Par Nadine Fageol
Environ mille repas servis au quotidien dans quatre de ses établissements. Le chef adapte la french food aux produits locaux avec renouvellement. Du chicissime Daniel aux Cafés Boulud : cafés pointus avec de la gestion dans le saucisson made in sur place. Dernier né, DBGB, brasserie riche en cuivres ode à la saucisse bière. Kitchen buzz d'un ancien Lyonnais, épatant.
Qu'est-ce que Lyon People est allé faire à New York et qui est ce Daniel Boulud car à ce que l'on sache la star de la cuisine c'est tout de même Monsieur Paul de Collonges. Chers lecteurs, apprenez qu'il existe un autre chef overstarisé de lyonnaise lignée qui mène Manhattan au fouet. On quitte une bande de cinglées en pleine formation paramilitaire dans la télé du taxi jaune pour découvrir la sobre façade de Daniel dans le chicissime Upper East Side. Moquette profonde, ambiance Art&Déco remaniée intemporelle, immenses toiles d'art contemporain et une entrée sur palier surélevé donnant toute son importance à l'arrivant. Outre l'atmosphère indéniablement racée, on est saisi par l'habile découpage des lieux multipliant les ambiances, de décontractée au bar où le chef accueille, à très policée en salle où l'on entre en blazer, accessoirement fourni. Auparavant, détour par la « skybox lab », micro cabine surélevée avec vue sur une cuisine ruche. « Table inaccessible », la loge fait l'objet de toutes les convoitises dans les galas de charité business. Dans le réduit, une Basket trône sur une étagère, gigantesque, celle de Shaquille O'Neal, champion de pointure de la NBA. Daniel avec Sarah Jessica Parker et Hugh Grant, avec Lance Armstrong et Kate Hudson, avec Depardiou, avec Alix, son joli partie de fille et Obama et Obama, avec Jean Todd, avec Catherine Zeta-Jones et Michael Douglas… Des photos jusqu'à celle le représentant avec Andy Warhol. Must absolu, signe sur l'ancrage du bonhomme dans la société new-yorkaise. De l'aisance, de cette assurance qui lui fait dire quand l'interphone annonce l'arrivée d'une journaliste du NY Times, « oh, elle ne mord pas fort » et d'aller à sa rencontre. Dans le cocktail couleur givre, la couleur surgit d'une orchidée dans un glaçon rond ; en contrebas, le regard du chef, le plat des mains sur la table, affiche l'isolement de la concentration, effrayant. Jean-Jack Queyranne devrait remettre la médaille de l'entente régionale à Boulud le Lyonnais qui travaille avec un chef stéphanois. Et président Obama, celle du rapprochement de tous les peuples, son personnel est une image vivante du rêve américain, 20 nationalités et à chaque fois un personnage en puissance. Yannick, le Niçois passé en trois ans de chef de rang à assistant du directeur. Elvir fuit la Serbie à 18 ans en traversant le Danube à la nage, Marcos le chauffeur de taxi mexicain arrivé sans un mot d'anglais… Ce qu'avait laissé entendre Gorgette, attachée de presse première de ses fans pour travailler avec lui depuis le début, se précise : Boulud est apprécié de son personnel et de la communauté des chefs. Il revient pour nous diriger aussitôt en salle face à une orgie gustative, lui au coup de feu systématiquement. De la même façon, il suivra et alimentera d'un « Boulud tour » notre périple new-yorkais par sms. Avec le recul, ce que l'on retiendra c'est la profusion. Et, la maîtrise dans la profusion.
Daniel Boulud est né à Saint Pierre de Chandieu, de parents fermiers qui écoulaient leur production sur le marché Saint-Antoine. Veau, vache, cochon, il n'a que faire et file se planquer dans les jupes de grand-mère au fourneau, ce qui le mène naturellement au Lycée technique de Vénissieux pour l'apprentissage. Détesté. Une comtesse infernale adoubée à un chirurgien, des amis de ses parents se débrouillent pour lui trouver un poste chez Nandron. Il peaufine hors Lyon chez Georges Blanc qui démarre auprès de sa mère. Chez Vergé à Mougins, il a la révélation provençale et devient second de Michel Guérard à Eugénie-les-Bains entre deux intermèdes dans les belles maisons danoises. Internet est plein de son portrait relatant un dossier de presse d'une livre. À petite ambassade de la commission européenne à Washington correspondent de grandes ambitions gustatives, il intègre « la planque créative » en 1981 et sillonne le pays en camping-car pour rejoindre New York via le traditionnel parcours des meilleurs hôtels de la ville. « Ce n'était pas franchement mon truc, j'ai fait le tour du pâté d'immeubles » pour aller en 1986 au Cirque côtoyer le délirant Sirio Maccioni. Nul doute que c'est auprès de cette force de la nature, ancien fermier toscan, ayant conquis le tout New York de pâtes aux truffes mêlées à sa faconde, que le Lyonnais va peaufiner une grande partie de son savoir-faire, rayon relations publiques s'entend. Quatre ans plus tard, Boulud ouvre Daniel, puis un service traiteur, puis Payard, pâtisserie référence, suivra la déclinaison des brasseries Boulud. Café Boulud où l'on brunche, en compagnie de clones de Queen Élisabeth en tailleur Chanel, d'œufs sublimes au regard comme en bouche. Facétieux, la façade est en travaux, le chef a fait dresser une bâche protectrice imprimée de lauriers avec dedans la tête du chef en un clin d'œil jovial ! Il pense décidemment à tout. Son Dinex Group composé de deux associés financiers fidélise une trentaine de collaborateurs chargés de gérer les filiales à NYc comme à Pékin où la Maison Boulud a ouvert deux mois avant les JO, les deux unités de Vancouver et il y a quelques jours, le DBGB. Quid de l'arrivée du point G dans l'intitulé, il ne sait, « un truc gipsy », dit-il hilare. Il y a probablement de ça, il sort des quartiers chics pour alimenter la jeunesse en goguette sur Bowery. Un festival, 50 bières et la saucisse portée aux nues dans un univers casual de gamelles en cuivre offertes par 150 chefs de la planète. Pendant que les journaux publient les plans volés sur le chantier par des paparazzis déguisés en ouvriers, « Pour la presse, les resto, c'est mieux que le théâtre », lui a tramé son plan depuis son trendy « Bar Boulud » à côté de Trump tower qui accompagne le verre de vin de pâté de campagne, de compote de joues de bœuf, de pâté de tête, de saucisson de Lyon made in les immenses cuisines du sous sol où trois de ses chefs ont été formés par le fameux charcutier Parisien Gilles Vérot. Ici donc que Vérot convertit de jeunes chefs à dégaine de rappeurs aux délices de la french sausage, de Mortau à Strasbourg avec de l'AOC dans l'assiette. « Je suis plus excité à faire 14 saucisses que de créer une salade. Le métier de charcutier est en train de disparaître en France et c'est regrettable. Les charcutiers achètent des carottes toutes préparées chez le grossiste. Je pense qu'il va y avoir une grande renaissance, les gens font de plus en plus faire la différence entre le bon fait maison et le produit usiné».
Il y a dans Boulud un fou de food entiché de New York, au point de lui offrir une cuisine matinée de terroir avec de la méthode dedans et le grain de sel de big chief comme le braisé de bœuf glissé dans son fameux hamburger au foie gras servi au DB Bistro Moderne à côté du Sofitel. Et, surtout un passionné. « La cote ouest, un pied de la Bretagne ; les petites pétoncles de Long Island, des bonbons ; les grenouilles de Floride… » Il dit cuisiner avec spontanéité. « J'essaye de rester français c'est peut-être ce qui a fait mon succès » tout en précisant, « il faut avoir de la chance, et aller la chercher ». Mais, si en France personne ne le connaît vraiment à l'exception d'un Christophe Marguin capable de délaisser Saint Tropez pour NYc, les New-Yorkais savent que Daniel est homme d'honneur. Au séisme de Nine Eleven, il réagit en fermant Daniel pendant une semaine, le personnel mobilisé à la fabrication de sandwichs envoyés par bateaux sur Ground Zéro. Face à l'épuisement des pompiers et sauveteurs, avec le soutien des bénévoles, il dresse une cantine directement sur place et sert braisés, ragoûts et bols de riz apporté par tonnes par la colonie chinoise. « On a tous nos tourments personnels, mais avec Nine Eleven on a vécu l'Apocalypse. À la réouverture de Daniel, on a pris la décision de se débarrasser du personnel peu sensible, du maître d'hôtel bling. Les restaurants français sont trop connus pour être obséquieux et élitistes. Me concernant, il fallait que j'élimine cette image ». Avec Micky, son épouse depuis 23 ans, il a eu Alix qui fréquente un collège huppé de Boston. Alix, boute-en-train de 19 ans au sein de la colonie des étudiants franco-américains. Mais quand Daniel s'évade de système Boulud, il a un petit plan B, un authentique club de Harlem, rien de folichon, juste underground, pour aller écouter du jazz incognito une Heineken en main.
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