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« Je cours surtout pour collecter des fonds pour l’Arc et montrer que ma souffrance est ridicule par rapport à celle des malades. » Dossard n°1210, le lyonnais Hubert Damoy est allé au bout de « sa » Saintélyon (72 kms en nocturne), dimanche 7 décembre. Victime d’un crash aérien en 1978, deux jambes broyées et une quinzaine d’interventions plus tard, cet trailer de 45 ans livre un récit époustouflant qui illustre la notion de dépassement de soi.
« J’essaie de dormir mais trop d’hormones m’en empêchent. C’est parti pour le récit de ma nuit.
Départ minuit de Sainté qui est vraiment une ville très magnifique. Premiers hectomètres et tout va bien bonnes relances bonnes sensations. Mais l’eau de mon camelbak a un goût d’écuelle a rat.
Les premiers chiffres tombent et ils sont bons même si je mets le pied sur le frein pour respecter mon tableau de marche. La route se rétrécit et se transforme en chemin, nous sommes en direction de Sainte Catherine avec Brian mon nouvel ami américain qui me suit comme une frite son hamburger.
Les choses deviennent difficile le tracé ne fait que monter et un peu descendre et je commence à sentir mon estomac vriller et les sensations se modifier. Nous passons Saint-Christo et le terrain se transforme en tranchée de 14-18, nous pauvres poilus, défiant cette terre hostile sous les coups des allemands …. Ouhlalala… Je délire mais c’est le sentiment général et pas moyen de trouver un rythme. Je garde en mémoire mon calvaire 2013 et ne veux surtout pas le revivre. Je me ravitaille vite fait à Saint-Christo et Brian et moi repartons avec notre 9km/h de moyenne, nous marchons dans les côtes et relançons sur le plat et les descentes. Le 28eme arrive pour le gros stop de Sainte-Catherine mais je suis déjà bien entamé et mon genoux droit commence à être douloureux alors que la cheville gauche protectrice du genoux se vrille allègrement mais notre ami kinésithérapeute m’a mis les 2 chevilles dans des conques et rien ne les tords.
Je fais un stop de 20 minutes et repars la fleur au fusil, j’en suis a 3h30 de course et commence à calculer mon temps d’arrivée…mais au 33km le mur me fracasse comme l’an dernier et je commence a me sentir mal… Genoux, hydratation déficiente… Je bois tout ce que je trouve et je respire comme une loco à vapeur. Dans la descente du bois d’Arfeuille je même mets le cligno et me cale contre un rondin de bois, j’éteins ma frontale et essaie de dormir mais les pas des autres coureurs sont comme des forets et au bout de 10 minutes, je réintégre la pauvre file indienne boueuse.
Je mets mon tel en route et envoie textos sur textos à mon épouse Dominique afin de lui dire que la fin est proche. Je tente d’argumenter pour ne pas perdre la face mais tant bien que mal je me fixe la prochaine échéance à Soucieu, lieu du km 50 et de son ravitos. Bien décidé à jeter l’éponge. Je commence à me demander comment parler de cela en évoquant mon genou ou autre excuse physique… Mais en fait je suis mort de fatigue et perds ma hargne… Cela annonce le premier abandon de ma carrière de sportif dominicale…. et cela j’ai vraiment du mal…et je ne suis pas le seul. Malgré les chemins dégueulasses, la neige, le vent et le froid, les queues interminables pour passer les flaques j’arrive à Soucieu. Je m’alimente et m’allonge au milieu des poilus hébétés à même le sol.
Au bout de 15 minutes, je vais vers la zone d’abandon et me prépare à commettre cet acte lâche… Puis, grâce à mon épouse Dominique qui m’a inspiré dans cette quête je reprends le dessus, elle évoque le levé du jour et me dit que cela va changer ma vision, elle me pousse dans mes retranchements en évoquant mon regret a postériori en cas d’échec…. Bref, sans rien dire, je repars… Elle me rappelle une dernière fois et je lui dis que je suis en route. Le reste se fera avec les couilles et la tête droite en pensant à la cause pour laquelle je me suis lancé la dedans il y a 1 an. Mais jambes me font souffrir, mon souffle est court mais j’avance. Le dernier ravitos sera un moment de bonheur familial avec les enfants qui me font la surprise de m’attendre ainsi que mon inspiratrice au quotidien. Bien entendu je suis sûr de ne plus lâcher et tant pis pour le temps… 10h, 12h ? Je m’en fiche, seul le geste compte. Ainsi que la fierté et le sourire familiale. Les chemins montent et montent et remontent mais pas grave faut avancer. Mon pote Yoann Stuck m’appelle me dit qu’il a fini 8eme avec de mauvaise sensation et je ne rigole pas car cela est le sel de sa motivation. Il me dit être fier de moi…je suis au bords des larmes, comme lorsque la famille (re)pointe son nez plus loin…trop d’émotion et de pathos.
Gerland arrive, la fin est proche, 200m 100m…arrivée avec le fils….c’est fait en 11:30 et des brouettes… Je suis démoli, fier et heureux…..nous sommes encore a quelques euros de mon objectif alors…
Mais plus jamais je ne referais cela en solo…fini, fini, fini…..mes capacités physique ne sont pas suffisantes et les traumatismes subis plus jeune ne le méritent pas….il faut quand même respecter les chirurgiens qui m’ont rebâtis un genoux…merde alors…allez repos et place à la suite. Je vous aime et je remercie ma femme Dominique, mes loulous et mes potes Stuck et Michaël Lecuivre. »
Très beau récit qui suscite le respect.
J’ai la chance de connaître Hubert, encore bravo !