Photos © Jean-Luc Mège

Par Nadine Fageol

Oui, c'est elle la fille de la petite lucarne qui butine le meilleur des chefs. Elle vient de sauver  « Goûtez-Voir» sur France 3 menacé par la crise budgétaire qui ravage la chaîne publique. Rencontre dans son jardin échevelé. Fine lame

. Pas besoin d'aller au bout du monde pour s'évader, tenez cette maligne d'Odile Mattéi s'est trouvée un havre de paix à Caluire. Un porche défraîchi au bout du chemin et derrière, un petit coin de campagne comme on en rêve tous. L'ancienne ferme agrandie au fil du temps part à l'assaut de la colline où le farniente se distille en terrasse à transats, terrasse à chaises longues, coin repas sur table en bois délavé et au sommet d'une prairie d'herbes folles, une balançoire. Un condensé de simple nature. Des céramiques d'ici et d'Afrique, des yeux avides de sens traversant les toiles d'Évaristo, une vierge roumaine réglée en plusieurs fois, des paniers de livres, une cheminée derrière la grande table de la cuisine… Qui se ressemble s'assemble, chez Odile Mattéi la vie est une culture, un peu comme avec ses invités qu'elle retourne comme une crêpe de son sourire désarmant dans ses reportages gourmands. « J'adore faire parler les gens, qu'ils me racontent des histoires », Odile Mattéi c'est notre Jean-Luc Petit Renaud à nous, habitants rhônalpins et auvergnats réunis, la touche féminine remplaçant la bonhomie et les bruitages bachiques du monsieur. « Pousse café », « Pays d'ici » ou « Goûtez-Voir », Michel Lemerle – rédacteur en chef sur France 3 – ne s'y est pas trompé quand il confie une émission en direct à cette spécialiste des lettres modernes qui a eu le culot de refuser un poste de femme tronc ! Il faut savoir que l'étudiante aixoise a préféré le théâtre au divan pour endiguer une grande timidité. Pour le reste, elle s‘autoproclame « pur produit de l'immigration », d'origines italo-grecque par sa mère et corso-dauphinoise par son père.

En résulte, une on ne peut plus seyante quinqua indépendante à la pertinence habilement enveloppée dans un cocon fait de douceur et d'autorité. Une maison porteuse d'équilibre, de même elle fuit le bazar de l'hypocrisie et de la jalousie inhérent au monde médiatique pour cavaler dés potron-minet sur les routes de l'authentique. Sur la porte de son bureau, un poster de Salers, plantureuses vaches rouquines, remplace la plaque à son nom ! « Je peux manger avec un ministre comme avec le paysan cantalien ; il faut aimer les gens pour ce qu'ils sont ». Justement dans l'univers de l'agro-gastronomie, elle est plus célèbre que n'importe quel ministre ; c'est que sa manière de battre campagne pour en révéler la nature des faiseurs de bonnes choses fait grimper l'audimat. Et voilà que l'audience vient de sauver son émission menacée de passer à la casserole pour raison budgétaire. La suppression de la publicité sur la chaîne publique entraîne un tel charivari que l'on peut se demander de quoi sera faite la grille de rentrée ? Bien vu, au moment où 40% de la population française menacée d'une cochonceté de grippe devra vivre recluse chez elle probablement devant « Plus belle la vie » diffusée en boucle. Odile a dû sentir venir les choses pour avoir fait provision au gré de ses expéditions de produits de terroir. Dans sa cave, les saucissons se reproduisent en stalactites, du genre entiers, à la moindre présence d'étiquette made in Asie, ils s'emparent du malheureux détenteur, l'ingurgitent et le déglutissent en un petit biscuit qu'Odile jette promptement à la poubelle.

Désemparée, elle déserte l'endroit pour se replier sur la cave des livres et celle des bouteilles dégustés avec fromages et crème de marron dont elle contingente les stocks afin d'éviter toute réitération d'agro-rebellions. Seulement 50 boîtes de crème de marron. Son photographe de mari ne dit mot par principe, et sa fille Camille adhère car elle adore les gens au caractère vertement trempé. Grande gueule savoyarde, son préféré lui a offert son accessoire principal, un chapeau noir. Voui, Camille possède un chapeau de Marc Veyrat, « un écorché vif sincère sans demi-mesure ». L'apanage de fréquenter la fine fleur des toqués favorise le discernement. Tenez, le jour de ses 50 ans, Odile a vu le géant Patrick Henriroux débouler à moto avec bouteille de vionnier et savonnettes bio. L'humilité et l'engagement d'un Régis Marcon à défendre la cuisine auvergnate, les premiers pas du jeune Serge Vieira installé dans une chaumière design à Chaudes Aigues autant dire un trou du Cantal. Laurent Petit à Annecy, François Gagnaire au Puy, Joseph Viola (Daniel et Denise), Davy Tissot (Villa Florentine) et Philippe Gauvreau, ainsi que Le Théodore, à Lyon… Elle vibre, soutient et ne peut réprimer un mouvement de révolte face à la créativité d'un Jacques Décoret cantonnée à une simple étoile à Vichy. Entre une lichette de fromage et un ballon de rouge bien mis, tout d'un coup elle dit, « On a deux fois plus de difficulté à s'imposer quant on est une fille ». N'empêche, elle vient de se battre bec et ongles pour sauver « Goûter-Voir » jusqu'en décembre 2009. Après, mystère. Engagée encore au sein d'une association, avec dix copains qui régulièrement s'en vont remettre des écoles à flot et cahiers et crayons dans les cartables de 800 enfants burkinabés. « J'épluche les comptes sinon je ne me serai pas engagée ». Que du bon sens, de cette fille là on redemande encore et du « Goûtons-voir » aussi parce qu'à ce jour la gastronomie est tout de même une identité régionale vecteur de manger bon. Tout un art de vivre.

L'émission « Goutez voir » est diffusée le dimanche à 11h30 sur France 3 Rhône-Alpes Auvergne