Texte : Harry Covert – Après 36 ans de bons et goûteux services, l’un des plus célèbres bouchons lyonnais a mis la clé sous la porte.
Un de perdu… dix de retrouvés ? Rien n’est moins sûr : le Morgon a baissé le rideau après avoir longtemps brillé au firmament du patrimoine culinaire lyonnais. Voilà une disparition silencieuse passée sous le radar de bien des observateurs, fin 2022. Il est vrai que rue Baraban, ligne de démarcation entre Lyon et Villeurbanne, le Morgon était éloigné des projecteurs gastronomiques et des circuits touristiques.
Au temps jadis, ce bistrot était connu pour un mainate qui taillait la bavette en salle. C’est bien plus tard que le Morgon est devenu une institution, que dis-je un temple de l’art culinaire lyonnais grâce au talent de Jacques Porcu. Fils de charcutier, il avait repris l’affaire en 1987 avec son épouse Danielle et, en salle, leur fille et leur belle-fille.
Le Morgon, c’était un bistrot pour le cadre assez banal et une acoustique digne d’un hall de gare. Et bien sûr un bouchon pour la nappe à carreau, le coude-à-coude et la cuisine où l’on s’empiffrait des grands classiques lyonnais : tripes, tête de veau, cochonnailles, terrines, andouillette… Et aussi le coq au vin, plat historique de la cuisine française en voie de disparition sur les tables lyonnaises.
« On arrivait dès 6 heures du matin, c’était de la vraie cuisine maison, pas de l’assemblage. On n’a jamais cherché à figurer dans les guides ni à obtenir des distinctions… mais c’est vrai qu’on en a eu beaucoup !» se souvient Danielle Porcu. Du label des Authentiques bouchons lyonnais à la Poêle d’or de la meilleure tête de veau, le Morgon de Jacques Porcu a en effet raflé toutes les récompenses de l’époque.
Et bien sûr la certification Bistrot de beaujolais au vu d’une ardoise dédiée au morgon, au brouilly et autres chénas et juliénas.
Voilà pourquoi dès potron-minet les mâchonneurs de ce quartier industrieux venaient s’y refaire la cerise avant de repartir au turbin. Le plat qui m’a le plus enchanté est le moelleux tablier de sapeur au vinaigre de champagne, témoin du savoir-faire inégalé de Jacques Porcu pour un plat réputé rustique. En comparaison, les tabliers dégustés ici ou là me paraissent toujours fades, ou secs… ou les deux.
Au départ en retraite des Porcu en 2010, Le Morgon a été investi par Alain Guss et le chef Cyrille Visine avant que ce dernier prenne seul les commandes en 2017. Après être passé chez Troigros pour la gastronomie et au Musée pour la cuisine canaille, Cyrille Visine avait le bon profil pour reprendre le flambeau. L’amicale des Francs-Mâchons, délaissant le Rendez-vous des amis cours Lafayette, avait installé ici son siège et y est restée jusqu’en décembre dernier même si Cyrille n’avait pas poursuivi longtemps la tradition des mâchons.
Depuis quelque temps, l’affaire tournait moins bien, les anciens boudaient un peu sur l’air de « c’était mieux avant… ». Et le rideau a fini par tomber, le propriétaire des murs ne semblant pas enclin à poursuivre l’aventure. Alors on s’envoie une dernière lampée de morgon derrière la cravate et on garde au chaud nos souvenirs de tripailles et de ripailles.
0 commentaires