c’est aussi plus globalement la ligne Paris – Milan. En réduisant ce trajet, on réduit aussi le trajet Paris-Milan. Pour avoir des gains de temps supplémentaires, il faudra que la section française soit livrée. Elle le sera hélas un peu plus tard. L’enjeu est de réduire, au maximum, ce laps de temps entre la livraison du tunnel et celle de la section française.

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/morgan" target="_self">Morgan Couturier</a>

Morgan Couturier

Le journaliste de Lyon People, c’est bien lui ! En quête de scoops, toute info est la bienvenue !

1 Commentaire

  1. Pol

    si ce monsieur déjà responsable de l’échec du tunnel sous la manche qui a ruine des millions de français est responsable de ce projet ça promet .
    encore une fois c’est le jeu des lobbyistes qui s’en mettent plein les poches
    dire que 90 % de la population défend ce projet est malhonnête .il serait plus juste de dire que 90% de la population s’en moque car non informée et pas concernée.
    si le projet était vital il ne trainerait pas depuis longtemps .
    ce monsieur défend ce projet pour gagner sa vie .

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Cliquez ici pour SIGNALER UN ABUS
Vous pouvez nous adresser un email afin de signaler un contenu. Merci de préciser l’adresse de la page dans votre email. Votre signalement sera pris en compte au plus tôt.

Aujourd’hui

jeudi 21 novembre

Saint Albert


 

Recevez la newsletter

Restez informé en temps réel !

View More Results…