Par Alain Vollerin
Prévenant, curieux, élégant, il officia pendant plusieurs décennies au journal Le Progrès, où il était entré dans l’immédiat après seconde guerre mondiale par le soutien de son indéfectible ami, André Faucon.
Il sera bientôt rejoint par un autre grand disparu de ces derniers mois, le romancier Bernard Clavel. Rien ne le prédestinait à cette carrière. Fils de Victor-Adrien Robert, architecte, longtemps secrétaire de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts sous l’administration de Tony Tollet, et peintre de paysages bucoliques, de saulaies (qu’il signait du pseudonyme de Max Lerrant, parce qu’il appréciait le concept d’errance à la manière de Pierre Loti ou Victor Segalen) de la région d’Irigny où il vivait, où Jean-Jacques est né le 21 septembre 1922. Il avait donc un peu plus de 88 ans, lorsqu’il s’éteignit vendredi dernier, et non pas 89, comme on l’a écrit. Jean-Jacques pensa d’abord s’engager dans une carrière artistique, architecte ou peintre comme ses condisciples à l’école des beaux-arts où il s’inscrivit le 23 septembre 1940 : Joseph Maillet, André Cottavoz, Henriette Barbezat, Jean Zumbrunnen, Paul Clair, Jean Mélinand, et surtout Paulette Michey qui deviendra célèbre comme chanteuse sous le nom de Mick Micheyl. S’il n’avait quitté l’école en avril 1941, pour entrer à l’université, il aurait fait partie de la génération Sanzistes avec Jean Fusaro, Pierre Coquet, Françoise Juvin, Antoine Sanner, et Jacques Truphémus qui s’illustra en 1948, à la chapelle du lycée Ampère. Il couvrira les expositions du plus inspiré des galeristes lyonnais du XXe siècle, Marcel Michaud, auquel le musée des beaux-arts rendra hommage dans quelques mois. Là, il rencontra Pablo Picasso, lors de sa venue en 1953.
Il sera l’ami de Jean Duraz et Jean Bertholle, membres du Groupe Témoignage de Lyon. Implanté dans cet univers par son père, Jean-Jacques assista souvent au vernissage du salon de Printemps qui était encore une institution incontournable, soutenue par le député-maire Edouard Herriot. Il figura aux premières loges croisant les valeurs locales de l’époque : Eugène Villon, Joseph Perrachon, Louis Charrat, Antoine Barbier, Madeleine Plantey, Jean Dulac, etc. Il admirait particulièrement les œuvres d’Alexandre Bonnardel. Jusqu’en 1958, Marius Mermillon, Henri Béraud étaient encore vivants, on ne pouvait écrire ou dire n’importe quoi. Une autre personnalité occupait le terrain dans les colonnes de Dernière-Heure Lyonnaise, René Deroudille, pharmacien, et fort tempérament, le contraire de Jean-Jacques. La ville était alors en matière d’arts plastiques une sorte de désert culturel. Les deux hommes feront une sorte d’équipe. Deroudille courant devant l’épée flamboyante, poussant des coups de gueule souvent contre l’équipe amorphe d’Herriot), et Jean-Jacques, négociant avec diplomatie quelques concessions de la part du pouvoir, surtout après l’élection de Louis Pradel. Ils soutiendront Jean Couty, Maurice Ferréol, les photographes Théo Blanc et Antoine Demilly, bien entendu, mais surtout : Marie-Thérèse Bourrat, Pierre Jacquemon, Paul Siché, Charles Giaume, Jim Léon, Jean Janoir, Max Schoëndorf, Henri Ughetto, etc. Toute une génération. Avec André Mure, ils fonderont en 1976, l’Espace Lyonnais d’Art Contemporain préfiguration de l’activité de Thierry Raspail. René Deroudille sera le premier avec Bernard Frangin à découvrir Roger Planchon dans un concours de théâtre à Mâcon. Jean-Jacques reprendra le flambeau et naîtra une longue et fidèle amitié qui s’étendra à un autre créateur passionnant, Marcel Maréchal. Jean-Jacques se sentait très proche alors des idées communistes. Il aimait toujours l’affirmer, lorsqu’il devait provoquer. Nous étions en désaccord, mais j’ai bénéficié de l’intérêt qu’il montrait aux débutants.
Pour Mémoire des Arts, nous avons réalisé quelques documents indispensables, comme un certain entretien avec Louis Thomas, premier assistant de Tony Garnier, lui aussi lié au Groupe Témoignage de Lyon ou l’hommage à l’orfèvre Albert Duraz dont les bijoux sont à Paris au musée des arts décoratifs. Pour FR3, il avait participé à des reportages dont un sur le peintre Pierre Combet-Descombes. Il connaissait bien le climat de notre ville, ses règles de silence, la force de ses clans. Il en jouait. Après le départ de la famille Brémond, à la suite de la vente du Progrès, lorsque Hersant triomphait. Jean-Jacques choisit de partir, non sans regrets. Par l’intervention d’un de ses amis Robert Abirached, il obtint auprès de Jacques Lang (avec lequel, il partageait un grand appétit de théâtre d’avant-garde, qu’il avait croisé à Annecy et dans Avignon), un poste d’Inspecteur, puis Inspecteur Général des Théâtres. Il fut au ministère de la Culture très apprécié de ses collaborateurs. Dans ces années-là, il sera coupé de la réalité du monde des plasticiens lyonnais. Le jour de sa retraite, nous le vîmes détendu, heureux de retrouver son territoire. Il reprit son statut de caution officielle des puissants. Pas un projet ne s’échafaudait sans la caution morale de Jean-Jacques Lerrant à droite, comme à gauche. Ainsi, il milita avec Régis Neyret pour l’inscription de Lyon au Patrimoine de l’Humanité. Depuis son retour, il formait dans l’univers théâtral un duo très actif avec son ami René Gachet qui fut directeur de la Drac. Récemment, Jean-Jacques fréquentait encore les galeries habillé de mauve, casquette noblement installée sur la tête, le teint rose comme un bébé cadum. Il ne laissera pas d’ouvrages fondamentaux. Il n’aimait pas le travail au long cours de l’historien, ni les combats de la critique d’art, mais plutôt les articles rédigés dans son style journalistique personnel, où revenait souvent le mot " gourmand". Il y a peu, on pouvait encore le croiser chez Marco Asti, au Tartufo, le meilleur restaurant italien de la Cité avec ses amis Elyane Gérome et Bernard Villeneuve. Une de ses dernières satisfactions fut sans doute l’exposition dédiée à son camarade Max Schoëndorf par le musée des beaux-arts.
A son épouse Bernadette, à son fils, à sa famille, à ses nombreux amis, nous présentons nos sincères condoléances.
0 commentaires