Texte : Fanny Suteau – C’est le premier visage que l’on croise en arrivant à Collonges. Natuk Mohamed est groom chez Paul Bocuse depuis novembre 2016. Aujourd’hui, il souhaite s’engager davantage dans la vie politique des Comores en se présentant à l’élection présidentielle de 2024.
Né à Chezani au nord de l’archipel de la grande-Comores, Natuk Mohamed Mouzaoir a toujours baigné dans la politique. Son père (photo ci-contre) a effectué deux mandats en tant que député et un en tant que conseiller. « Quand mes copains allaient jouer, mon père me gardait toujours à ses côtés quand il recevait des politiciens à la maison », nous praconte-t-il.
Natuk est arrivé en France après son bac, en 2000, à Marseille. « J’ai intégré la faculté d’économie Aix-Marseille II où j’ai suivi une formation d’économie, politique et gestion publique », explique-t-il. Aujourd’hui âgé de 43 ans, Natuk marche sur les pas de son père et se présente aux élections présidentielles des Comores en 2024. « Mon premier conseiller politique, c’est mon père », précise-t-il.
Son projet politique : limiter la fuite des cerveaux
Natuk est le premier secrétaire du parti ULEZI, de tendance socio-démocrate, créé en 2013 sous forme de groupe de réflexion sur la situation aux Comores. « Une révolution des mentalités doit être amorcée pour que le jeune comorien intègre l’idée de savoir se prendre en charge », explique-t-il. Avec son équipe, Natuk travaille sa candidature depuis 2016. Ce dernier veut limiter l’émigration et la fuite des cerveaux. Aux Comores, les jeunes ne disposent d’aucune garantie sociale. « Mon cheval de bataille, c’est d’inciter la jeunesse à rester aux Comores, vivre, travailler et investir dans notre pays. Les gouvernements successifs n’ont pas mis les outils en place pour les garder », indique-t-il.
Lui-même issu de la diaspora, il souhaite donner la possibilité à la communauté comorienne, dispersée dans le monde, de voter pour élire le président de leur pays. « La diaspora comorienne en France, ce n’est pas moins de 300 000 personnes. Aux Comores, il y a 900 000 habitants. 30% de la population comorienne vit donc en France. Partout dans le monde, les expatriés sont environ 500 000 ». L’objectif de Natuk : faire en sorte qu’ils reviennent participer au développement économique des Comores.
Enfin, le Comorien déplore le nombre considérable de morts entre Anjouan et Mayotte depuis l’instauration du visa Balladur en 1996, qui interdit à un ressortissant d’une autre île sans visa d’accéder à Mayotte. « Même si la France continue d’administrer à Mayotte, il devrait y avoir une libre-circulation pour avoir une cohésion et un équilibre de vie. De toutes façons, il y a un destin commun dans l’ensemble de l’archipel des Comores ». Natuk prévoit également d’œuvrer contre la corruption, d’agir pour la place de la femme en politique, pour le droit à la santé et l’éducation.
Sa vie à Montbéliard puis à Lyon
Natuk s’est marié en 2007 et est parti s’installer à Montbéliard avec sa femme. A cette époque, le jeune homme s’est engagé en politique en tant que militant du parti socialiste et a été embauché comme adjoint administratif au service de l’état civil de la mairie de Montbéliard. Très vite, Natuk a voulu faire connaitre positivement les Comores et a alors créé l’association « Enfants des Comores en France ».
En 2016, la municipalité en restriction de budget prend la décision de ne pas renouveler son contrat. Étant séparé de sa femme, Natuk quitte alors Montbéliard pour venir s’installer à Lyon. « Parce qu’il y a une forte communauté comorienne et parce que ma petite sœur vit ici avec son mari », précise-t-il. Mais Natuk l’assure : « je savais dans ma tête que c’était passager ». Natuk a trois enfants. Le premier est né en 2009 à Montbéliard d’un premier mariage. Les deux derniers sont des jumeaux âgés de 5 ans, un garçon et une fille, nés aux Comores, d’un second mariage.
D’adjoint administratif à groom chez Paul Bocuse
A son arrivée, le père de famille est accueilli chez sa sœur. Et c’est là que son destin va basculer. Il se trouve que cette dernière a une connaissance qui travaille chez Bernachon et côtoie Vincent Le Roux, directeur général du restaurant Paul Bocuse. « Le poste de second groom était vacant », raconte Natuk. En effet, Saïd a disparu mystérieusement du jour au lendemain en 2016, laissant son poste disponible.
En novembre 2016, Natuk a commencé à travailler à l’auberge de Collonges aux côtés de Daniel, également comorien, et côtoyé Monsieur Paul pendant près de deux ans. « C’est un milieu que je ne connaissais pas. Après coup, je me dis que c’est une chance que j’ai eue. Ici, on ne reçoit pas des clients, on reçoit des convives qui viennent nous rendre visite dans notre maison familiale », indique ce dernier. Une famille qu’il a quittée ce dimanche 11 juin 2023 pour rejoindre les Comores et son destin présidentiel ? Réponse en février 2024.
POLITIQUE ET GÉOPOLITIQUE DES COMORES
L’archipel des Comores se compose de quatre îles : La Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. Mais depuis 2009, Mayotte est officiellement un département français. Les trois autres îles forment donc ensemble un territoire indépendant. Azali Assoumani est président des Comores depuis 2016. Natuk parle d’un « coup d’état électoral » pour décrire les élections présidentielles de son pays en 2019, remportées par le président en place. Ce dernier avait remis son mandat en jeu car il avait « organisé un référendum pour manipuler la constitution », explique Natuk. Il souhaitait que chaque île puisse dorénavant rester dix ans au pouvoir au lieu de cinq. En 2021, avec son parti ULEZI, Natuk a imposé un dialogue inter-comorien pour la réconciliation nationale qui a finalement eu lieu en février 2022. Le but pour le comorien : « apaiser les esprits et préparer une alternance démocratique pour 2024 ».
« Au-delà du monde associatif pour lequel j’ai œuvré, il fallait que j’impose des idées novatrices, qui pourraient éventuellement amener un changement dans mon pays ». Natuk a donc quitté l’auberge de Collonges et s’est envolé pour les Comores. « J’ai un an pour préparer tout ce qu’il faut », conclut-t-il. Natuk soutient le président Emmanuel Macron mais n’approuve pas sa manière de coopérer avec le président comorien actuel, « surtout au sujet des valeurs universelles de démocratie et de liberté d’expression », précise-t-il. « Je pense qu’il y a des leviers à mettre en place pour que certaines valeurs ne soient pas bafouées ». Natuk et son parti sont également opposés à l’opération dite « wuambushu » et dénonce « la destruction des bidonvilles et les expulsions massives des citoyens « clandestins » comoriens résidant à Mayotte. Cette ile connait une crise structurelle très profonde que la solution de délogement et déplacement forcé des populations n’est autre qu’un déni de droit. »
0 commentaires