Photos © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
Un beau samedi matin de septembre autant dire que l'on a autant envie de se rendre chez Pierre Nallet que de courir à Carrouf. RdV au café de Genève avec Marco, un patron raide en retard. Retard grâce auquel l'occasion nous a été donnée de voir une dernière fois Hervé, un garçon formidable à la frimousse brune et aux yeux toujours plein de rire. Une semaine plus tard, sa pendule casse net, le boute-en-train de 40 ans s'envole pour le ciel… Arrive enfin Marco avec une mine pas possible, on grimpe dans la Mini pour se perdre dans les pavillons de Bron.
Surprise, les Nallet n'habitent pas dans l'Ouest Lyonnais. Et, un stéréotype qui saute. Un grand bonhomme brun en polo nous hèle depuis le jardin, une énorme peluche s'enfourne dans nos jambes puis des enfants nous embrassent tout bonnement. Deux garçons moulage « copier-coller » blonds, une petite fille aussi brune qu'espiègle. Une brunette à tempérament déboule dans la Porsche de papa. Nul doute, il va falloir deviser sur le thème de la famille recomposée, histoire de comprendre qui est à qui. La maison n'a rien d'une ode au marketing déco-architectural, juste une version 70 des bâtisses années trente toute en rotondes, entourée d'un jardin de curé possédant l'énorme avantage de se situer à 150 mètres de la demeure des grands parents paternels régulièrement mobilisés à la préservation du chien en milieu déserté. Dans la cuisine, Catherine Nallet habillée en working girl. Mais comment allons-nous bosser si elle s'en va ? Méprise. On l'expédie à sa garde-robe en compagnie de Kathleen 13 ans ; en pleine Paris Hiltonmania, rien n'a de grâce à ses yeux si ce n'est les boîtes griffées des bijoux de maman écrin à ses petits trésors. Raoul, le chien dernier format avant le Saint Bernard invite au jardin, présente sa tanière ; niche loft, espace privatif clôturé. Pierre a été obligé de sévir car petite, la peluche zigouillait tout avec un faible pour les essuies glace de la voiture noire, une marque adorée de la gente masculine parce qu'obligeant les filles à des contorsions pas possibles pour arriver jusqu'au siège. On se dit que le patron est décidément très, très fort quand on voit, les enfants Nallet installer la table du petit-déjeuner suivi de Pierre en papa peignoir, plateau en mains. En fait, c'est lui qui cuisine. Catherine a assoupli la toilette, Miss Kathleen en robinette blanche prend la pose avec Raoul tandis qu'Alexandre dévaste le pot de crème à tartiner. Le soleil darde des rayons, une vraie pub pour la chicoré. On commence à comprendre comment fonctionne cette famille parfois très, très blonde ou autrement très brune. Kathleen, celle qui fait tourner son monde en bourrique, est la fille de Catherine. Manifestement quand Pierre fait des enfants, c'est pour rendre un brillant hommage à leur mère ; témoins, Alexandre (13 ans) et Charles (11 ans) blondissimes.
Chacun est pris quand le couple se rencontre à la trentaine, chacun va quitter son histoire pour en construire une nouvelle, affronter la vindicte du « qu'en dira-t-on » avec sa litanie du « ça ne va pas durer quinze jours ». Seulement, Brune à l'enthousiasme contagieux a huit ans. Professionnellement, Catherine s'initie à 22 ans à « la stratégie visuelle sur le marché diffus » chez Brice Robert, dont Jacques le patriarche vous entretenez les pieds sur la table. « J'étais une Brice girl » lance-t-elle dans un éclat de rire. Aujourd'hui, elle se passionne pour l'immobilier d'entreprise tout en se posant des questions en quête du juste milieu entre implication professionnelle et son rôle de mère de pré-adolescents. Difficile de glisser du statut de working-girl à la peuplade des Desperate Housewifes. Elle cherche. « Heureusement, nous sommes en phase, Pierre est un père qui se débrouille pour être chez lui le soir ». Elle le décrit, drôle, fantasque, autoritaire, sûrement beaucoup plus simple qu'on ne le prétend. Lui, perplexe sur l'art d'élever des enfants en proie aux mirages, tient les rênes, alternant dérision et fermeté face à une Kathleen qui devrait recycler son bagout dans le théâtre. Bref, on en est à se demander s'il ne faudrait pas réviser tout Dolto dare-dare quand Pierre déverse le frigo sur la table. En phase Alexandre sort le rosé en magnum, plus pratique et franchement avenant. Ça veut aussi dire que bientôt corrompus par la boisson, l'on ne parlera plus que de choses impubliables. Donc voilà ce que l'on a pu quérir avant de sombrer dans une franche rigolade parce que Nallet couple n'a pas les yeux dans sa poche quant à son environnement. Pierre Nallet a la présence envahissante. Grand, le physique appuyé, une assurance incroyable du haut de ses quarante ans, parle sans manière, tutoie instantanément, va à l'essentiel. Dans une réussite, il faut toujours pister les origines. Il évoque des grands-parents, jardinier et cuisinière dans le château d'un célèbre industriel. Jean son père était « maçon », disons bâtisseur de gros œuvres qui, entre 1958 et 1962, va construire le palais des sports et le stade de Gerland. « Quand le bâtiment va tout va », Pierre s'enfourne dans la brèche saisissant qu'il y a à faire dans une ville tarabustée ici plus qu'ailleurs par le manque de foncier. Nallet, c'est de la réussite alimentée au bon sens gigot bitume. Le directeur de Sogelym Conseil rejoint la holding paternelle en 1996 qu'il argumente d'une branche promotion immobilière pour revendre en 2001 les cinq sociétés spécialisées dans le bâtiment… Synthèse : « à force de vendre autant être promoteur nous-mêmes ».
Dans la valse économique, voilà sa société confrontée à la phase critique, il faut réarmer le capital. Alors naît le projet de rapprochement avec Jean-Christophe Larose du groupe Cardinal sous l'enseigne dans un premier temps de Pierre Nallet Immobilier. Le montage réalisé début octobre fait frémir dans le landernau, les convaincus achètent de l'immeuble par téléphone, les pessimistes pronostiquent une rupture saignante du tandem Nallet-Larose. Il y a là-dedans une réussite comme dénuée de toute forme d'affect. De quoi énerver. Avec Larose, réputé sauvage, il fait partie de cette nouvelle race de gagneurs décomplexés de tout. Simplicité équivaut à efficacité. Il se réclame d'une gauche modérée et s'affiche pro Collomb, « par nature ma famille est de droite, moi je suis pour le nivellement par le haut. Si je gagne de l'argent, mes salariés aussi ». Et d'asséner : « les stocks options, le CAC 40, tout ça m'horripile. La civilisation médiatique de Sarkozy et puis quoi encore ? Demain le président va débouler pour couper la haie chez moi parce que le jardinier n'est pas venu ? »… Géraniums ratatinés, rosiers échevelés, c'est vrai qu'il y du boulot ! Fidèle dans ses engagements, il est de la première aventure Tribune lancée par Fernand Galula pour sortir à nouveau le chéquier quand une partie de l'équipe reprend l'hebdomadaire laissé vacant au tribunal. Aller de l'avant dans une logique d'entrepreneur, pousser autrui dans la locomotive économique au nom de la relève « parce que c'est la logique de la vie ». Impliqué, il n'aime pas « les renfermés », concerné tout en veillant à préserver l'avenir qui passe par une ferme récemment achetée en Drôme. Il s'imagine vieillir, bien, avec son chien et ses plantes ; la retraite urbaine meublée de cocktails, impensable. Travail et enfants, dans l'immédiat la famille Nallet ne tient pas en place. Dans son sillage, des amis ayant vécu les vicissitudes, un lien très fort l'unit à Thierry Cottin, tandis que l'avocat Richard Bret et l'éditeur golfeur Hervé Bal composent sa garde rapprochée. Au rayon amusement, l'ex DJ Dominique Lafoy, rencontré un soir de BAC raté à l'Auberge du Garon. Enfin, une amie vétérinaire adorée avec qui il ne parle que de l'humain !
We love Pierre Nallet corporation!!!! Encore!