Crise agricole. Élise Michalet : « Il faut défendre la production française pour qu’on puisse vivre dignement de notre métier »

18 novembre, 2024 | Actualités économiques | 1 commentaire

Propos recueillis par Alexandra Carraz-Ceselli – Chaque mois, Alexandra Carraz-Ceselli, fondatrice de L’Équipe des Lyonnes, un réseau de 3000 membres qui encourage les femmes à prendre positivement leur place dans le débat public, nous propose de partir à la découverte d’une lyonnaise au parcours remarquable, au cours du podcast le « Café des Lyonnes ».

Ce mois-ci, on vous emmène à la ferme, aux portes de Lyon, découvrir une éleveuse de vaches, « une brune qui élève des blondes… d’Aquitaine » comme elle aime le souligner avec malice. Vous le comprendrez vite, avec Élise Michalet, pas de chichis ni de faux semblants. Éleveuse à Saint-Genis-Les Ollières, Présidente de la FDSEA du Rhône depuis 2024, première femme élue à ce poste pour le Rhône, Élise n’a pas sa langue dans sa poche. Elle nous parle sans détour de son parcours, de sa passion pour son métier, de l’évolution de la filière et de sa triple journée de femme.

ACC : Pensez-vous être une femme engagée ?
EM : Je m’engage beaucoup pour les autres depuis longtemps puisque j’ai commencé aux Jeunes Agriculteurs, à 20 ans jusqu’à 35, où j’ai été notamment présidente des jeunes agriculteurs en 2009-2010. Et puis aujourd’hui, je suis présidente de la FDSEA du Rhône. La notion d’engagement, c’est d’abord passer du temps pour les autres. Parce qu’on le fait un petit peu pour soi, mais on le fait surtout beaucoup pour les autres, et le but premier, c’est quand même de défendre des intérêts pour le collectif.

Je suis contente d’avoir enfin une femme agricultrice au micro du Café des Lyonnes, parce que c’est quand même encore assez rare, les femmes agricultrices ?
Alors je dirais que c’est rare qu’on les entende, parce qu’aujourd’hui, 40% de femmes sont des agricultrices dans les nouvelles générations, donc c’est en progression. Ce qui est vrai, c’est que les agricultrices ont travaillé longtemps dans l’ombre derrière leurs conjoints et on n’a pas beaucoup parlé d’elles. On le voit aujourd’hui sur les retraites des agricultrices, qui sont à moins de 700 euros par mois.

Leur statut a pourtant évolué ?
Beaucoup étaient conjointes collaboratrices ou associées avec leurs conjoints. Mais aujourd’hui, les retraites des agriculteurs sont vraiment dérisoires : les retraites des hommes sont à 1 000 euros et les retraites de femmes sont à 700 euros.

Est-ce qu’il y a un espoir que les choses progressent ?
Il y a toujours espoir et il faut garder espoir, sinon je ne ferais pas ce que je fais. Et le syndicalisme FDSEA est là pour défendre les intérêts de tous et faire avancer cette machine infernale. On veut faire comprendre à l’État, à tout le monde, qu’il faut défendre la production Française pour qu’on puisse vivre dignement de notre métier. Tout simplement. Donc c’est ce que l’on fait comprendre depuis le début d’année. Vous avez dû beaucoup nous entendre dans la rue en janvier, février, mars. Il y a beaucoup de choses qui ont été dites, entendues, maintenant, il faut qu’elles aboutissent.

Avez-vous toujours voulu être agricultrice ?
Mes parents avaient une ferme, une petite exploitation familiale sur l’Ouest lyonnais. Et puis, j’ai fait des écoles hôtelières. Je n’ai pas du tout été dans le milieu agricole.

Quel était votre rêve d’enfant ?
L’agriculture m’a toujours passionnée. Mais la ferme de mes parents était trop petite pour rester. Donc, c’est mon frère qui est resté sur l’exploitation familiale. Je suis partie dans une école hôtelière et puis la vie en a décidé autrement. A la rencontre de mon conjoint, j’ai choisi de rester avec lui et de travailler sur son exploitation. Je me suis installée en 2001 à seulement 21 ans et puis j’ai eu deux enfants, Marie-Laurence et Guillaume, 23 et 21 ans. Ils sont passionnés d’agriculture et ont suivi des études d’agriculture. Guillaume s’est installé avec moi depuis le 1er janvier et Marie espère s’installer également. Je pense qu’aujourd’hui il ne faut pas décourager nos enfants, il faut plutôt leur donner envie de réaliser leurs rêves, mais leur donner envie aussi de travailler avec nous pour produire les matières premières que vous consommez.

Avez-vous eu le sentiment d’avoir des freins en tant que femme dans cet univers pour négocier, vous imposer par exemple ?
C’est forcément plus compliqué puisque dans le métier déjà, c’est plus dur physiquement, même si la mécanisation nous a facilité le travail et aujourd’hui c’est plus facile d’être une femme agricultrice. En revanche, dans mon deuxième métier, les responsabilités syndicales, c’est toujours plus difficile d’être une femme pour se faire entendre.

« Si on a de belles assiettes, c’est grâce à des producteurs qui font de beaux produits »

Quelle est votre journée de travail type ?
On commence à 6h le matin, à nourrir tout le troupeau, faire un tour des parcs aussi l’été, puisque les animaux sont dehors, et regarder si tout le monde est en bonne santé. Notre grande chance dans ce métier, c’est de pouvoir déjeuner ensemble avec mon mari, mes enfants, le midi et le soir, et de pouvoir adapter nos horaires. Et puis, l’après-midi, on repart vers nos travaux quotidiens, nos travaux des champs, que ce soit de récolte, de fourrage. Le soir, on redonne à manger aux animaux et on rentre vers 20h. Et puis le dimanche, on ne fait que le travail du matin et du soir, c’est-à-dire de donner aux animaux à manger le matin et le soir, soit 5h de travail le dimanche. Donc nous travaillons 7 jours sur 7, toute l’année.

Pouvez-vous partir en vacances ?
Pour ma part, je n’ai jamais eu cette passion de partir en vacances, on n’a jamais eu cette habitude. Donc c’est vrai qu’on part très rarement. Ou alors, on part le matin et on revient le soir. Nous participons aussi à toutes les fêtes agricoles du département ou des départements voisins.

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La passion, sinon on resterait au fond du lit. Et puis, de savoir qu’on va se lever pour produire quelque chose, pour que la population française ait des bons produits. Parce que si on a de belles assiettes, c’est grâce à des producteurs qui font de beaux produits. Et cela, on l’oublie un petit peu quand on déjeune tous les jours. La qualité a un prix. N’hésitez pas à acheter tout ce qui est avec un drapeau français, principalement origine France, c’est déjà très bien.

Pourquoi les femmes sont-elles moins présentes dans le débat public ou sur le devant de la scène ?
Les femmes ont beaucoup de mal à s’engager puisqu’une responsable professionnelle féminine, c’est complètement différent pour moi qu’un responsable homme. Parce que justement, nous quand on part de notre exploitation, il faut qu’on ait géré beaucoup plus de choses qu’un homme. C’est-à-dire qu’il faut aussi qu’on ait géré les enfants, la maison, le repas, le ménage, l’exploitation. Et après seulement, on part en réunion. Tandis qu’un homme, une fois qu’il a géré sa ferme, il s’en va, il ne gère pas le quotidien.

Si vous aviez une baguette magique, quelle mesure pendriez-vous pour que les femmes s’engagent davantage dans le débat public ?
Déjà, écouter les agriculteurs parce que nous avons beaucoup de choses à dire. On a une femme sur le devant de la scène, Christiane Lambert, qui a été très écoutée parce que c’était la première femme présidente de la FDSEA et on l’a beaucoup mise en avant. Elle a beaucoup parlé des femmes. Aujourd’hui, elle ne l’est plus, mais elle est toujours sur le devant de la scène pour parler justement de notre métier. Aujourd’hui, j’ai envie que toutes les femmes aient envie de faire le même parcours que moi, qui m’a apporté beaucoup de choses et qui m’a ouvert plein de portes.

1 Commentaire

  1. JEAN-PAUL HENRY

    Bel entretien, intéressant

    Réponse

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