Ceux qui ne connaissent pas Philibert Charrin ont bien tort. Ce fils (ô combien) spirituel des dadaïstes est évidemment moins connu que les « m'as-tu-vu » de l'art contemporain estampillés par le lobby du culturellement correct. Il faut dire que notre homme fut discret. Il aimait répéter cette citation d'Eugène Delacroix : « Je ne puis souffrir qu'un artiste se montre… ». Voilà qui détonne en ces temps de surexposition médiatique des « artistes » à la mode. S'il avait accepté le jeu imposé par les trissotins de l'art pompier du moment, sans doute serait-il considéré aujourd'hui comme « l'un des précurseurs français de l'art contemporain. » Dixit le critique Alain Vollerin. Il faut dire que Philibert Charrin, homme au caractère bien trempé fut un touche-à-tout irrespectueux, insupportable à tous ceux qui aiment les artistes bien rangés. Après avoir touché au dessin d'humour avec le lyonnais Roger Sam et à la publicité, il quitta notre ville pour Paris où il se consacra à la peinture et aux collages.
Je me souviens avec émotion d'une expo renversante en 1959 à la galerie St Georges où il donnait à voir ses « équivaucluses ». Des collages poétiques et facétieux qui, disait-il, allaient plus loin que les « équivalences ». Le Vaucluse étant, chacun le sait, plus éloigné de Paris que Valence. L'homme aimait jouer avec les mots comme les images. Depuis, on pouvait admirer son travail à « la Capitale » ou à la « galerie 26 » à Paris, ou bien sûr au « Soleil sur la place » à Bellecour qui lui consacra ces derniers temps quelques belles expos.
Il vient de mourir dans sa 88ème année. Nul doute qu'il aurait vu dans ce double 8 un signe d'infini paroxystique. Il était né à Montmerle sur Saône le 14 avril 1920 dans une maison devenue aujourd'hui l'Hôtel restaurant Emile Job. Comme le papier ! Rien d'étonnant à ce que Philibert ou Paul (on n'a jamais bien su !) Charrin fasse carrière en assemblant papiers de riz ou d'Arménie. Son travail, qui ne fut pas toujours compris par les critiques, était délicat et sensible. Poétique. Ses œuvres faites de hasard maîtrisé et de vieux papiers traduisaient cependant parfaitement les valeurs de la peinture. Il fut de ceux qui ne supportaient pas le verbiage des critiques d'art – « Quand on parle du travail au peintre, les paroles sont suspectes » – les écoles et les mouvements en « isme ». Par provocation, il créa, avec ses amis Cottavoz, Fusaro, Truphémus, et quelques anciens élèves des Beaux Arts de Lyon, le « sanzime », mouvement volontairement éphémère qui se fit hara-kiri à peine né. Sanner et Doyle en firent partie. A l'heure où leur ami Philibert Charrin les rejoint pour l'éternité, la galerie « La nouvelle échelle d'or », 162 rue de Séze, rend hommage à ces deux artistes trop méconnus. Espérons pour bientôt, au musée Dini ou pourquoi pas au Musée des Beaux Arts une rétrospective pour celui qui restera toujours l'un de mes maîtres.
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