Photos © Fabrice Schiff
Par Baudouin Wisselmann
A l’invitation de Pascal Blache et de Florence Darbon, l’acteur et metteur en scène Francis Huster a fait le show sur la scène de la mairie du 6ème dans la soirée du 21 avril. Sa conférence promotionnelle sur Molière a rencontré un succès inattendu. Ses fans à crinière blanche étaient présents dans la salle des mariages dès 5h de l’après-midi.
« On vous ment depuis des siècles ! » Molière n’est pas celui qu’on croit être. Pour Huster, il est avant tout un acteur politique qu’on a transformé en auteur truculent. « Don Juan ou le Misanthrope, ce n’est pas drôle ». Huster, dressé derrière son pupitre, veut réhabiliter Molière et c’est l’objet de son livre à paraître dont il vient présenter l’imposant manuscrit. Se lançant d’abord dans un procès contre les ennemis du théâtre et de la culture, c’est d’abord Staline qu’il accuse d’avoir plongé l’Europe dans la guerre et le communisme : « On a osé nous faire étudier dans les livres d’histoire Joseph Staline en tant que petit père des peuples, et ceux qui est osaient dire qu’il était une ordure était absolument vilipendés. Je me fous de Staline et de ce qu’il a fait, mais je ne me fous pas de ce qui est arrivé à mon métier, à Molière. »
Son anti-bolchevisme ne semble pas pour autant absolu. Dans une autre invective virulente dont les hurlements font sursauter la salle, Huster se déchaine : vouloir défendre la culture en rejetant la société multiculturelle est un « raisonnement scandaleux et vicieux qui n’a rien à voir avec la culture, n’a rien à voir avec Molière, ni avec nos valeurs ! La France, ce n’est pas seulement la langue de Molière, c’est le cœur de Molière ! Le sens de Molière, c’est le partage ! ». Après cette estocade véhémente portée au concept d’identité, c’est le communautarisme allochtone qu’il fait chanceler, en insistant sur les vertus assimilatrices du théâtre : « Le théâtre est une arme efficace pour lutter contre les ghettos ethniques […] des parents mériteraient d’être punis par la république pour avoir contraint leurs enfants à rester cloisonnés au cercle familial et religieux qui ne leur laissaient qu’une issue : le cercle carcéral, celui du banditisme ou du terrorisme. »
Mais comme Francis Huster l’a lui même démontré, Molière n’en est plus à une récupération politique près. Toutefois, la suite du discours est admirable, historique, factuelle et appuyée de documents d’archives. Particulièrement éloquent, l’auteur nous plonge dans le théâtre de la fin du XVIIIème. Son travail de recherche sur cette période donne à l’exposé une saine fraicheur, brisant à l’occasion les jugements anachroniques et idéologiques du roman national républicain sur Louis XIII et Louis XIV. Le Roi Soleil le fascine, il lui reconnaît un très grand sens de la stratégie, tant militaire que politique, qui aura fait de Molière une arme contre la séditieuse fronde et la confrérie du Sacré Cœur. Molière n’est pas selon lui un auteur comme Corneille et Racine l’ont été, il est « ce que Mozart a été à la musique, il est hors du temps ». Il ne s’est pas contenté d’écrire le théâtre, alors simplement déclamé et sans mise en scène, il lui a su lui donner toute la vivacité que nous lui connaissons aujourd’hui. Mais Molière n’est pas non plus un acteur, le manque de réussite de nombre de ses pièces en est la preuve, si Molière jouait, c’était « un échec ». Il devait vivre, être son propre personnage, c’est là que demeurait tout son génie conclut Francis Huster.
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