Photos © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
Avant Gérard, il y eut un autre Collomb à avoir joué les conquistadors de l'Hôtel de Ville de Lyon. C'était autrefois… A 97 ans, Francisque Collomb a toujours bon pied bon œil et n'a pas encore décidé de l'heure de sa retraite. Rencontre avec un vieux berger à la transhumance étonnante.
Travailler pour Lyon People a quelque chose d'irrésistiblement drôle. Rédac chef Marco aime à surprendre, aller là où on ne l'attend pas forcément. Il aime Lyon et la galerie de personnages qui contribuent à la façonner. Nous, on ne fait que les rencontrer afin de brosser un portrait à partir de bribes, d'instantanés recueillis parfois dans des conditions limites. Essayez de faire parler un ponte, avec ses proches intrigués dans les pattes, l'humeur fluctuante du photographe et Marco furetant après une hypothétique baignoire… Est-ce le tumulte des municipales qui lui a donné l'envie d'aller revoir Francisque Collomb, maire de Lyon de 1977 à 1989 ? Sans aucun lien de parenté avec Gégé Collomb II. Du people historique, idée pas drôle du tout, à priori. Que rédiger si ce n'est respect sur un monsieur né le 19 décembre 1910 qui a été maire, président du Grand Lyon, député européen, sénateur, a fait construire Eurexpo, le pont Winston Churchill dont il est très fier, Interpol, lancé le chantier de la Cité internationale, la rénovation de l'Opéra et créé l'Aderly. Un very old people ! Difficile quand on ne possède pas le talent d'un Marc Lambron cultivant l'art de mettre des mots sur des miettes. Trêve d'introduction. Quelqu'un m'a dit et sans chuchoter que Francisque Collomb était un berger. C'était au siècle dernier, là-bas à Saint Rambert en Bugey, le jeune Francisque croise son copain Charles Béraudier, future stature politique lyonnaise du XXe siècle, qui lui dit en ces termes, « va à Lyon, au bureau de placements ». Il s'exécute, ainsi démarre « l'histoire ahurissante de Francisque Collomb » dixit un journaliste de droite fin connaisseur des entrailles lyonnaises.
De son premier job, Francisque retient, « le patron n'était pas sérieux ». Lui le sera, et il le fut, en tant que maire, guère de casseroles à ses basques, hormis des histoires de jolies filles. Car comme on dit en vieux français, Monsieur le maire portait beau, dans son jeune temps, son ami Frédéric Dard parlait même d'une « beauté ténébreuse ». D'ailleurs s'il a mauvais pied – une canne soutient des jambes chancelantes – il a bon œil. Le beau regard bleu perçant de Monsieur Francisque en dit long. Rieur. Un peu tête de mule aussi. Plutôt songeur, que causeur. Gilles, son fils n'a pas hésité à enfiler l'habit d'homme de compagnie, il veille en ponctuant parfois l'attention de coupettes ou de « Papahhhhhh ». C'est qu'à 100 ans moins deux, Monsieur le maire se lève dès potron-minet, enfile le gilet de cachemire sous la veste de costume et se fait conduire dans son entreprise achetée moribonde en 1949 à Lyon, déménagée depuis dans l'Ain. Avec ses 85 collaborateurs, Chimicolor opère sur un florissant marché de niche, la gravure de plaques en laiton, aluminium, inox, ou plastique. La gravure fixe des moments de vie en quelques mots, parfois tristes : « le temps passe le souvenir reste », parfois drôlement désuets : « Défense formelle d'embrasser le chauffeur sauf à l'arrêt ». Parfois chic : « Fine champagne ». Parfois pragmatiques : « prix au kilo, origine ». Évidemment, le fiston dirige l'entreprise dont Francisque reste le p-dg. « On lui a piqué sa mairie ! », regrette Gilles, alors pas question de délaisser Chimicolor. Instinctivement lors de son passage dans l'usine, les ouvriers vont à sa rencontre, échanger quelques mots. Dans le hall, une collaboratrice dépasse le consensuel pour cet espèce de papotage familièrement protecteur que l'on sert aux anciens dans les maisons de retraite. Toujours là mais déjà loin, il n'en prend pas ombrage.
Dans son bureau, il feuillette le journal. « Le Progrès est devenu socialo avec Gérard Collomb mais Lyon n'est pas une ville socialo ». Francisque était à droite mais sans étiquette, « au Sénat, Alain Poher m'avait rattaché administrativement au parti centriste ». En bon paysan, Francisque était conservateur porté au pinacle par l'ami Béraudier qui avait besoin « d'un jeune industriel sérieux et dynamique » pour boucler la liste gaulliste présentée contre Pradel aux municipales de 1959. Bien qu'en fin de liste, il est élu conseiller municipal que Pradel va prendre sous son aile. Il se fait la main avec la construction du marché gare. En 1962, Louis Pradel le nomme vice-président de la Foire de Lyon puis président en 1969 chargé d'accueillir les personnalités de passage. Il nous dit avoir adoré rencontrer la Bégum et la princesse Grace venues inaugurer la roseraie du parc de la Tête d'Or mais dans « Entretien avec Francisque Collomb » de Jean Butin, il souligne, « Il est vrai que certains parlaient de ma belle prestance et de mon élégance naturelle ». En vieillissant, la mémoire se fait sélective, Francisque a oublié les empoignades, son vieil ami Johannes Ambre lui manque, « s'il avait été vivant lors des municipales de 1989, on ne m'aurait pas fait toutes ces saloperies ». Il ne digère pas l'époque de la conquête des quadras à droite. « Michel Noir et son fric, ça ne lui a pas porté bonheur » renchérit Renée, épouse attentive, jolie blonde aux yeux mais d'un bleu ! Renée c'est de l'épouse, de la vraie, elle a gardé Francisque, elle. Elle ne l'a pas plaqué comme celle d'avant, partie avec un « mossieur » rempli de pouvoir d'achat. Francisque s'amuse, ses yeux clignent, la fatigue gagne. Dans l'immense appartement du 6ème, à côté du marché Mongolfier créé par Monsieur le maire, flanqué d'une surréaliste salle à manger hispanisante, il quitte le profond canapé et confie en aparté, « Frédéric Dard, lui c'était un chic type, nous habitions le même palier à la Croix-Rousse. Après avoir tant rigolé avec lui, je pouvais devenir sage ». Savez-vous que jeunes gens, ces deux la ont batifolé dans la fontaine Batholdi un soir d'arsouillerie ? Une chose à savoir, Collomb l'ancien a stoppé l'air du tout béton selon Pradel pour favoriser la verdure et instauré les grandes infrastructures qui font la renommée de la ville aujourd'hui. Un berger visionnaire.
VOUS ETIEZ UN TRES BON PATRON SIMPLICITE – EFFICACITE – ET SURTOUT GENTILLESSE PAS DE « CINEMA » Il m’appelait « Mon Petit » ADIEU PATRON