La disparition de Gérard Couty. Last level

27 octobre, 2017 | LES GENS | 0 commentaires

Le clin d’œil de ses amis de Lyon et d’ailleurs

Gérard Couty est décédé brusquement des suites d’une courte et grave maladie, le 16 octobre 2017, à Berlin où il vivait depuis les années 90. Ses amis lui rendent hommage à travers le portrait ci-dessous.

Il y a bientôt quatre décennies, l’artiste écrivait à propos de la performance iconoclaste ou du spectacle intitulé Avis de décès (1980) et signé Frigo : « Ce fut un travail collectif au plein sens du terme, chacun apportant là son savoir, son âme (mind). Chacun eut un droit de véto absolu. C’est peut être ce travail collectif qui fit la réussite et l’originalité d’Avis de décès. Nous y défiâmes le langage. Ce fût un luxe que nous nous payâmes, l’aboutissement (provisoire) et la somme du travail personnel de chacun. Nous y avons appris au passage deux ou trois choses, comme celle-ci : n’étant pas assez solides pour résister, il valait mieux être fluides. »

Gérard Couty et Gérard Bourgey, « garants de l’orthodoxie »,  co-fondateurs de Frigo avec Alain Garlan et bientôt les artistes berlinois Mike Hentz et Rotraut Pape, posent ainsi les fondations de ce collectif jaillissant à Lyon à la toute fin des années 70. Assemblage hétéroclite et fluctuant de graphistes, vidéastes, performeurs ou danseurs issus d’horizons différents, Frigo, c’était d’abord un lieu : le 51 rue Saint-Michel à la Guillotière (en lieu et place de l’actuel 6e Continent). Une ancienne fromagerie dont la chambre froide inspirera le nom du collectif. Réparties sur toute la surface du site, les différentes activités de Frigo : un atelier de vidéo expérimentale, un local pour les expos, les performances, les concerts et les pièces de théâtre, des chambres pour héberger les artistes de passage… Et enfin un studio radio, celui de Radio Bellevue.

La vidéo, c’est l’une des marques de fabrique de Frigo : des vidéos expérimentales qui les verront se produire dans les plus prestigieux centres d’art moderne (dont le Centre Pompidou avec Eau en 1983, le Musée d’Art Moderne de Paris, la Documenta 8 à Kassel…), ou contribuer à Infermental, un magazine vidéo international diffusé à l’époque en K7 VHS. Fidèle à son désir de mélanger les disciplines et à l’initiative de Charles Picq, Frigo sera l’un des premiers à faire se rencontrer la vidéo et la danse contemporaine, notamment à travers des collaborations avec les chorégraphes Régine Chopinot ou Dominique Bagouet.

Frigo est aussi précurseur sur un rythme de montage basé sur le tempo de la musique et non celui de l’image, comme il était encore d’usage à l’époque. Ce sera aussi le cas pour les clips de Code Public, un groupe pop créé « pour occuper tout le monde » et auquel tous pouvaient participer. On l’a dit, Frigo c’est aussi une histoire humaine où les petites mains ont toute leur place. L’art pour Frigo, c’est la vie.

“On a voulu s’amuser sérieusement !”

La musique et les sons de l’underground sont les autres piliers de l’histoire de Frigo. À l’image du reste du travail kaléidoscopique du collectif, les ondes de Radio Bellevue accueilleront ainsi durant six ans des milliers de montages, de « sculptures sonores », des playlists de labels indépendants internationaux qui envoyaient leurs k7 audio par poste, mais aussi des live et tous les derniers mouvements sonores d’une époque pour le moins bouillonnante, effervescente. Bien décidé à conquérir son indépendance économique et par conséquence artistique, Frigo a au passage relooké le plateau du 13h de TF1 (!) ou réalisé durant de nombreuses années les communications visuelles de théâtres historiques : le villeurbannais TNP (de Planchon et Maréchal) ou le vaisois TJA (Théâtre des Jeunes Années, ex-TNG). L’univers du collectif était ainsi « essentiellement façonné par la rapidité des tournages vidéo, l’urgence des performances, l’instantanéité des Polaroid et des émissions hertziennes 24/24, les tempi furieux du rock… Il s’agissait de réveiller un réel trop mou, trop lent. »

À la suite d’un « Frigo Reset » organisé en 2014 à l’occasion de la numérisation par l’INA des archives du groupe conservées à Berlin, Thierry Raspail et le MAC Lyon décidaient en 2017 de se souvenir de ces pages séminales de l’histoire artistique underground de Lyon, de retracer l’aventure barbelée du collectif Frigo. L’exposition « Frigo Generation, une rétrospective. 78/90 » se tiendra donc durant quatre mois, de mars à juillet 2017, au Musée d’Art Contemporain de Lyon. L’événement aura montré toute la modernité de cet axe créatif Lyon-Berlin, de ce formidable incubateur d’irrévérence qui deviendra l’un des piliers de la contre-culture européenne.

En tant qu’architecte, graphiste, penseur, enseignant et artiste, Gérard Couty a influencé, soutenu et encouragé de nombreuses artistes et élèves. Il était exemplaire : tourné vers l’avenir, tant dans son propre travail qu’au sein de diverses structures indépendantes. En tant que co-fondateur du groupe Frigo et de Radio Bellevue à Lyon, initiateur du projet international Club Automatic, membre de Minus Delta T, rédacteur du magazine vidéo Infernemental et pour d’innombrables autres constellations innovantes, il a été actif durant plus de 50 ans.

Grâce à son influence et à son implication, les projets devenaient poésie, art, magie. Secret, énigmatique, Couty savait aussi être enthousiaste et lumineux. Grâce à sa sensibilité exceptionnelle, à un goût sûr et un œil implacables, il est parvenu à rassembler des personnes de toutes classes sociales, venues du monde entier, et à susciter en elles l’envie d’atteindre des objectifs communs, de vivre des expériences rares.

Son humour grinçant, son impertinence, son charme, ses intuitions, son éclectisme (artistique, musical, social ou politique…) comme sa manière directe de s’exprimer nous manqueront. La passion avec laquelle il s’est battu pour une certaine vision de l’art, dans une constante exigence de qualité («… Je veux que ce soit chic et yéyé ! »), son indépendance farouche, sa créativité aiguisée comme le rasoir nous manquent déjà.

Bon voyage, Couty.

Jah Rules !

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/marco" target="_self">Marco Polisson</a>

Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
Délégué à la protection des données RGPD

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