Par Nadine Fageol
Tout simplement sublime. Dans la nouvelle Rotonde, la nature entre par portes et fenêtres jusque dans l'assiette. De la recherche dans la rigueur, on rencontre un Philippe Gauvreau anti-star des fourneaux au possible. Une étoile est née. Jackpot pour la famille Partouche qui a su retenir l'exigeant chef sudiste.
On reste tout couac à la pensée émue du canard au sang de Philippe Gauvreau, aussi c'est avec curiosité que l'on se rend exactement à la frontière entre Charbonnières et la Tour de Salvagny découvrir quel coup la famille Partouche a bien pu mijoter au chef doublement étoilé. Faste désuet, la salle Art et déco de la Rotonde avait vécu. À autre temps, nouvelle formule. À côté du Casino, la famille a fait construire un hôtel avec un spa sobrement racé et de gigantesques chambres au luxe dans la veine internationale. À ce Pavillon ne manquait qu'une salle de restaurant pour composer une infrastructure complète de réception. Et là surprise, la jeune décoratrice Alexandra Ellena évite l'écueil ultra contemporain pour composer avec dame nature. La salle formant demi-cercle s'invite dans le parc par le truchement d'immenses baies vitrée. Entre les silhouettes des immenses résineux, on distingue les buis taillés en topiaires, la cascade. La magie opère, on est dans la campagne lyonnaise comme on pourrait être ailleurs dans les Alpes. La magie vient encore du tissu recouvrant les assises, un genre de cuir vert luisant au reflet changeant avec l'éclairage. Et puis, une curiosité que ces tableaux nature morte composés à partir de plumages divers formant comme des sous-bois. La nouvelle Rotonde affirme une incroyable personnalité à l'instar des maisons d'un Michel Bras ou d'un Régis Marcon. Nul doute, Philippe Gauvreau dispose d'un outil visant l'investiture suprême, les trois étoiles qui viendraient saluer le travail d'un homme réputé pour faire aussi bien pour deux que pour 400. « On part vierge pour une nouvelle expérience, une évolution dans l'histoire de la maison » où il est arrivé voilà seize ans guidé par Maximin, son maître à penser.
Né à Saint Cloud en 1965, Gauvreau a passé son enfance « à vadrouiller dans la forêt de Rambouillet ». Maman possède un magasin de layette et le père pâtissier traiteur peaufine des souvenirs d'enfance sucrée. Le dimanche après la fermeture, petit Gauvreau se régale de baba au rhum et finit par mettre la main à la pâte, « foncer les tartes, décortiquer les moules, d'abord le mercredi puis le samedi, le dimanche ». En 3ème à l'heure de l'orientation, il oublie la mécanique pour la cuisine préférée à la pâtisserie jugée plan-plan, « meringue le lundi, sablé le mardi… ». L'apprentissage démarre au Bristol, se fait plus complet à la Vieille Maison de Chartres, devient inattendu sur le Quai des Ormes à Paris auprès d'un étudiant en médecine reconverti. Mais s'il travaille les beaux produits au Grand Vefour avec André Simonet, « une overdose de vie parisienne, de boulot ponctué de courses au dernier métro » le motive pour envoyer 25 CV à la conquête de la Riviera. Jo Rostang de La Bonne Auberge le récupère et dès la seconde saison l'expédie pour l'hiver dans un hôtel des Antilles dont il est consultant. Mais les liens entre les sommeliers de La Bonne Auberge et du Negresco le propulsent chef aux côtés du fougueux Maximin. Il quitte la volaille de Bresse aux morilles pour découvrir avec stupéfaction la fleur de courgette farcie ! Auprès du Napoléon de la Côte d'Azur, c'est « la révélation par la révolution, une approche de la restauration que je ne connaissais pas, Maximin entrait dans un frigo et ressortait avec un menu. Pendant un an et demi j'ai appris à transformer un produit. C'était tellement intense que j'aurais pu rester avec lui pendant dix ans ». 1988, fermeture du Negresco, Régine profite de l'aubaine pour confier l'ouverture de Ledoyen à Maximin et Gauvreau d'apprendre les us et coutumes de la création d'un restaurant trois ans durant. Il peut dès lors reprendre les reines rue de la Trémoyes d'une affaire qui avait très mal démarré.
Six mois plus tard, Maximin lui parle d'un projet de création à Lyon auquel il répond par la négative ignorant avec superbe la capitale de la gastronomie et son mauvais goût de bouchon de Fourvière ! « Va voir pour ne pas regretter », c'est ainsi qu'il prend le TGV. Dans le taxi, Gauvreau apercevant entre les arbres la débauche d'éclairages demande s'il y a une fête foraine. « Non, c'est le Casino », à l'évidence pour Hubert Benhamou et Maximin ce n'est pas gagné. « C'était un lieu bizarre, un vilain Las Vegas à l'époque ». Très discret de sa personne, Gauvreau n'en demeure pas moins du genre décidé, capable de négocier âprement. Quatorze mois après l'ouverture, une étoile vient saluer sa cuisine qualifiée de « sudiste » dans le landernau, confirmée par une seconde en 1994. Avec Gauvreau au Casino, la lumière se fait autrement lumineuse, il instaure un certain goût pour le chic, la qualité, le racé quand il découvre et subtilise une presse à canard endormie dans le salon de Mr Benhamou pour mieux la remettre en activité et proposer le fameux canard au sang disparu des grandes maisons depuis belle lurette. Gauvreau c'est aussi la régularité faite fidélité. Seize ans qu'il opère « en vieux couple » avec Frédéric Fass, exceptionnel directeur de salle formé à l'aimable école de la Mère Brazier où, avec Carmen, il a appris à noter les habitudes des clients sur un cahier à spirales, à mémoriser les codes de voitures et de CB. Quinze ans de coopération en constante évolution avec le sommelier Alain Gousse, réputé sacré dénicheur dans la dive bouteille. Une cuisine méditerranéenne régulièrement régénérée, du renouvellement encore dans l'animation comme ces dîners dans le noir, l'ennui n'a pas de prise à La Rotonde.
Aux reproches sur son statut de chef salarié lui permettant d'évoluer dans la facilité, il a commencé par répondre en remportant des concours, « le Meissonnier » puis « le Taittinger » et la remise en question « sur chaque ancienne carte, il y a quelque chose à redire ». Quant aux provocations, il répond le plus calmement du monde « à chacun son histoire, personnellement si j'en suis là c'est grâce à la forte identité de Jacques Maximin et à ma femme Valérie parce qu'il est important d'avoir une femme à son écoute ». Le statut de salarié, il botte en touche : « comme tous les salariés, on peut m'inviter à prendre la porte si je ne conviens pas ». Alors il s'est battu et a fini par obtenir gain de cause et fait rapatrier la Rotonde dans le Pavillon avec l'hôtel et le spa. « Quand je suis arrivé, il fallait savoir faire du bistrot, de la restauration simple pour le casino et développer en parallèle le gastronomique ». Il a réussi en préservant l'essentiel, « la cuisine autour du produit sachant que la saison appelle le produit ». Le travail, l'expérience, la maturité est arrivée avec les années, il programme un livre sur la « malbouffe » avec pour réponse le nutritionnel. Au fil des années sont nées de solides amitiés avec Jean-Paul Lacombe et Patrick Henriroux, l'autre « sudiste » dans le sérail culinaire. Pierre et Florence Beylat, les organisateurs de la dernière Polo Cup, Edouard Gonzales (Laurent Perrier) et ses copains de la CSEL (Serge Bex, Félix Greck, Christian Coulot et Christophe Breton) constituent le noyau dur animé autrefois par l'adorable Christian Montagnol. Dans l'immédiat, Gauvreau et Frédéric Fass – affublé d'un délicat surnom par Andréa et Florent, les enfants du chef – fourbissent d'effort pour déloger l'équipe des cuisines afin de poser pour une de ces photos donc rédacchef Marco a le secret. Toute la brigade dans le spa, poireaux, choux et navets inclus. Ne manquent que les herbes aromatiques, c'est juste que « la saison appelle les produits ».
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