Par Alain Vollerin
Après deux visites au Musée des Beaux-Arts de Lyon, je maintiens que l’exposition Michaud – Martin est l’un des plus affreux ratages de son histoire de la part de l’équipe réunie autour de Sylvie Ramond et Laurence Berthon…
« Trop souvent les choses sont mal faites ! » répétait René Deroudille accablé par les expositions mal ficelées auxquelles il assistait avec une régularité de métronome, rarement écouté par les oracles. Je l’entends encore râler pendant la soirée de vernissage célébrant Pierre Combet-Descombes. " Y’a trop de p’tits papiers !…Y doivent aimer das papier !…" Il pestait contre l’exposition surabondante de courtes notes dont Combet-Descombes accablait ses amis. Deroudille bousculait les convenances et les pouvoirs. Ce qui n’empêcha pas les puissants de lui rendre un hommage "récupérateur" après son décès. Bien entendu. Pourquoi ne pas honorer les gens de leur vivant ? Il y a bien longtemps que le musée des Beaux-Arts aurait dû célébrer Marcel Michaud et ses amis ou le Groupe Témoignage. Philippe Durey n’avait que mépris pour l’aventure de Témoignage. Quelle belle occasion ratée lors de l’inauguration pour la fin des travaux de réhabilitation. L’aventure du Groupe Témoignage d’un côté, et du galeriste Marcel Michaud de l’autre est la "grande affaire" – comme aurait dit Jean Couty – de Lyon entre les deux guerres. Hélas ! L’exposition présente n’est pas très fameuse. Sylvie Ramond, pas pressée de prendre des risques, délégua le projet à Laurence Berthon, son statut d’attachée de conservation ne fit pas d’elle une spécialiste de la complexe histoire du Groupe Témoignage et de l’aventure humaine de Marcel Michaud. Elle a tout mélangé. Elle n’a rien compris. Elle a gâché une chance de produire un acte pédagogique complet. Dommage !
En 1976, Madeleine Rocher-Jauneau, alors conservatrice du musée avait commis l’erreur de trop mettre en avant les Lyonnais. Les Parisiens en avaient conçu de la rancœur. Ils tenaient mordicus à une chose. Qu’on ne confonde jamais l’action de Marcel Michaud avec le Groupe Témoignage. Et pouf patapouf, en plein dans le mille ! Pour les expositions lyonnaises au musée, ni Sylvie Ramond, ni Laurence Berthon n’ont la main. Les plus influents sont les conseillers très spéciaux, les hommes de l’ombre du musée qui sévissaient déjà sous l’administration de Philippe Durey et de Vincent Pomarède : le brocanteur hirsute Paul Gauzit, et le suiveur de Wols, Max Schoendorff. Pour souvenir, ils ne disposent que de ce qu’ils vécurent, c’est-à-dire pas grand-chose. Gauzit le relieur n’ouvrit sa galerie que plusieurs années après la mort de Marcel Michaud. Schoendorff exposa chez Michaud que quelques mois avant son décès.
Pourquoi cette exposition est-elle ratée ? Tout simplement parce qu’on ne peut constituer le projet d’un hommage à Marcel Michaud, sans immédiatement évoquer largement le rôle fondamental joué par le peintre et architecte Louis Thomas, alors depuis de nombreuses années principal membre de l’atelier de Tony Garnier, comme celui-ci l’écrivit lui-même. Louis Thomas a financé les galeries de Marcel Michaud : Stylclair et Folklore. Un soir, il me raconta comment Marcel Michaud était venu le chercher chez lui pour qu’il l’accompagne en Suisse à la Wohnbedarf. Il voulait acheter des meubles d’Alto, de Breuer, de Bill. Louis Thomas était là pour le financement. Marcel Michaud était fasciné à juste titre par Louis Thomas, et il avait raison. Lorsqu’il l’exposera, il publiera un livre dans lequel il écrira : " il y a des affinités sacrées, telle est celle qui nous unit à Louis Thomas. Et c’est pour cela que nous l’aimons. Nous l’aimons comme un frère ainé qui aurait reçu jusqu’au tourment le don divin d’expression poétique, et qui s’en sert, non pour jouer, mais pour parler aux hommes avec amour, et rendre grâce avec ferveur à Dieu." Comment a-t-on réussi à mépriser ces liens uniques, cette amitié hors normes. Le docteur Malespine cité par les bobos ignares déclarait après une visite au Salon d’Automne (Louis Thomas présent dans ce salon depuis longtemps obtint que les artistes du groupe fussent reçus dès 1935) dans la revue le Fleuve en 1926 : " Louis Thomas fut le premier à faire connaître le Cubisme à Lyon. Didier ne vint au Cubisme qu’à la suite de Thomas." Comment négliger un tel homme d’influence qui fut à cette époque en correspondance avec Marinetti fondateur du Futurisme.
Cet hommage à Marcel Michaud est donc une gabegie qui implique tous ceux qui soutinrent la déplorable prestation de Laurence Berthon. Incompétente pour une telle mission, comme elle le démontre amplement. Trop de négligence dans la sélection des artistes choisis par Michaud. Parmi les très grands oubliés, Camille Niogret qui, si il ne fit jamais partie de Témoignage exposa deux fois chez Michaud en 1940, et Jean-Albert Carlotti en 1941 avec le groupe Sources, puis en 1946 et en 1947, et Myriam Bros, admirable femme de caractère, lettrée, et artiste libre qui inventa son support et les formes de son art, contrairement à Schoendorff qui vola tout à Hans Bellmer. Pas de Picasso (si une cruche, j’en connaît une autre), non plus, alors qu’il fut exposé l’année même où le musée lui rendit visite. Il existe une photographie pour en attester. S’il ne s’agit pas d’une entreprise de flagorneries, comment expliquer les cinq œuvres de Montheilet ? Et puis cette scénographie d’écologiste inconséquent usant de plaques d’agglo. Pourquoi présenter les bustes d’Etienne-Martin dans des clapiers ? Pourquoi ne pas avoir reconstitué, même sommairement la partie de l’atelier de la rue du pot de fer où, autour de la table furent dessinés les éléments du jeu de cartes de Témoignage inspirés par le Tarot ? Quand on pense à la référence à l’œuvre produite dans l’après-guerre par Louise Bourgeois qui avait vu l’œuvre d’Etienne-Martin, on touchait alors la dimension planétaire. Pourquoi ne pas l’avoir osé ? Et encore, pourquoi avoir posé à même le sol cette Nuit N°1, à l’origine du cycle des Nuits selon Etienne-Martin, récemment acquise par Hélène Moulin pour le musée de Valence ? Il existait un socle intelligemment construit par la famille du propriétaire. Pourquoi l’avoir rejeté « snobinardement » ?
L’intérêt de cette exposition qui ressemble parfois à une revanche (jamais le groupe n’accepta Idoux et Lenormand qui, au passage ne s’écrit pas en deux mots, comme vu sur certains cartels) repose dans la rétrospective de l’œuvre du sculpteur Etienne-Martin avec un bon nombre de pièces que nous avions vues au Centre Pompidou. Hélas, les Lyonnais et les Lyonnaises n’ont pas les clefs pour comprendre l’action de Marcel Michaud et des membres du Groupe Témoignage. Nous avons su que l’un des derniers témoins, Jean Duraz, avait relevé de nombreuses erreurs dans les catalogues. Les organisateurs doivent méditer et s’imprégner d’une formule présente dans le Manifeste le Poids du Monde : " Que celui qui ne sait pas apprenne ou se taise …" J’ajouterai, surtout s’il est universitaire… J’ai retrouvé pendant la soirée de vernissage de nombreux amis rencontrés pendant le tournage des quinze films que j’ai consacrés à Témoignage. Quelle émotion de revoir Germano, l’assistant d’Etienne-Martin que j’ai vu à ses côtés en pleine action, lors de notre ultime rencontre dans l’atelier de la rue du Pot de Fer.
Jusqu’au 23 janvier 2012
« Le Poids du monde Marcel Michaud »
Musée des Beaux-Arts de Lyon
20, place des Terreaux – Lyon 1er
Fermé le mardi
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