Propos recueillis par Morgan Couturier et Marco Polisson
Replié à Châtillon-sur-Chalaronne, le président des Toques Blanches, Christophe Marguin, témoigne de son inquiétude pour ses confrères et du sort promis à ces derniers une fois la crise du coronavirus terminée. Pour survivre, il en appelle au bon sens des banquiers et du gouvernement.
LP : Quel est votre sentiment sur cette crise totalement inédite ?
CM : Mon sentiment est la peur. La peur de ce qui va se passer quand le confinement sera terminé. Je pense aux résultats pour les entreprises, pour mes amis chefs… Je pense à eux aux salariés et au fait que certains seront dans des situations plus difficiles que d’autres. On n’arrive pas à imaginer ce que va être la reprise ou même peut-être que l’on l’imagine trop et l’inquiétude est bien présente chez chacun de nous.
Comment vivez-vous cette crise à titre personnel ? Où êtes vous confinés ?
Je suis à Châtillon-sur-Chalaronne, à la campagne, et je suis avec mon épouse Nicole et nos deux fils Victor et Gaspard, pour l’instant tout va bien. Mes parents sont à Lyon, je les appelle tous les jours. Pour l’instant, je le vis bien, mais c’est plus « l’après » qui me fait peur. Aujourd’hui, je me suis mis à l’écart, on se protège. Après, tout peut nous arriver. C’est le destin.
Le coronavirus serait né de certaines habitudes alimentaires des Asiatiques. Est-ce la preuve que l’Homme dans sa globalité doit revoir certaines habitudes alimentaires ?
Plutôt que des habitudes alimentaires, je pense que ce sont surtout des problèmes d’hygiène. Nous avons la chance d’avoir un pays où nous sommes contrôlés régulièrement. Nous faisons de la prévention en interne, c’est-à-dire qu’on fait appel à des laboratoires pour savoir ce qui va et ce qui ne va pas.
La France est-elle en avance sur ce sujet ?
Je ne pense pas qu’on soit des précurseurs, mais ça fait longtemps qu’on fait attention à tous ces problèmes d’hygiène. Nous aussi, dans notre alimentation, il y a peut-être des produits qu’on a l’habitude de manger et qui peuvent provoquer des maladies. On ne sait jamais. À titre d’exemple, un élevage peut avoir été contaminé. Une maladie peut arriver de n’importe où, la question de transparence et de traçabilité des produits reste primordiale.
« Les seules personnes qui décideront de l’avenir de nos entreprises sont les banquiers. »
Vous avez été réélu Président des Toques Blanches en janvier dernier. Avec de telles responsabilités, comment gère-t-on la fermeture actuelle de tous les restaurants ?
C’est compliqué, parce qu’on a tous appris qu’en à peine 4 heures, il fallait fermer nos restaurants. Nous n’avons pas eu le temps de réagir. Certains commerçants ont pu gérer la situation, mais nous, contrairement à d’autres, on a des produits périssables et il a fallu gérer cette marchandise. Les pertes ont commencé dès les premières minutes. Les assurances ne couvrent pas nos pertes d’exploitation et dès le départ, on a perdu de l’argent, donc on ne sait pas jusqu’où cela ira.
L’association a-t-elle mis en œuvre un plan d’urgence pour ses 110 adhérents ?
Je reste au contact de mes chefs mais malheureusement, nous ne sommes qu’une association et non un syndicat. Chacun doit gérer la situation seul, puisque chacun a ses particularités. La première chose à faire, c’était de gérer notre personnel et de le mettre tout de suite au chômage technique.
Comment les cuisiniers et les restaurateurs peuvent-ils affronter cette crise sans précédent ?
C’est difficile, parce que personne ne sait où l’on va avec nos entreprises, mais aussi avec nos salariés, qui sont au chômage et dont le salaire sera diminué. Chacun a des prêts, des loyers… Ils avaient jusqu’à présent un avantage en nature, celui d’être nourris dans nos restaurants. Là, il faut qu’ils se nourrissent eux même. Bien-sûr qu’ils savent le faire, mais c’est un coût qu’ils n’ont pas d’ordinaire. Donc ils vont avoir moins de salaire et un coût supplémentaire pour se nourrir.
« Je trouve inadmissible que ce soit à nous d’avancer l’argent de nos salariés »
Alors que la fermeture des restaurants semble partie pour durer, comment éviter la faillite des établissements les plus fragiles ?
De toute façon, il n’y a pas 25 solutions… Les seules personnes qui décideront de l’avenir de nos entreprises, sont les banquiers. Ils ont la main sur les entreprises. Il a fallu que l’on fasse les salaires du mois de mars, alors qu’on a eu que quinze jours de chiffre d’affaires et de la même manière, pour cette fin avril, alors qu’on n’a pas eu du tout de rentrée d’argent. Tous n’ont pas touché le chômage partiel de nos salariés qu’on a avancé.
Comment les restaurateurs vont-ils payer ces salaires ?
Je trouve inadmissible que ce soit à nous d’avancer l’argent de nos salariés. L’Etat prétend qu’il veut nous aider alors que là maintenant, on nous annonce un minimum de 30 jours avant le remboursement de ce qu’on aura avancé. Si les banquiers ne jouent pas le jeu, dès le mois d’avril, il y aura des entreprises en dépôt de bilan. Les répercussions peuvent être très rapides.
À titre personnel, avez-vous les moyens de résister à cette crise ?
Oui, je peux le faire, mais il ne faut pas que ça dure ! Moi, il y a deux ans que j’ai investi au Président, j’ai de gros remboursements de prêts. Et j’insiste, on compte bien sur les banquiers pour nous aider. On sait qu’on ne pourra pas compter sur nos assureurs, alors on espère que l’on pourra compter sur nos banquiers.
Pour percevoir quelques revenus, certains établissements vendent leurs stocks ou misent sur la vente à emporter. Est-ce une solution viable ?
Je pense que c’est une erreur de faire cela. Après, c’est vraiment un avis personnel, mais je pense qu’il faut que vous le retranscriviez parce que si ça arrive, on ne pourra pas dire qu’on ne l’a pas dit. Je pense qu’à un moment l’Etat va faire le tri dans le chômage partiel.
Qu’entendez-vous par « faire le tri » ?
Aujourd’hui, des entreprises ont demandé à être en chômage partiel, mais l’Etat commence à refuser, parce qu’il ne peut pas tout couvrir. Et quand il va voir que certains restaurants ont fait rentrer de l’argent, il dira : ‘‘vous avez fait rentrer du chiffre d’affaires, vous n’avez pas le droit aux aides’’. J’en suis certain. C’est dangereux !
Quelle est la bonne attitude à tenir ?
On nous a demandé de fermer, on ne nous a pas demandé de travailler. C’est comme dans tout, il faut respecter les règles, même si elles nous coûtent très cher. Ceux qui enfreindront ce qui a été demandé, j’ai peur que ça leur coûte beaucoup plus cher qu’aux autres.
« L’une de mes meilleures qualités, c’est d’avoir une très bonne mémoire… »
Pour qui êtes-vous inquiets ?
Je me fais vraiment du souci pour les petites entreprises. Le gouvernement a déjà l’épidémie à gérer, après les conséquences vont être réglées au fur et à mesure. Ils savent qu’on représente beaucoup dans l’économie française. J’ai confiance !
En matière de politique, le premier tour des élections municipales a été maintenu. Selon-vous, était-ce la bonne marche à suivre ?
La décision était complexe. On va dire que pour ceux qui ont gagné au premier tour la décision était la meilleure. Pour les autres, ça aurait pu attendre un peu.
La crise liée au coronavirus vous permet-elle de relativiser la trahison de Pascal Blache qui vous a sorti de sa liste dans le 6ème ?
Je suis un garçon positif. Et l’une de mes meilleures qualités, c’est d’avoir une très bonne mémoire (rire)… Je crois à mon engagement pour la Métropole et on sait que les mairies d’arrondissement n’ont aucun pouvoir. Pour le 6e arrondissement, 65% du budget vient de la Métropole donc si on a la chance que la roue tourne, je pense que l’aventure peut aussi être très belle. Mais avec tous ces événements, on ne sait pas comment ça va se passer…
Le premier tour a propulsé les écologistes en tête à Lyon comme dans la Métropole. Doit-on s’inquiéter ?
Moi, je pense qu’il ne faut pas mélanger la politique écologique et la vie écologique du quotidien. Les gens ont mélangé le bien-manger et le bien-être qu’ils vivent au quotidien avec la politique. La politique, c’est autre chose ! Si ces gens prennent le pouvoir, alors qu’ils n’ont jamais été dans le système, j’ai peur que ça génère de grosses difficultés à notre ville et à notre Métropole.
Ce serait un gros saut dans l’inconnu ?
A la tête des institutions, il faut des gens qui ont des années de politique derrière eux, parce qu’en France, il y a un système qui est fait ainsi et on ne peut pas le révolutionner du jour au lendemain. Si jamais ils arrivent à prendre le pouvoir, je pense qu’ils auront de grandes difficultés à constituer leurs équipes. J’espère qu’il n’y a pas trop de gens qui retourneront leur veste pour espérer avoir un poste, comme ils ont pu le faire au premier tour.
« L’arrivée des écologistes au pouvoir représente un vrai danger pour la Métropole »
Vous évoquez leur manque d’expérience ?
Ils n’ont jamais eu le pouvoir et ils n’ont jamais rien fait. Je n’ai rien contre eux, seulement, il faut être capable de gérer un billet de trois milliards d’euros à la Métropole. Ça me fait peur… Ce qui fait une grosse partie de l’économie de la ville, ce sont les industries et l’immobilier. Si nos industries n’ont plus le droit de se développer, ou doivent déménager, ou qu’on dit à nos amis de l’immobilier ‘‘vous n’avez plus le droit de construire’’, ça va devenir un gros problème économique pour la ville.
Quand on regarde les résultats de Grenoble, est-ce que l’on doit s’inquiéter encore un peu plus ?
Le problème de Grenoble, c’est que le candidat de droite avait été très mal choisi. Je pense qu’il faut arrêter de parler de Grenoble, parce que l’exemple n’est pas bon. Il n’y a pas que Grenoble. Il faut surtout s’inquiéter pour nous, et je ne sais pas ce qu’il faut faire pour faire comprendre aux gens qu’il y a un danger. Il faut arrêter ces phénomènes de mode et qu’ils réfléchissent, car les conséquences, on peut les payer très chères. Je le répète : « L’arrivée des écologistes au pouvoir représente un vrai danger pour la Métropole »
La prise de conscience écologique des candidats est-elle sincère ?
Concernant la politique écologique, tout le monde a commencé à s’y mettre un petit peu, en voulant verdir la ville et mettre des bacs à fleurs. Parlez-en aux commerçants du centre-ville, ils sont au bord de l’asphyxie. Ils ont beau y croire et beau vouloir continuer à avancer, ils sont chefs d’entreprise comme nous tous et ils se font vraiment du souci. Si un jour, on leur dit qu’on ne peut plus accéder à la ville, ça va devenir compliqué…
Entre les Verts et ce fameux virus, y-a-t-il une raison de rester positif ?
Moi, je suis impatient qu’on passe à autre chose. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, on ne connaît pas le délai et notre seul souci est qu’on ne peut pas se motiver en se disant ‘‘on se prépare et dans huit jours on réattaque, on remobilise nos équipes’’. Tout le monde est à l’arrêt, personne ne peut rien faire. Les gens n’arrivent pas à comprendre deux messages… Le premier, c’est qu’on dit aux gens de rester confiné et le second, c’est qu’on leur dit d’aller travailler puisqu’on a besoin que l’économie circule. L’Etat doit gérer ce problème de communication.
> Article intégral à retrouver dans notre édition du mois d’avril 2020, à consulter ici
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