Texte : Jocelyne Vidal – L’alchimiste de la lumière peint soir et matin, du lundi au dimanche, dans son immense atelier de Cailloux-sur-Fontaine. Son navire débordant de toiles lève l’ancre pour un éblouissant voyage pictural…
11h. Sourire assorti à son adresse, Jean Fusaro nous attend droit comme le « i » de toile, au cœur de son immense atelier de Cailloux-sur-Fontaine. « C’est là que je vis, en me promenant de temps en temps dans la maison », confie le sémillant jeune homme de 98 printemps. Baigné de lumière bleu Fusaro, l’atelier offre un saisissant panoramique sur une œuvre colossale, rythmée de centaines de toiles. Mêlé aux subtiles vagues de couleurs de l’alchimiste de la lumière, le souffle inspirant de William Turner jouit d’un cadre à sa mesure, dans la demeure du maître de la peinture figurative française.
Une inlassable quête de beauté
« Arrivé en 1967 à Fontaines-Saint-Martin où notre maison côtoyait vaches et chevaux tapant du sabot, je me suis heurté à l’impossibilité d’agrandir un atelier devenu trop exigu pour abriter mes travaux sur de grandes toiles ». Le temps de trouver un terrain adéquat, Jean Fusaro fait construire la maison et l’atelier de ses rêves. L’imposante Danse du Chevalet de Mèze, les dix-neuf peintures de l’église Saint-Jacques-des-Arrêts profitent du nouvel espace déployé sous les frondaisons de Cailloux-sur-Fontaine, par une inlassable quête de beauté, prisée par le critique d’art Bernard Gouttenoire.
Paré depuis 1981 pour un éblouissant voyage pictural, le navire débordant de toiles ne se contente pas de les entreposer. « Il est important de pouvoir les regarder avec un certain détachement, de les comparer en toute liberté, de revenir sur une toile inachevée »… Telle La Salle Rameau, l’une des œuvres exposées par Jean Fusaro au Musée Jean Couty, à la faveur de l’exposition sur L’Aventure des Peintres Témoins de leur temps (1). Il ne faudra pas moins de dix ans à l’artiste pour atteindre l’acmé des jeux d’ombres et de lumières sur les joueurs de l’académie de billard.
« Certains artistes ont disparu, moi, je suis toujours là, c’est ça le problème ! »
« Il faut que l’on voyage dans la peinture, sans qu’elle s’arrête, d’un simple trait, d’une couleur en équilibre subtil, on s’immerge entre inconscience et réalité, c’est après coup que l’on réalise ce que l’on a fait », poursuit le maître de céans, en réfutant toute spontanéité, au profit du travail assidu qui préside à l’élaboration d’une œuvre conçue comme une aventure au long cours. Œil pétillant derrière les lunettes cerclées d’ébène, il s’interrompt un instant pour répondre à l’appel du dirigeant de Taménaga, première galerie japonaise spécialisée depuis 1969 dans les grands maîtres européens.
Les toiles de Jean Fusaro côtoient donc celles de Cézanne, Renoir, Chagall, Picasso et Van Dongen sur les cimaises parisiennes et nippones d’une dynastie de galeristes. « Je travaille depuis toujours avec le Japon, pays dont la nature semble surgie d’une gravure. J’ai donc connu le père, le fils, le petit-fils de la famille Tamenaga, leurs amis artistes…Certains ont disparu. Moi, je suis toujours là, c’est ça le problème ! »
Avant de séduire les Japonais par ses recherches sur la lumière, Jean Fusaro signe son premier contrat à la fin de l’année 1953 à Paris, avec la Galerie Art Vivant. Présente aux U.S.A., au Venezuela, en Suède et au Royaume Uni, « l’écurie de course » picturale a sélectionné les œuvres de Jean Fusaro et d’André Cottavoz. Les deux amis en sont quittes pour un voyage épique dans une vieille 2CV pleine de toiles. « Partis de Lyon à 8h du matin, nous sommes arrivés à Paris à 21H, après une traversée du Morvan à 40 km/heure !»
« Je ne collectionne pas d’autres tableaux que les miens ! »
Lauréat du prestigieux Prix Fénéon, ex aequo avec Jean Fusaro, dont il a réalisé le portrait, André Cottavoz pourrait être l’exception qui confirme la règle de « ne pas collectionner d’autres tableaux que les miens ! Un moyen inconscient de me protéger de déviances. » Vivre dans son atelier « en zone fermée », n’est-ce pas l’idéal pour laisser s’épanouir à loisir, « une vision tactile de l’huile, sous influences mouvantes, au gré de pénétrations secrètes, elle peut se modifier, se surcharger. » A l’heure où tout le monde peint à l’acrylique, « l’huile privilégie l’intimité d’une relation charnelle avec l’émotion. »
Dans le secret de son atelier, Jean Fusaro se veut « disponible aux surprises ». Celle par exemple, de voir s’accouder de mystérieux personnages au zinc du Bistrot de Lyon. L’inspiration du moment peut se décliner à chaque instant, en nouvelles variations picturales nées ici, de la découverte des fenêtres ouvertes sur Paris par les horloges du Musée d’Orsay, là, par la lecture de La Comédie de Terracina de Frédéric Vitoux. Leur transcription en notes de couleurs aériennes atteindra en un jour ou dix ans, le summum de la pureté.
Une vocation de peintre « hors circuit »
Entre la musique et la peinture, se tissent les subtiles correspondances héritées d’une enfance bercée par les concerts, le théâtre, les musées et l’art lyrique. Né à Marseille, le peintre grandit dans un appartement de canut de la rue Bissardon, à la Croix-Rousse, entre une mère ouvrière et un père serrurier. « On se précipitait tous les dimanches après-midi dans les escaliers des Célestins ou de l’Opéra de Lyon pour rejoindre le poulailler ! »
Ses parents esthètes inscrivent Jean, dix ans, à ses premiers cours de violon. La musique le passionne mais, à la carrière de musicien d’orchestre, l’artiste en herbe préfère de loin, sa vocation de peintre « hors circuit ». « A huit ans, je dessinais déjà de petits paysages en couleur », se souvient l’ancien étudiant de l’Ecole des Beaux-Arts, « une bonne école de vie » intégrée à seize ans, avec pour maîtres, les peintres Pierre Combet-Descombes, Antoine Chartres, Henri Vieilly, Jacques Laplace et René Dumas…
Artisan dans son art
Au contact des figures de l’avant-garde artistique lyonnaise, Jean Fusaro développe un esprit d’indépendance et d’exigence dont ne se départira jamais le chef de file du Sanzisme. Avec André Cottavoz, Jacques Truphémus et Paul-Philibert Charrin, il s’agit de revendiquer son autonomie et le refus d’appartenir à une école influencée par le fauvisme, le cubisme ou l’abstraction. L’important ? « Etre artisan dans son art, exprimer ses propres émotions en respectant les lois de la peinture », clame l’artiste avec la fougue de ses vingt ans.
Entre deux coups de fil d’admiratrices et le souvenir d’une pantagruélique épaule d’agneau aux raisins de Corinthe, concoctée le temps d’un déjeuner lyonnais copieusement arrosé avec l’ami violoniste Sasha Alexander Schneider – son concert en soirée au sein du Quatuor de Budapest a relevé du miracle ! – Jean Fusaro est rejoint par sa fille Eve et par Charles Couty, directeur de Tonic Radio, fondateur et directeur du Musée Jean Couty, à la table d’O Gones de Saône. Et le voilà qui commande tout de go « deux têtes de veau, mais je garde la mienne ! » La tête bouillonnante de projets d’expos à Lyon et Tokyo, le toujours jeune premier de la peinture figurative croque la vie à pleines dents.
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