Jacques Boucaud : « Roland Bernard s’est senti trahi, humilié ! »

16 juin, 2009 | LES GENS | 1 commentaire

roland_bernard Propos recueillis par Marc Polisson

 

Avec Roland Bernard, c'est l'une des dernières figures historiques de la Mitterandie qui a disparu début mai (lire sa nécrologie en Dernière minute). Notre confrère Jacques Boucaud, journaliste politique au Progrès, revient sur la carrière et la fin de vie de l'ancien sénateur-maire PS d'Oullins.

 

Quel a été le parcours politique de Roland Bernard ?

Ses premiers faits d'armes remontent à la Convention des institutions républicaines créée en 1964 par François Mitterrand. La première fois que se sont croisés les deux hommes, c'était en 65 durant la campagne des présidentielles. Roland Bernard avait assisté à un meeting de Mitterrand à la Bourse du travail à Lyon mais il n'y était pas resté plus de dix minutes tant il avait trouvé cela rasoir. Mais la première rencontre, décisive celle-ci, remonte à 1975, lors d'une réunion interne au PS, toujours à Lyon. A l'issue de laquelle Louis Mermaz a confié à Roland Bernard : « Le président t'a trouvé bien ». Au point que le patron du PS est venu le soutenir aux cantonales en 76 à Oullins. Une élection qu'il remporte – la première – avant de se faire élire maire en 77, député en 81 puis sénateur en 86.

 

Il connait donc un début de carrière politique fulgurant !

On peut le dire. Il était soutenu par Mitterrand dont il était réellement devenu très proche, au point que chaque dimanche de Pentecôte, après l'ascension de la roche de Solutré puis des balades dans le Mâconnais, toute la Mitterrandie se retrouvait à dîner chez Roland Bernard qui, avec son épouse, avait acheté une petite maison à Merzé, à côté de Cluny. Une proximité qui a fait qu'à cette époque, aucun socialiste n'aurait osé toucher un cheveu de Roland Bernard.

 

Que se passe-t-il ensuite ?

Il y a eu deux événements qui ont fait basculer sa carrière politique. D'abord sa défaite aux municipales en 1990, après que son élection ait été invalidée à cause d'une procuration non signée sur la liste d'émargement. Roland Bernard l'avait emporté de quelques voix seulement devant Michel Terrot (UMP) mais après une nouvelle élection entraînée par cette invalidation, son adversaire l'a emporté. Il en a été meurtri, surtout de calomnies dont il était la cible. L'une des dernières volontés de l'ancien maire d'Oullins, a d'ailleurs été que son successeur à la mairie n'assiste pas à ses funérailles.  La seconde cicatrice a été provoquée quand le PS ne l'a pas retenu sur sa liste aux sénatoriales en 95 (l'élection était à la proportionnelle) alors qu'il était sénateur sortant.

 

Cette défaite aurait pu être un simple incident de parcours. Pourquoi se transforme-t-elle en traversée du désert sans fin ?

Ce ne fut pas une traversée du désert puisqu'il n'a plus jamais exercé aucun mandat politique ni aucune fonction au sein du parti socialiste. Mais il s'est senti trahi, humilié.

 

Il est reconnu comme étant brillant. Pourquoi alors est-il lâché par le Parti Socialiste ?

Il a dirigé la fédération de 75 à 79. C'est lui qui a implanté Hernu à Villeurbanne, Poperen à Meyzieu, tous Mitterrandistes comme lui. C'est lui qui a poussé Gérard Collomb à se présenter à Lyon, en 77. Roland Bernard s'est fait des ennemis à cette période de sa vie : il n'avait pas la langue de bois et ne ménageait pas la chèvre et le chou, fort du soutien et de la protection de l'ancien président de la République. Or bien avant de quitter l'Elysée, Mitterrand n'était plus en position de pouvoir imposer quoi que ce soit au Parti socialiste. Roland Bernard a alors été victime des rivalités et des ambitions des uns et des autres, issus d'autres courants que le sien, lesquels prenaient de plus en plus de poids. Resté fidèle à sa ligne, Roland Bernard a perdu pied. Il a payé sa proximité avec Mitterrand.

 

A la fin, il est hué dans certaines réunions socialistes… Sur des forums, certains parlent de lynchage !

On le constate encore aujourd'hui, les socialistes sont rarement tendres entre eux.

 

Roland Bernard  a démarré sa carrière avec Gérard Colomb. Quelle était la nature de ses rapports avec le maire de Lyon ?

Ils ont fait campagne ensemble aux municipales à Saint-Fons en 71, puis Collomb est ensuite parti rejoindre le courant Mauroy, tandis que Bernard est resté près de Mitterrand. L'ancien maire d'Oullins le lui a reproché, balançant à cette époque à Collomb : « Tu seras toujours dans le camp des perdants ». Il avait parfois des propos très durs avec les gens. La rupture était consommée.

 

Pourquoi ce dernier a-t-il pleuré lors de ses funérailles ?

Parce qu'il a été réellement touché. Ils avaient un certain nombre de points en commun : une grande culture, une belle érudition et un profond humanisme. Et puis ils ont quand même fait un bout de chemin politique ensemble. Roland Bernard disait parfois que Gérard Collomb lui devait tout. A tord ou à raison, je n'en sais rien. Et puis sans doute que Gérard Collomb avait des regrets. Roland Bernard était meurtri qu'il ne l'ait pas appelé après sa victoire à Lyon en 2001. Certes ils se sont revus. J'ai été témoin d'une rare rencontre entre les deux hommes, en juin 2008. Ils ont longuement bavardé au cours d'une réception à Lyon où ils étaient invités l'un et l'autre et Collomb aurait promis à Roland Bernard de se revoir. Cela ne s'est jamais produit. C'était peut-être là un des regrets du maire de Lyon.

 

Mis à la retraite en 1995, à seulement 50 ans, à quoi occupait-il ses journées ?

En 95, Roland Bernard avait monté une très belle société d'expertise en recherche d'amiante. Mais l'expérience s'est mal terminée environ cinq ans plus tard. Il disait avoir été grugé par des associés. Il en a, là aussi, gardé un profond ressentiment. Il partageait ses journées entre la lecture, la réflexion, le piano, l'été dans son jardin de Merzé, plein de fleurs. Il aimait aussi réunir sa famille, ses enfants, ses petits-enfants à Oullins ou à Merzé. Il consacrait une partie de son temps à des associations dont « Piano à Lyon ». Il rencontrait de façon très régulière des amis très proches comme son homonyme Roland Bernard, hôtelier et vice-président du Grand Lyon.

 

A-t-il noyé son chagrin dans l'alcool comme on l'entend dire souvent ?

C'est certain. Peut-être était-ce un moyen d'oublier les fêlures de sa vie.

 

Finalement, son cancer est-il une conséquence indirecte de ses déboires ?

Certainement, puisqu'il est mort d'un cancer du pancréas.

 

Toutes proportions gardées, peut-on donc comparer son destin à celui de Pierre Bérégovoy ?

Non. Roland Bernard ne s'est pas suicidé. Il aimait la vie, il a eu envie de se battre quand il s'est su malade, même s'il ne tournait pas le dos à une issue qu'il savait pouvoir être fatale.

 

 

 

 

 

1 Commentaire

  1. JLPY

    Je tombe sur cet article par hasard. Oullinois de 1974 à 1996, j’ai bien connu la période où Roland Bernard était maire et je connaissais personnellement plusieurs de ses conseillers municipaux. Roland Bernard n’a pas noyé son chagrin dans l’alcool, c’est l’alcool qui a tué sa carrière. Alors qu’il était encore maire, le bruit courrait de plus en plus fort de sa dépendance à l’alcool, jusqu’au jour où j’ai assisté à une remise de récompenses à des jeunes sportifs aux résultats brillants (dont ma fille faisait partie). Et j’ai assisté avec tristesse à une cérémonie où le maire titubait et n’arrivait pas à terminer son discours d’une voix pâteuse. Cette dépendance à l’alcool devenue de notoriété quasi publique a été la cause majeure de son échec aux élections suivantes. J’en ai beaucoup voulu à ces personnes de son conseil que je connaissais d’avoir été aveugles de ne pas l’avoir aidé à s’en sortir

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