Texte : Morgan Couturier – Passionné depuis le plus jeune âge par un métier l’ayant emporté aux quatre coins du globe, le chef Jérémy Biasiol vit depuis près de 3 ans, avec les séquelles d’un AVC du tronc cérébral. Désormais handicapé, le gastronome demeure néanmoins attaché à la cuisine et à un rêve.
Quand la terre s’arrête de tourner, force est de croire que l’espoir fait vivre. Ou revivre, dans le cas du chef Jérémy Biasiol. Une conclusion simpliste, que le Lyonnais se serait bien passé de goûter, si tant est que sa vie n’en soit pas une preuve irréfutable. À bien des égards. Reste qu’à 43 ans, et alors qu’un foudroyant AVC du tronc cérébral est venu effacer des années de plaisirs accordés à la cuisine, le gastronome semble avoir trouvé la voie de la résurrection.
D’une renaissance tout simplement, en dépit des nombreuses séquelles que le temps ne semble pas décidé à effacer. Alors pour guérir, le globe-trotter se réfugie vers cette médecine insoupçonnée qu’est l’espérance. Vers cet espoir de décrocher ce qu’aucune personne handicapée n’est parvenue à faire jusqu’alors : le col tricolore de Meilleur Ouvrier de France.
« Le handicap, on ne l’accepte pas, si on n’a pas de projet ».
« Il faut le prendre comme un challenge. La preuve, j’ai déjà récupéré des sensations grâce à la cuisine. Regardez, il ne me faut pas beaucoup de place. Il y a plein de trucs adaptables. Il faut simplement faire l’effort d’adapter. Moi, je ne veux pas qu’on m’appelle handicapé, mais handi-capable », livre ce cuisinier, au talent poli en stage dans les cuisines de Pierre Orsi, Georges Blanc ou Paul Bocuse, puis façonné pendant dix ans, derrière les fourneaux d’Alain Ducasse, au Relais du Parc à Paris, à Monaco, Londres ou New-York.
« J’ai fini sous-chef à 24 ans, avant de devenir chef privé pendant deux ans pour le compte d’un riche client d’Alain. Je vivais la vie de millionnaire sans être millionnaire », confesse aujourd’hui l’ancien chef du Mirror, restaurant étoilé, élu meilleur établissement de Hong-Kong par la chaîne CNN. J’ai connu quatre ans de succès, puis la révolution des parapluies nous a poussés à mettre la clé sous la porte », regrette-t-il. Direction Shanghai, de 2014 à 2017, avant que les péripéties de la vie et un problème de visa ne le ramènent désespérément sur le chemin de l’Europe. En Allemagne d’abord. Avant un retour aux sources, en 2018, derrière les fourneaux de La Bastide.
Première étape : repasser un CAP pâtisserie dès cette année
« C’est là, qu’apparaissent les premiers problèmes de santé et les premiers problèmes cardiaques », se souvient le gastronome, marqué par cette expérience d’une année, épuisante mentalement comme physiquement, au point de déclencher l’irréparable un an plus tard, à l’été 2019, dans les cuisines d’un restaurant de Belleville-sur-mer.
« Pendant un service, je m’effondre. Je suis évacué en hélicoptère à Vannes. Je reste trois jours à l’hôpital. Et au moment de sortir, mon visage s’affaisse. Je retourne quand même au travail. Sauf que je ne tiens plus debout. Mon patron me renvoie à l’hôpital et cette fois, le verdict tombe : AVC du tronc cérébral. Il y a 5% de chance de survie pour un AVC de ce type. On me dit : « si vous passez les deux prochaines heures, vous serez au mieux paraplégique » », témoigne l’air grave Jérémy Biasiol.
Un triste sort pour le Lyonnais, lequel sut néanmoins trouver la force de surmonter deux semaines de réanimation et douze mois en centre de rééducation. L’idée : entretenir cette passion indélébile pour la gastronomie. « On a essayé de me faire oublier les métiers manuels. La cuisine est d’ailleurs très peu ouverte aux handicapés », relate-t-il, puisant dans ces manques, la force de relever le défi de Meilleur Ouvrier de France.
« J’aimerais que le concours devienne mes jeux paralympiques », glisse-t-il, avec l’envie de porter un tel exploit à hauteur de ces prouesses sportives largement médiatisées. Et donc mises en valeur. Soit ce que Jérémy Biasiol réclame pour les personnes handicapées qui, comme lui, tentent de surmonter l’insurmontable.
En effet, si le concours leur est ouvert depuis 2017, très peu sont ceux à avoir tenté leur chance. Pire, aucun n’a réussi. « Il faudra des aménagements, mais je ne veux pas d’un titre au rabais », poursuit le gastronome, inscrit à la 28 édition du concours, prévu en 2025.
Trois ans d’attente et autant de temps accordé à la redécouverte d’un métier, d’une gestuelle que la maladie pensait avoir totalement supprimée. Sinon fortement enrayée, l’infarctus ayant laissé une pluie de séquelles irréversibles. Pêle-mêle : perte de vision et d’équilibre, surdité, et une partie gauche du corps grandement paralysée, limitant de facto les sensations.
« J’aimerais que le concours MOF devienne mes jeux paralympiques »
Qu’à cela ne tienne, alors que 22 médicaments viennent tester quotidiennement son palais, Jérémy Biasol se dope surtout à ce rêve nouveau, soutenu par ses pairs, Grégory Cuilleron, Davy Tissot ou Guillaume Gomez. À la clé, l’or olympique, ou plutôt ce col bleu-blanc-rouge tant espéré.
Mais en attendant de devenir un jour le porte-drapeau « du handicap dans les hautes sphères de la gastronomie », l’intéressé (re)perfectionne son art. Sur les réseaux sociaux d’abord, où les abonnés de son compte À Vos Casseroles (AVC) dégustent ses recettes en vidéos.
En cuisine ensuite, le chef Tomas Parisini (Cugini à Jonage) ayant accepté de lui ouvrir les portes de son établissement. Une première victoire. Une première marche vers la démonstration qu’être embauché demeure encore possible. L’Olympe est encore loin. Mais peu importe la durée et la distance, l’important, est d’arriver…
Reste fort et en focus!