Texte : Jacques Bruyas. « Matières à réflexions ». Brillant vernissage pour une non moins brillante exposition de collages et sculptures signés Jean-Marc Requien.
La galerie de la Tour est installée au 16 de la rue du Bœuf en façade de la Tour Rose et de la cour interne abritant le Caveau des Sciences Clavologiques ou Ordre du Clou et concomitamment, siège des Humoristes Lyonnais, deux institutions chères au président Alain Saraillon et son prestigieux aîné, feu Félix Benoit.
Cette cave avait ses habitués, dont les auteurs Marcel Achard, Albert Husson, Marcel-Étienne Grancher, Frédéric Dard, et des peintres de l’éphémère école des Sanzistes, dont James Bansac, Antoine Sanner, Paul Clair, Pierre Combet-Descombes, les jeunes André Cottavoz, Jacques Truphémus, Jean Fusaro et le maître absolu du « collagisme », Paul Philibert-Charrin.
Philibert, Paul, Eugène Charrin, dit Paul Philibert-Charrin (1930-2007) caricaturiste et auteur de collages dans la veine des Matisse, Prévert et autres aînés s’étant essayés au genre, un artiste surdoué dont le critique d’art Jean-François Chabrun disait : « C’est un maître du hasard dirigé ». Jean-Marc Requien s’enthousiasme au seul nom de celui qu’il présente fréquemment comme son maître et modèle, Philibert-Charrin mais l’élève, en présentant ses récents travaux lors de sa dernière exposition en la Galerie de la Tour, a démontré qu’il avait dépassé le maître.
Les collages de Jean-Marc Requien sont insolents d’audace et disons-le, de talent.
Nous avons connu quelques autres artistes s’essayant à l’exercice des collages et des « hasards maîtrisés » comme Raymond Grandjean, Gilles Alexandre (brillant coloriste dans ses superpositions de papiers), Pierre Gréé. Mais les œuvres de JMR témoignent d’une maîtrise rare et déconcertante car en visiteur béotien, on s’en veut de n’avoir eu une telle idée ou de n’avoir pensé à semblable assemblage de détournement d’un objet usuel comme des ciseaux ou une petite lame de scie, du carton ondulé ou du bois brut… mais voilà, Jean-Marc Requien a l’esprit créatif comme créateur et son passé de publiciste n’est pas étranger à ce regard de plasticien aguerri. Mais revenons au collage.
Le collage a été un événement majeur dans l’évolution du cubisme. On ne sait toujours pas qui l’a inventé, ni quand (probablement fin 1911). Les œuvres produites entre 1907 et 1914 n’étaient ni datées, ni signées.
Face à l’abstraction croissante du cubisme analytique, ils ont pu vouloir renouveler un contact avec la « réalité ». Mais en quoi le papier ou le bois collés sont-ils plus réels que le pigment ? Pablo Picasso et Georges Braque prétendirent avoir usé du collage pour résister à la planéité qui menaçait d’écraser le tableau cubiste. Ensuite, les plus grands affichistes Eugène Vavasseur (pub Ripolin) ou Paul Colin (tracts de la Revue Nègre) excellèrent en le genre… tiens donc, la publicité s’emparant de l’art … juste retour à notre sujet et à l’œuvre de Jean-Marc Requien.
Par ailleurs, il y avait aussi et déjà, chez Paul Philibert-Charrin, un esprit de caricaturiste qui est encore plus présent chez Jean-Marc Requien et ses œuvres assemblées semblaient se rire des visiteurs présents lors du vernissage, à l’égal, cinquante ans auparavant, des moulages de l’humoriste « Kiki Jacquet » (deuxième beau-frère de Frédéric Dard avec Roger Sam) ou des redoutables terres cuites et bronze de Daumier qui, au XIXe siècle, caricaturèrent la bourgeoisie balzacienne.
Les œuvres d’art sont toujours comme des miroirs reflétant qualités comme défauts de leurs contemplateurs béats et il y a forcément dans la création quelqu’esprit ironique (et Jean-Marc Requien* n’en manque pas), un sourire affectueusement moqueur, rieur comme le regard aguerri aux travers de notre société de Laurent Gerra, présent à ce brillant vernissage organisé au profit de l’association « France Alzheimer Rhône-Alpes ».
Jean-Marc Requien a recréé un style, a réinventé un art et l’a de surcroît, poussé à son paroxysme de l’excellence et du talent maîtrisé… bref, de l’insolence aiguisée comme une lame de cutter tranchant dans les matériaux les plus divers, prétextes à des œuvres nouvelles. Un insolent talent comme nous l’écrivions en avant-propos.
* Connu des lecteurs de Lyon People pour ses savoureuses chroniques sous le pseudonyme Justin Calixte
Exposition jusqu’au 14 mars 2022
Galerie de la Tour
16, rue du Bœuf – Vieux Lyon – Tel 04 78 42 84 83
Ouverte tous les jours de 14h à 19h – Dimanche : 10h-19h
Jeudi 3 mars 2022
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