Photo © Jean-Luc Mège

Par Nadine Fageol

C'est dans son vignoble de Château l'Arrosée, à Saint Émilion, que le discret fils de Roger Caille a reçu Lyon People, à quelques jours des vendanges. Son implication au cœur du Bordelais est partie intégrante de son projet d'entreprise qui consiste à pister et à relancer les sociétés détentrices d'un véritable savoir faire français. Visite guidée en exclusivité.

« En fait, je pars en hélicoptère. Rdv à St Émilion », le texto tombe à l'aéroport de Lyon. On le pensait à bord de l'avion et voilà Jean-Philippe Caille jouant les filles de l'air, autant dire que l'on tombe des nues. Exaspération. Deux minutes plus tard, on découvre les mines raides hilares du bonhomme avec son ami Jean-Marc Lemaître là, derrière la vitre du comptoir d'enregistrement. Pas mécontents de leur effet. Un côté farceur jovial, et voilà dessiné un trait dissimulé de Jean-Philippe Caille, fils de Roger, entrepreneur rhônalpin de renom avec Jet Services par ailleurs grand conquérant de trophées sportifs dont le record de la Traversée de l'Atlantique Nord à la voile en 1990. Roger parti visiter les cieux il y a tout juste deux ans, nous voilà partis à la rencontre du fils. Une heure plus tard, le taxi file dans les rires vers un paradis terrestre, Saint Émilion, pour stopper sa course au milieu d'une colline face à Château L'Arrosée. Amoureux du vin, les Caille, père et fils, ont longtemps cherché avant de trouver en 2002 un diamant pur à révéler. Défi qui n'était pas pour déplaire à Roger. Entretenir un cru réputé ou redorer le blason de l'Arrosée, ce dernier choix représentait une aventure autrement stimulante. Au beau milieu du vignoble racé « tout de finesse et rondeur», l'Arrosée a pour prestigieux voisinage Ausone, Angélus, Canon la Gaffelière… Si, dans le passé, le domaine a appartenu à un ministre napoléonien, il doit se contenter du titre de Grand Cru Classé lors de l'élaboration du classement des saint-émilion en 1954 en raison d'une vinification à la cave coopérative et non au domaine. Hors de l'avis général, toujours d'actualité, il a capacité à côtoyer les 1^er grands crus. L'Arrosée a encore un supplément d'âme, son assemblage particulier qui ajoute aux habituels merlot et cabernet franc, le cabernet sauvignon, cépage fleuron du Médoc rarissime en saint-émilion ! Dès lors la famille se met à l'ouvrage. Rasées les infrastructures trop vétustes, édifié un bâtiment en U comprenant deux chais cernant un cuvier. Au-dessus sur les ailes, deux appartements avec terrasses embrasent le fier vignoble. Architecture sobre, matériaux du cru et méthodes. Enherbement pour absorber les excès d'humidité, nutriments bio… Depuis huit ans, la vigne goûte à la viticulture raisonnée. François Capdemourlin, le pointilleux régisseur est anxieux, le raisin est superbe seulement les pépins pas encore à maturité. Il va falloir composer au jour le jour avec la météo pour lancer les vendanges. En attendant, il opère un nettoyage en règle du cuvier. Objet vinicole non identifié en raison de sa rondeur, l'innovante  table de tri mis au point par « l'Arrosée » a fait l'objet d'un brevet poussant aux orties le modèle classique.

Observés avec suspicion à leur arrivée, les Lyonnais sont désormais respectés et « l'Arrosée » d'accumuler  bonnes notes, prix et médailles. Rencontré au détour d'une rue à Saint-Émilion, Ludovic Martin, négociant caviste, acteur de la place raconte avoir retourné l'Hexagone en quête du millésime 2003. Jean-Philippe Caille est comme aimanté par les caveaux. Il les visite incognito. Pourvu que l'Arrosée soit estimé, reconnu, sa personne n'a pas vraiment d'importance. Caviste, négociant, courtier, au fur et à mesure des rencontres, se confirme les inquiétudes, la crise n'a pas fini son œuvre dévastatrice. Calme, il enregistre les informations. Devant un plat de côtes de bœuf, on le laisse parler affaires, pour converser avec Jean-Marc Lemaître, « il s'en sort bien car il fait des choses beaucoup moins drôles qu'avant et donne un sacré coup de main à sa mère. Il bosse sérieusement sans se prendre au sérieux ». Ils se sont rencontrés chez Publicis. L'avocat Hugues Ducrot et Laurent Mazard, consultant dans le transport, font aussi partie de son cercle d'amis rapproché avec le chef Christian Bacque actuellement en poste au Mexique. Il a un besoin vital de grand air, « je me souviens qu'entre deux rendez-vous, il partait aux champignons ». La nature indispensable et les Alpes clés de voûte de nombre de projets. Sa société ne s'appelle-t-elle pas Idealp ? Il a pris des parts dans les skis Lacroix, racheté la filature Arpin. Les métiers à tisser classés au patrimoine fabriquent d'exceptionnelles étoffes à partir de la laine de moutons de l'arc alpin uniquement. Une négociation est en cours avec un fabricant de chaussures. Le travail du cuir et des étoffes permettant d'envisager une production croisée d'accessoires. Dans la foulée, il a créé Esprit des Sens, agence de communication spécialisée dans l'art de vivre. Si son père avait été pionnier en son temps avec Jet Services, lui a manifestement trouvé sa voie, « préserver les savoir-faire français plutôt que les entreprises deviennent des musées pour Japonais » insiste Jean-Philippe. Arrosée de 2005 et de château L'Armont, l'autre grand cru du domaine, le repas touche à sa fin, arrive une joyeuse petite vielle dame. « Il était impensable pour mon père d'aller à l'Arrosée sans aller déjeuner chez la Puce». Clic-clac, la photo souvenir devant le portrait de Roger trônant sur la cheminée du restaurant. On remonte dans la camionnette blanche à trois devant pour retrouver l'œnologue Gilles Pauquet. « Il va falloir jouer fin, les cabernets ne sont pas mûrs, donc on va affiner. De toutes façons on peut attendre, on en a sous la semelle ». Jean-Philippe Caille aussi. Là, tout de suite, il rentre à Lyon retrouver Stéphanie, architecte et maman de Victoire et Alexandre nés en 2005 et 2007, deux grands millésimes.