Photo © Jean-Luc Mège
Par Nadine Fageol
Haut en couleurs et pourtant tout en exigeante discrétion, Damien Gateau est chasseur qui déniche vins et produits étiquetés goût racé. Le lyonnais gourmand peut fréquenter l’épicurien à langue adroite en sa Manufacture croix-roussienne. Exception.
Miam, slurp… sa page FB est une ode à l’onomatopée rabelaisienne d’une constance toute quotidienne. Damien Gateau mange et boit au rayon exception comme il respire. Ses sensations fortes fleurant bon le salé-sucré le trahissent niveau silhouette. Seulement Damien porte superbement rondeur, l’œil relevé à l’instar du chat derrière lunettes rondes, elles aussi. Veste safran, pantalon poussin, lunettes écailles, poil blond foncé, Damien porte beau dans l’élégance casual propre à l’épicurien. Estampillée comme l’un des plus fins palais de la ville, cette fine bouche franchement rassurante, vient de trouver nichoir à sa guise en reprenant la Manu-Facture à deux pas du boulevard de la Croix-Rousse. Un lieu pluriel, à la fois bureau, show-room pour ses clients professionnels, qui se fait épicerie fine caviste du jeudi après-midi au dimanche midi pour le grand public amateur de goûts recherchés. Arghhhh, le Mistelle (mélange) de pruneau des Charentes et pruneau, gingembre cru et confit, figue, pinot rosé, un subtil framboise… Comme la dégustation des vinaigres Fleuriet, découverts chez Troisgros, passage obligé pour rédiger ce portrait.
Sourceur de produits
Œuvrant seul, l’emploi du temps est serré, chaque matin glacière sous le bras, il file présenter produits et vins à ses chouchous. « Un cercle de gens qui donnent envie d’aller manger ». Le café Sillon, le Palégrié, le Passetemps injustement sanctionné par la critique adepte du one-shot, comprendre j’y vais une fois à l’ouverture puis plus jamais, alors que le déjeuner était en tout point exquis… Il a du recul et surveille le réseau des fringantes jeunes pousses, décomplexées de la toque, pas encore embrigadées par un obligeant label de restaurateurs. A eux, les saucisses au couteau, car il existe encore en Haute-Loire un heureux fou pour prendre le temps de hacher menu chairs à la main !!! Pochée, grillée, ou crue, à la jeune garde l’art de l’accommoder. « Regarde ma saucisse comme elle est belle ! », montrant sur son smartphone une recette exécutée à livraison par Franck Delhoum au Potager des Halles. Sa cantine officielle, « des gens bien, heureux de ce qu’ils font car ce qui m’intéresse le plus dans un resto c’est ce qui se passe dans l’assiette, la qualité du produit, ses origines ». Sur les 11 heures, laissant chefs au piano, il visite ses clients cavistes ou file « sourcer produits ». Driiiiiiiiiing ! D’une conversation à l’autre, l’on entend parler d’un super Pouilly-Fuissé, de beurre de caviar à se damner, de biscottes de compétition. Le téléphone de Damien Gateau est son meilleur ami, son garde-manger d’adresses ; une extension de sa mémoire dépassant tous les guides du genre. Miam, slurp… On a rien sans rien, et la première des choses est de prendre le temps, de rouler, d’échanger, de goûter, d’avaliser, d’échantillonner, de présenter avant toute commande.
Un bourgeois qui a mal tourné
Damien le bien nommé Gateau est le cadet d’une fratrie de sept enfants. « Avec Nathalie, nous sommes les deux seuls à être nés à Lyon, ce qui ne veut pas dire que nous sommes Lyonnais ». La famille arrivée en 1960, son père qui a fait tous les métiers, œuvre à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est de Lyon, « secrétaire général, quelque chose comme ça ». Né à la Croix-rousse, élevé dans le sixième dans une certaine rigueur catholique, il fréquente le groupe Jean Racine et les Maristes. « Maman faisait à manger pour neuf. Nous n’allions pas au restaurant, on ne gaspillait pas ; mes parents font partie de cette génération qui pour avoir vécu la guerre faisait attention ». Pour le reste, « un bourgeois qui a mal tourné, je suis épicier », il se définit avec la causticité qui lui sied et constitue le rempart à une certaine adversité pour tout ce qui est fait à la va vite, sans âme, à commencer par la gastronomie tiroir-caisse, qui voit le bon produit assemblé à une misère agro-industrielle histoire d’assurer bonne marge. L’épicurien Damien Gateau est aussi fort adroit de la langue. La légende veut qu’il ait formé palais auprès de son frère gagnant d’un concours de vin. Il se prend au jeu. « Dès que j’avais trois ronds, j’achetais du vin ». A partir de 1989, il fréquente assidument les dégustations de l’association des sommeliers parisiens et rencontre le noyau dur de ses tanniques amitiés, Olivier Poussier MOF 2000 ou Alex Bader, tribun des champagnes Billecart-Salmon. L’arrivée en 1991 de Frédéric Guillermin, homme taste vin, autrefois à la tête du caveau de la Cour des Loges, dans la famille (il épouse sa sœur aujourd’hui décédée), scelle son destin de chasseur de produits d’exception élevés et maturés en France avec ce soin qui exige tant de temps. Normal dés lors qu’il ait noué amitié immédiate avec Sonia Ezgulian, entre gens d’exception… Que ses anciens élèves de l’Institut Paul Bocuse lui fassent une confiance absolue relève d’une forme d’adoration dans le charismatique. Des Damien Gateau il y en a qu’un, qui s’il n’était lyonnais, serait autrement reconnu. Et que vive le miam, le slurp, longuement de chez longtemps.
14, rue Philibert Roussy – Lyon Croix-Rousse
Tel 04 78 30 82 41
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