Photo © Fabrice Schiff
Par Jean-Alain Fonlupt
Dans le lumineux regard de Gilbert Pécoud affleure une tension introspective qui ne pouvait que déboucher sur l’acte de création. On y sent l’urgence de traduire par la puissance du trait, un questionnement qui le porte vers l’empathie avec le drame… Une souffrance qui n’est jamais irréversible, toujours réchauffée par l’incendie des couleurs, apaisée par la quiétude des nuances… Pécoud est un peintre de combat qui garde le bonheur pour son jardin secret…
Passé le seuil de la galerie – et les civilités malicieuses du maître des lieux – le regard est instantanément happé, aspiré, embarqué par le tourbillon foisonnant (Alain Vollerin parle de maelstrom) des peintures de Gilbert Pécoud. Œuvres réalisées pour la plupart d’entre elles tout exprès pour cette exposition, elles affichent une évidente cohérence d’intention. Pour qui connaît le parcours de l’artiste, ce travail s’inscrit dans une abstraction récente, sous-tendue, habitée encore par la forme, comme si les paysages de la mémoire ne pouvaient complètement se traduire sans quelques signes figuratifs… Ou est-ce, à contrario, l’élément, le sujet de la toile qui ne pourrait livrer complètement son mystère (son message) sans une métamorphose du trait et de la trame…
Dans telle œuvre, la chaise est bien là, reconnaissable dans sa structure fondamentale mais comme irradiée, atomisée par la complexité de son histoire, en partie détruite par le souffle éblouissant du souvenir de celui qui l’occupait… Dans telle autre, deux visages se devinent, incertains, clandestins, et pourtant dévoilés, désignés par le rouge de la colère ou de la honte, perdus dans le champ des tensions qui se tracent à grands traits noirs avec juste ce qu’il faut de bleu pour conserver un brin d’espoir… Dans telle autre encore, c’est bien un corps qui s’envole les bras ouverts, escorté de l’aile noire des «chers corbeaux délicieux» chantés par Rimbaud, ou est-ce un crucifié dans l’éblouissement de sa dernière seconde de vie terrestre ? Dans celle-ci, que l’on croirait plus spontanément lisible, ce sont les multiples strates du propos à travers la simple représentation de la blouse du peintre qui sème un trouble, est-elle le vêtement taché, froissé dans l’intensité du travail de création, est-ce la tunique abandonnée du martyr, relique et relief de douleur et de sainteté ?…
On pourrait ainsi pour chacun des travaux exposés ici, se poser la question de ce qui est représenté et de ce qui appartient intrinsèquement au geste inconscient du peintre ou à la vision subjective du spectateur… Mais peu importe ce que chacun trouvera dans ces œuvres – peintes non pas sur toile mais sur carton pour un rendu plus lisse, avec une pâte moins complexe que d’habitude chez Pécoud – elles explorent les sources d’inspiration récurrentes du peintre, offrent le tremblement de mondes intérieurs, installent leurs mouvements en rafales de couleurs sombres, en taches parfois incandescentes, en espaces blancs et transparents, et offrent à tous l’empreinte d’une perpétuelle réinvention… Laissez venir à vous cette évocation de l’univers si singulier de l’artiste, cette peinture appartient à qui sait lâcher prise devant l’œuvre et se laisser submerger par le vertige de son tourbillon… Gilbert Pécoud est à n’en pas douter un peintre qui compte, à vous d’aller découvrir pourquoi…
Jusqu’au 31 juillet 2014
Galerie «Mémoire des Arts» – 124, rue de Sèze – Lyon 6– Lu-ve. 15 h-19 h, sa. 10h30-13 h.
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