Texte : Jocelyne Vidal – Après avoir baigné en décembre dans une sombre ambiance de veillée funèbre, un comble pour l’avenue des Frères Lumière, le quartier de Monplaisir se retrouve depuis janvier 2025 au bord de l’asphyxie

La chasse aux automobilistes les prive de places de parking et incite à la délocalisation la dernière auto-école du quartier de Monplaisir. L’inaccessibilité de pans de chaussées trouées, de voies cyclables aléatoires et boueuses…

Les embardées incessantes des cyclistes sur les trottoirs où s’aventurer à pied exige une vigilance de chaque instant…De quoi assigner à résidence les plus vulnérables. A commencer par les personnes âgées et en situation de handicap.

Les places de parkings ont été remplacées par les bornes de Vélo’V

Slalomer entre tranchées et passerelles de tôles instables, après avoir bataillé une heure pour se garer, voilà qui pénalise doublement la clientèle et la directrice de L’Industrie Café Comptoir au chiffre d’affaires en baisse de 30%, moins 50% pour l’une des dernières boutiques de prêt-à-porter d’un quartier village.

« Pour des raisons pseudo-politiques, on déstabilise toute la vie des citoyens », déplorent Stéphanie et Renaud, inconditionnels d’un quartier « menacé de perdre son âme. » Des propos auxquels font écho les termes de la lettre que vient d’adresser Philippe Netter au Maire du 8^ème arrondissement. Son premier courrier, adressé en décembre à Grégory Doucet, est resté sans réponse…

Monplaisir, laboratoire d’une cité modèle de l’invivable ?

« Le bois, la forêt et les contacts humains, c’est ma vie », confie Philippe Netter, « un peu brut de décoffrage malgré mon âge », glisse-t-il avec humour. Avoir parcouru l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Sud dans le cadre de son travail en négoce international, il s’est forgé une âme de citoyen du monde.

Philippe devant la vitrine de la librairie Mise en Page, victime de vols le 26 décembre dernier

Dès 1997, le Parisien est tombé sous le charme du quartier de Monplaisir, où venait d’être affectée sa compagne universitaire, maître de conférences en histoire et civilisation chinoise. Philippe Netter épouse aussitôt « l’histoire de ce quartier industrieux » où brillent les noms de créateurs et d’industriels qui, à l’instar des Frères Lumière et de la famille Berliet, « avaient des étoiles dans les yeux pour imaginer le futur en liaison forte avec l’Humain. »

La boîte mail saturée de Grégory Doucet

Ce vivier d’inventeurs a généré tout un art de vivre décliné par une grande diversité de commerces : pâtissiers, chocolatiers, traiteurs, fleuristes, coiffeurs, primeurs, libraires, boutiques de mode… Autant de nourritures matérielles et spirituelles « en perdition » déplore Philippe Netter dans la lettre qu’il vient d’écrire au Maire de Lyon.

Faute d’avoir pu l’envoyer à Grégory Doucet, à la boîte mail bizarrement saturée et inaccessible, le fidèle riverain de l’avenue des Frères Lumière a adressé sa missive à la rédaction de Lyon People. Dans sa lettre, Philippe Netter fustige « la méthode du passage en force pour requalifier un quartier voué à la désertification par des technocrates aux dents longues qui ont mandaté, avec notre argent, des spécialistes d’aménagements soi-disant humains, fondés sur la simple et unique consultation de graphiques et rapports de l’INSEE. »

Il s’avère certes nécessaire de faire évoluer les aménagements urbains en fonction de l’urgence climatique, « mais il y a des étapes, des formes de dialogues à respecter » pour l’ardent défenseur du quartier de Monplaisir.

L’Avenue, le plus grand restaurant hallal de Lyon

Bloquer un tronçon de l’avenue des Frères Lumière, dévier la circulation vers la rue Paul Sisley en direction de la Place Ambroise Courtois et de la rue Antoine Lumière, privera les commerçants de 30% de leur clientèle venue auparavant, souvent en voiture, des quatre coins de l’agglomération. « De nombreux commerces ferment, qui remplacera ces acteurs de la vie du quartier ? » interroge Philippe Netter.

A deux pas de la librairie Mise en Page, aux piles d’ouvrages pillées le 26 novembre dernier, l’imposante façade noire de L’Avenue, (au 43) autoproclamé « plus grand restaurant Hallal de Lyon » pourrait-il fournir un élément de réponse ?

La montée des incivilités, des tensions entre automobilistes, cyclistes et piétons frôlés à tout moment sur les trottoirs défoncés et même les passages protégés, par des roues et roulettes de tous calibres, feraient-ils de Monplaisir, le laboratoire d’une cité modèle de l’invivable ?

Le mépris des aspirations citoyennes

« Les difficultés de notre pays, comme celles du quartier, sont le reflet d’une même verticalité et d’une même ignorance de l’humain par des politiques qui en font leurs choux gras, au mépris des aspirations citoyennes. »

A 86 ans, s’il le pouvait, Philippe Netter confie qu’il quitterait Monplaisir, non sans avoir pris auparavant, son bâton de pèlerin pour sillonner le marché, les commerces, restaurants et autres lieux privilégiés de contacts et d’échanges pour partager son sentiment de « révolte contre ceux qui détruisent la vie du quartier. »

Déterminé à se battre « sans relâche », Philippe a imprimé son mail, l’a glissé sous enveloppe, à l’adresse de Grégory Doucet. S’il ne répond pas, au moins entendra-t-il « frapper de plus en plus fort les tambours du mécontentement jusqu’en mars 2026. »