Lyon. Face au Musée Guimet, la folle histoire de l’immeuble de Tony Garnier

19 mars, 2025 | Actualités économiques | 0 commentaires

Texte : Philippe Lecoq avec MdJ – L’immeuble Panzani, dans le sixième, vous connaissez ? Mais si… Édifié en face du célèbre musée Guimet et du parc de la Tête d’Or, il déploie comme un grand albatros blanc ses ailes de deux étages le long des rues Boileau et Barème.Visite guidée d’Art Building.

La tour d’angle sur trois niveaux qui fait pendant à la tour monumentalisée de l’entrée du musée figure son corps et sa petite tête d’oiseau. Et son plumage fait de béton et de grandes ouvertures comme tracées à l’équerre ne peut vous avoir échappé. Une signature. Vous y êtes ? Nous voilà donc devant un immeuble industriel signé Tony Garnier en 1913, devenu immeuble de bureaux avec Panzani dans les années 70, et réhabilité aujourd’hui par les maitres d’ouvrage Arioste et Nacarat qui ont fait appel aux architectes Cécile Rémond et Maurice Azoulay.

Tony Garnier, dans le sixième arrondissement ? Comment le célèbre architecte-urbaniste lyonnais à qui la ville doit les abattoirs de la Mouche réduits aujourd’hui à la seule halle Tony Garnier, l’hôpital de Grange-Blanche devenu Édouard Herriot, le stade de Gerland et le quartier des États-Unis, bref des réalisations plutôt situées dans le Sud-Est lyonnais commandées en début de siècle dernier par la mairie – et notamment Édouard Herriot – comment donc Tony s’est-il retrouvé à construire une usine pour un entrepreneur privé en plein quartier bourgeois, face au musée Guimet ? L’affaire est suffisamment rare pour que l’on s’y intéresse.

L’architecte du patrimoine Cécile Rémond

Grâce à Cécile Rémond, architecte du patrimoine (École de Chaillot) qui a réalisé l’étude patrimoniale à la demande de Marc Pigeroulet (Arioste), nous allons pouvoir remonter le temps. Mieux, avec elle et son imposant travail de recherche, nous pourrons vous dévoiler les secrets de sa mise en œuvre jusqu’aux prémices des travaux actuellement en cours. Cécile nous apprend donc que c’est par amitié pour Francisque Chaleyssin, avec lequel il a fait les Beaux-Arts, que Tony Garnier se lance dans ce projet d’usine aux Brotteaux.

Le palais des glaces photographié avant la construction de l’usine Chaleyssin qui se déploiera sur sa droite

Francisque Chaleyssin et son frère dirigent une fabrique de meubles, et en 1913 ils viennent de s’associer avec le parisien Henri Mercier, fabricant de meubles lui aussi, qui souhaite s’implanter à Lyon. C’est ainsi la société Mercier & Chaleyssin, décrite comme une succursale de la maison Mercier, qui passe commande. Tony Garnier dessine les plans de l’usine en 1913, les travaux prendront fin en 1914. Vite fait bien fait. Pour la petite histoire, Francisque Chaleyssin aurait de son côté dessiné et fabriqué les meubles de la villa de Saint-Rambert de Tony Garnier…

Et pour la grande Histoire, 1914 est une année importante pour Tony Garnier puisqu’il est nommé Architecte en Chef de l’Exposition Internationale Urbaine de Lyon, dont restera l’abattoir de la Mouche. 1914 c’est aussi le début de la première guerre. Mais ça, c’est une autre histoire…

Qu’est devenue la tour d’angle ?

Cécile Rémond a évidemment retrouvé les plans originaux de Tony Garnier, un dessin aussi, qui lui ont réservé quelques surprises. Un exemple ? La tour d’angle du bâtiment – « tour signal octogonale » dirait Cécile – bizarrement plate comme un toit terrasse inutilisable, était en fait surmontée dans les plans de Tony Garnier d’une tourelle octogonale entourée de garde-corps recouverte d’un petit toit, à l’image de ce qui pouvait se faire à l’époque.

Ainsi surmonté, le projet de Tony Garnier avait une tout autre allure, et offrait un réel pendant à la tour de l’entrée du musée Guimet édifiée à la fin du XIXème siècle. « L’élément sommital – la tourelle pour les néophytes – sur la tour d’angle n’a jamais pu être construit » analyse Cécile. Pour des raisons économiques, de nombreux bâtiments de la fin du XIXe début XXe siècle n’ont pu être terminés. Le couronnement étant la dernière étape, il manque souvent, c’est peut-être ce qui s’est passé pour ce bâtiment de Tony Garnier. L’autre possibilité est structurelle. La base de la tourelle n’était peut-être pas en capacité de recevoir ce poids supplémentaire ».

La terrasse paysagée donnant sur la nouvelle tour d’angle

Cette tourelle voulue par Tony Garnier va donc enfin voir le jour : « Nous allons restituer cet édicule comme inscrit sur le plan d’origine mais jamais réalisé » confirme Cécile, qui décrit ainsi le reste du bâtiment dans le dossier du permis de construire : « Sur les rues, l’immeuble apparaît élégant, les dispositions proprement industrielles sont rejetées sur la cour (shed, portes de garages, ateliers de machines). Les façades côté rue possédaient un décor sobre. Les lignes sont accentuées par des moulures simples (chanfrains, filets). Les menuiseries avec des partitions régulières soulignaient la verticalité et parachevaient l’élégance générale. Les façades côté cour ne sont pas connues (pas de pièce graphique dans les archives) ».

Esquisse de la nouvelle entrée dont le volume a été augmenté en supprimant les cinq marches qui permettaient de rentrer dans le bâtiment. « Cela a encore plus magnifié l’entrée sans transfigurer l’œuvre de Tony Garnier » explique Marc Pigeroulet

Atypique chez Tony Garnier, « cette façade semble s’inscrire dans un style « Art Déco », ajoute Cécile. « Il confère à cet immeuble industriel un statut de « présentation » avec des façades « d’apparat » dans un style résolument moderne et qui lui permet de s’inscrire dans l’angle urbain du 26 boulevard des Belges et de rivaliser avec l’immeuble du musée Guimet ».

Deux éléments à retenir : l’emploi du béton, Tony Garnier était un avant-gardiste en la matière, notamment avec les techniques « Hennebique » qui proposent l’association du mortier de ciment et du métal pour la réalisation de planchers. L’architecte utilise le béton autant pour sa valeur économique que pour sa mise en œuvre rationnelle. En plus, il propose une esthétique propre à ce matériau par l’expression forte des volumes et des lignes. Le décor n’est jamais rapporté mais coulé en place à l’origine.

Les ateliers transformés en bureaux

L’autre élément fondateur du bâtiment, ce sont – ou du moins c’étaient – les menuiseries. « Les menuiseries actuelles ont été posées au cours d’une campagne ultérieure de travaux entre 1953 et 1996 », indique Cécile Rémond. « Vitrage grand jour, pose en rénovation, cadres dormants larges sont des caractéristiques qui créent un écart avec l’aspect de l’esthétique originel dessinée par Tony Garnier ».

L’immeuble s’épanouit sur une surface de 6 139 m2 en R+3. Les plateaux sont divisibles.

Là encore, le projet prévoit de restituer le dessin des menuiseries originelles. Alors bien sûr le bâtiment a évolué depuis Tony Garnier. Pas toujours en bien. Dans l’escarcelle de la société Mercier & Chaleyssin jusqu’au début des années 60, le bâtiment va traverser deux guerres, servir à d’autres usages pendant ces périodes, et même accueillir dans les années cinquante un fabricant de chemises dans l’aile de la rue Boileau, après quelques travaux en intérieur.

Puis c’est un peu le flou jusqu’à l’arrivée de Panzani qui fera son siège social après un passage à la Croix-Rousse au début des années 70. Usine, ateliers, deviendront alors des bureaux, sans trop de difficulté puisque Tony Garnier avait conçu de grands plateaux qui permettaient toute interprétation future. A l’extérieur, les travaux se font surtout côté cour, avec notamment une surélévation de deux étages au-dessus des anciens ateliers. D’autres seront également réalisés sur cour, par un alignement de la façade rue Boileau, en symétrie de la façade côté Barème.

Sans tourelle, avec des menuiseries inadaptées au dessin initial, des travaux en sur-ajout mal fagotés, l’immeuble ne devient plus qu’une pâle descendance de l’œuvre de Tony Garnier. Mais son génie demeure. Les deux ailes de l’albatros ont résisté au temps, les lignes restent tendues et les proportions idéales, les grands plateaux de l’intérieur sont toujours d’actualité, lumineux en diable… Et le quatuor promoteurs-architectes qui veille aux destinées de sa réhabilitation se donne les moyens de réinsuffler l’esprit du créateur dans chacune de ses décisions. What else ?

> A suivre, l’interview de Marc Pigeroulet, président d’Arioste Immobilier

 

 

 

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/philippe" target="_self">Philippe Lecoq</a>

Philippe Lecoq

Correspondant Lyon People
Sa longue expérience de journaliste lui octroie une légitimité naturelle. La ville de Lyon  n’a pas de secret pour lui, alors Philippe Lecoq prend un malin plaisir à nous en conter les meilleurs récits, aussi bien au rayon économique que politique.

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