Par Alain Vollerin
Déambulant entre les deux vastes cours du Monastère de Brou, je repensais à ce jour de septembre 1988, où nous étions réunis, Jean Degottex, René Deroudille et moi, pour une interview qui deviendrait un document unique au monde, puisque Jean Degottex ne se livra jamais devant les caméras de télévision.
Comment ne pas penser aussi à Camille Niogret, peintre spiritualisé, auquel nous rendîmes si souvent visite dans sa maison de Treffort ? Dans le superbe catalogue publié à l’occasion de l’exposition au Monastère Royal de Brou, cette question est posée : "Qui n’a pas un jour posé un regard fasciné sur une gravure de Gustave Doré?" Tout est dit, ou presque, de l’impact de Gustave Doré (1832-1883) sur nos consciences. Ses illustrations ont toujours été utilisées pour flatter notre imaginaire. Faut-il pour cela limiter la valeur et l’impact de son œuvre à son admiration pour Grandville, ou à sa collaboration avec Charles Philipon, directeur du Charivari ? Cette exposition démontre, et cela était nécessaire, la puissance de l’expression picturale de Gustave Doré. On retrouve les grands courants de la peinture du XIXe français : Jean-Jacques David derrière les toiles des Romantiques ou des Troubadours, Ingres pour la finesse des traits de ses personnages comme ceux du tableau intitulé "Jeune mendiante à White Chapel, ou Pauvre Peggy", de Louis Janmot pour "Dante avec personnages ", de Gustave Moreau pour "L’énigme", de Goya pour "La sieste espagnole", des Orientalistes (n’oublions -pas de citer Jules Migonney, puisque nous sommes à Bourg) pour "Caritas ou jeune femme et mendiant aveugle" ou "les saltimbanques". Gustave Doré est toujours en phase avec son époque. Comment en serait-il autrement? N’a-t-il pas fait ses études avec Hippolyte Taine, et conservé pour l’auteur une amitié constante pour l’auteur des "Origines de la France contemporaine" ? Cette volonté de servir son époque se lit aussi dans "l’Alsace meurtrie", n’oublions-pas qu’il est né à Strasbourg, et qu’il ne pardonne pas la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Si Courbet est du côté des Communards où il occupe une fonction officielle au service de la culture, Gustave Doré, lui est réfugié à Versailles chez sa mère.
Ces épisodes sanglants inspirèrent aussi des artistes comme Alexandre Auguste Hirsch qui fut directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. Gustave Doré sera aussi un prodigieux paysagiste. On peut d’ailleurs préférer ses paysages à ceux de Gustave Courbet, parfois irrémédiablement lâchés. Esprit exalté, porté à la rêverie, Gustave Doré fut un catholique sincère. Il en témoigna par de nombreuses compostions, comme "le calvaire", "Jésus dans la synagogue", "les martyrs chrétiens", "le sermon sur la montagne" et aussi cette admirable "Résurrection" où en bas de la toile un pied surgit, mettant en évidence les dures lois de la perspective. N’oublions-pas que Gustave Doré est un autodidacte, un talent spontané dont le seul moteur est la qualité de son tempérament. Parmi ses œuvres les plus emblématiques, citons encore "Viviane et Merlin", "Alcina et Ruggiero" tirés de l’Orlando furioso de l’Arioste, et surtout "Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer" acquis par le Musée de Brou en 1982. Nous félicitons tous ceux qui participent à la réalisation de cette remarquable rétrospective, et particulièrement Magali Briat-Philippe, conservatrice du Patrimoine, Benoît Henry-Papounaud et Jérôme Pontarollo, commissaires de l’exposition, mais aussi Sylvie Carlier, Michèle Duflot, Philippe Kaenel. La restauration de certains cadres en bois doré fut assuré par Philippe Bouley que nous avions rencontré à Paris, lorsqu’il était apprenti chez le célèbre doreur Pierre Maury. Nous vous recommandons vivement la visite de cet événement incontournable, et bien entendu, l’acquisition du passionnant catalogue publié par les soins des éditions Somogy. Gustave Doré, un peintre né.
Jusqu’au 16 septembre 2012 Monastère Royal de Brou. Bourg-en-Bresse.
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