Hélie de Sain-Marc, une des nos plus belles rencontres – Photos © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
Résistant à 19 ans, déporté, lieutenant blessé en Indochine, « soldat perdu » en Algérie… la vie d’Hélie était fascinante au-delà du roman. L’ancien officier est décédé lundi 26 août 2013 vers 8h30 dans sa résidence drômoise de la Garde-Adhémar. Il avait 91 ans. Retour sur le parcours d’un homme d’exception, que nous avions rencontré chez lui au printemps 2010.
On l’attend dans un appartement cossu du 6ème arrondissement ponctué d’objets d’une vie, épées, photos, livres, nombreux sur l’armée, l’Asie, des toiles des ancêtres en perruques et puis Monique, dame de compagnie aussi menue que prévenante. C’est à Blandine Peillon, ancienne communicante aujourd’hui à la tête de Jours de Printemps, une société de services à la personne et créatrice de l’association « Xvân, les enfants de l’avenir » que l’on doit cette rencontre avec un Monsieur hors norme, Hélie Denoix de Saint Marc. Il arrive enfin, replié dans un fauteuil roulant. Les mains fines et froissées, le cheveu blanc en bataille et des yeux intensément bleus, presque hypnotiques. À 87 ans, la maladie gagne, la vieillesse ronge et la parole a du mal à se frayer un chemin, mais Hélie force, pousse les mots dans la gorge caillouteuse. Intéressé, il s’enquiert sur le support Lyon People, son mode de financement… La vivacité d’esprit reste furieusement intacte.
L’histoire d’Hélie démarre avec le siècle quand Madeleine Buhan, opulente famille bordelaise anoblie par Louis XVI, épouse en 1900 Joseph Denoix de Saint Marc issu d’une vieille famille du Périgord Vert catholique, légitimiste et juriste par tradition. Forte nature, l’avocat salue de son chapeau en ville tout porteur d’étoile jaune et sera élu bâtonnier de l’Ordre des avocats de Bordeaux à deux reprises. Dernier de sept enfants, Hélie est élevé dans la rigueur et l’austérité. La devise du père, « travail, travail, et travail » ; Hélie qui ne goûte peu les études pimente son univers de longues lectures : « Charrette, Cadoudal, Corday et tous les grands sabreurs de la Révolution et de l’Empire… » Il découvre l’aventure coloniale auprès de Gallieni, Lyautey, le père de Foucauld et puis Kessel, Mermoz… London, Conrad, Kipling, Stevenson nourrissent une soif infinie d’aventures. « Je m’intéressais plus aux hommes qu’aux événements. J’aimais les destins fulgurants et tumultueux. Soit inconsciemment, le culte du héros. Mais pourquoi pas ? » explique-t-il dans la biographie signé de l’historien Laurent Beccaria.
La guerre arrive, la route de Bordeaux au Périgord entaillée par la ligne de démarcation, seuls ses parents obtiennent un laissez-passer. L’adolescent connaît la région sur le bout des doigts, s’affranchissant de tout, il emprunte à vélo les sentiers déserts et, surveillant le passage des patrouilles, franchit la ligne. Régulièrement. Il transporte paquets ou aide un ami à passer sans oublier de rajouter une once de frayeur. Début 1941, une convocation du recteur de son collège de Tivoli le fait basculer dans l’armée des ombres. Le supérieur prévenu de ses escapades illicites lui demande de rendre service à un ami, le colonel Arnould, un des fondateurs de la Résistance dans le Sud-ouest via le réseau Jade-Amicol. Agent de liaison, Hélie disparaît des jours entiers. Côté études, rien de folichon, il échoue à la prépa de Saint-Cyr. La France occupée, les études déconnectées de la réalité, l’avenir paralysé, sur un coup de tête Hélie décide de partir pour l’Espagne avec des copains de collège. Toute la bande est arrêtée, vendue aux Allemands par le passeur. Accusé de vouloir échapper au STO, Hélie l’agent de liaison inconnu de la Gestapo, est expédié à Buchenwald. L’horreur n’a pas de nom, il en découvre les variantes pendant deux ans. Sauvé par deux fois, un docteur vend son bien pour lui procurer des médicaments et un détenu qui travaille à sa place et vole de quoi le nourrir.
C’est un quasi mourant qui entend sonner le tocsin de la Libération. Passé les retrouvailles en Périgord, il retente Saint-Cyr. S’impliquer, défendre la patrie, sa vie a désormais un sens même s’il mesure la complexité de l’âme humaine. Au camp, il a fréquenté toutes les nationalités, c’est donc naturellement qu’au moment de choisir son corps d’armes, il opte pour la légendaire Légion étrangère. Rivées sur la reconstruction du pays, les autorités françaises négligent l’empire colonial en déroute. En trois séjours en Indochine, Hélie mesure la valse hésitation des politiques qui va d’ordre en contre-ordres. Sur le terrain, cela se traduit pour Hélie et ses hommes en renoncements terribles ; l’abandon aux représailles Vietminh de villages entiers armés par les Français. Les images restent tenaces comme celle de ces gens qui tentent de rallier son bateau, le jour du départ vers… l’Algérie où se noue un autre drame.
Cette guerre pudiquement nommée « événement ». Hélie qui va aimer l’Algérie autant qu’il a adoré l’Asie est pris au piège des tergiversations politiques : on demande aux militaires de défendre une « Algérie Française », thèse soutenue par Hélie dans un idéal généreux, des droits identiques pour tous, Pieds Noirs, Harkis comme musulmans. À force de contradictions gaullistes, la rumeur puis la révolte monte au sein de la Grande Muette. Homme de discipline, droit dans ses bottes, Hélie franchit le Rubicond en avril 1961 au côté du général Challe. À la tête du 1er REP, régiment d’élite, il prend Alger !!! Le putsch dure le temps que Challe voit ses soutiens s’évaporer comme peau de chagrin, la cause ne pèse plus grand chose face aux individualismes menacés, quand bien même la communauté française attend le souffle court sur la grand’ place d’Alger. Hélie aura la politesse de ramener son régiment à la caserne. Procès, prison, destitué de ses droits civils et militaires, il lutte dans l’univers carcéral d’une prison de Clairvaux pour ne pas sombrer dans la dépression. Manette, sa jeune femme rencontrée à Alger, gère au mieux.
Libéré le 25 décembre 1966, « le soldat perdu » doit cette fois apprendre à vivre avec une France qu’il ne connaît pas… Quelques amis se mobilisent, Hélie qui a repris les études en prison trouve une place de chef du personnel dans une entreprise lyonnaise. Le temps passe, une vie se reconstruit, Hélie a une quatrième fille, un appartement près du parc de la Tête d’Or, une maison en Drôme pour renouer avec la nature et des amis, des nouveaux et quelques fidèles parmi les anciens, ceux de sa trempe. Son père décède lors de son séjour en prison, un membre de la famille obtient une autorisation de sortie agrémentée d’une déclaration sur l’honneur qu’Hélie refuse de signer. Il n’assistera pas aux obsèques de son père. « Je ne pouvais pas signer cette déclaration car je savais que j’aurais tenté de faire la belle ».
Mélange d’audace et de retenue, Hélie de Saint Marc a finalement vécu le nazisme, l’émergence du Tiers Monde, la montée des jeunes nationalismes, la poussée du communisme en Asie, le réveil du fondamentalisme religieux, les grands changements du siècle… Il a surtout rêvé d’une décolonisation qui ne soit pas une déchirure. En vain.
La messe de funérailles sera célébrée vendredi 30 août 2013 à 15h en la primatiale Saint Jean (Lyon)
À lire : « Hélie de Saint Marc » par Boland Beccaria – Éditions Perrin, 1988
« L’Aventure et l’Espérance », Editions Les Arènes, 2010
0 commentaires