Propos recueillis par Alexandre Carraz-Ceselli – Chaque mois, le Café des Lyonnes, présenté par Alexandra Carraz-Ceselli, fondatrice de L’Equipe des Lyonnes, nous propose de partir à la découverte d’une lyonnaise au parcours remarquable. Ce mois-ci, à l’occasion du dossier spécial des Lyonnais de Miami, le Café des Lyonnes se met à l’heure américaine, et revient sur une rencontre antérieure qui prend tout son sens, avec Annabelle Ballot-Pottier, directrice de la Chambre franco-américaine. Lyonnaise jusqu’au bout des ongles, elle porte les couleurs de la France au pays de l’Oncle Sam et apporte une voix féminine dans le monde économique à Miami. Du lycée Ampère aux buildings de downtown Miami, fan de sa ville natale dans laquelle elle revient chaque fois que possible, retour sur le parcours d’une Lyonnaise qui a crû en ses rêves et en sa bonne étoile.
Pensez-vous être une femme engagée ?
ABP : Une femme engagée, c’est juste quelqu’un qui ne craint pas de se mettre en avant et d’aider les autres. J’ai toujours eu ce rôle depuis mon enfance de me dire que j’étais un peu responsable de mes copines, puis de mes collègues. Je n’ai jamais eu trop froid aux yeux, et j’ai une tendance à y aller tête baissée si je sais que le cœur y est et que cela peut servir à faire avancer les choses. Donc être engagée, pas sur tous les sujets, mais quand je vois de l’injustice ou que je pense que c’est important, j’essaie de ne pas penser à ma vulnérabilité et d’y aller.
Cela demande-t-il beaucoup d’engagement de se retrouver à la tête d’une chambre de commerce franco-américaine ?
C’est très particulier, mais cela m’est tombé dessus un peu par hasard. J’ai un parcours plutôt corporate, avec 18 ans dans l’aviation. J’ai travaillé chez Air France, Delta Airlines, puis au groupe Lufthansa. J’ai commencé́ à fréquenter et à aider la chambre mais en tant que sponsor. Ensuite, je suis venue aider l’ancienne directrice car elle avait besoin de femmes au bureau de la Chambre et de soutien logistique lors des évènements. Je me suis impliquée pendant 3-4 ans au sein du bureau, pour apporter une voix plus féminine dans le monde des affaires à Miami. J’ai été appelée au départ de l’ancienne directrice, pour venir redynamiser la chambre et faire des évènements présentiels.
Est-ce facile pour une femme de réussir aux États-Unis ?
On parle souvent des États-Unis en évoquant les deux extrêmes, et c’est vraiment le cas, sur tous les niveaux. Il y a ce côté très puritain, où beaucoup d’Américains de l’Amérique profonde vont penser qu’une femme est faite pour s’occuper de ses enfants et où une bonne majorité des femmes ne travaillent pas. Le système n’est pas facile, l’école termine tôt, cela coûte cher de faire garder ses enfants. Donc les femmes sont souvent amenées à prendre la décision de savoir si elles continuent leur carrière, au sacrifice de leur famille, ou si elles sacrifient leur carrière. L’autre extrême, c’est qu’il y a aussi beaucoup de respect pour les femmes, mais il n’y a pas de demi-mesure, il faut sur investir.
Petit retour en arrière, que rêviez-vous de faire quand vous étiez petite ?
En fait, j’ai un peu rêvé de tout. J’ai été élevée par un papa entrepreneur, qui avait un parcours atypique de bon homme d’affaires, qui avait une boîte de nuit à Lyon, et une maman espagnole avec un caractère très fort, mais que j’ai perdue très tôt. Mes parents m’ont toujours appris à travailler, je crois que j’ai fait tous les commerces du quartier, tous les petits métiers. On m’a appris le goût du travail, l’indépendance, et l’indépendance financière surtout. Ma maman m’a toujours dit que je devais être indépendante de mon mari. Et mon papa m’a toujours encouragé en tant que femme à être indépendante. J’ai commencé à travailler très jeune.
« On m’a donné ma chance »
À quel moment avez-vous quitté Lyon ?
J’ai rencontré mon mari il y a 25 ans à Lyon et nous sommes partis très jeunes. On voulait une expérience à l’étranger et mon mari a eu une opportunité à Miami avec le groupe Bolloré. Je l’ai suivi et fait tous les petits boulots possibles. J’ai vraiment connu le rêve américain, on m’a donné ma chance. Je suis allée avec beaucoup de culot chez Air France où j’ai été embauchée, sans avoir nécessairement l’expérience. J’aime bien faire les choses à fond, donc parfois c’est difficile de tout concilier entre vie perso et vie pro.
La question de la place des femmes dans la société vous préoccupe-t-elle ?
Avec plusieurs amies, nous avons réalisé que malheureusement en tant que femmes, on ne savait pas s’entraider ou demander de l’aide, à la différence de nos amis masculins. Les hommes savent mieux réseauter. Donc nous avons créé une association qui s’appelle “Elles’project”. Nous sommes une cinquantaine désormais (femmes dans le digital, avocates…) pour nous entraider, nous soutenir et en faisant du troc entre nous. C’est un projet qui me tient à cœur. Et avec la Chambre, nous n’avons pas encore suffisamment de femmes engagées. Nous avons un bureau d’une quinzaine de personnes, avec seulement 4 femmes. Pourtant la communauté française à Miami est importante. C’est vraiment très culturel. Les femmes françaises recherchent trop la perfection, se posent beaucoup de questions, et n’osent pas s’engager, de peur de décevoir. C’est très féminin, et un peu français aussi.
Quels enseignements retirez-vous de ce parcours ?
La balance est difficile à trouver, mais il faut bien communiquer avec sa famille et ses enfants. Mes filles savent ce que je fais et pourquoi je le fais. Je leur montre l’importance et le plaisir que je retire de ce travail, d’accompagner des entrepreneurs à s’installer, de tisser des liens. J’ai la chance extraordinaire d’avoir aussi un mari qui me soutient.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui veulent se lancer à l’étranger ?
Je pense que cela dépend vraiment des personnes. J’ai toujours eu une tendance à foncer et après à m’adapter. Avec l’âge, j’apprends un peu plus à réfléchir à l’impact que cela peut avoir. Il faut faire selon son caractère : êtes-vous capable de vous retrouver dans des positions moins confortables que d’autres, savez-vous être vulnérable ? Êtes- vous prêt à repartir de zéro ? Personne ne vous attend, donc cela dépend de votre capacité à se lancer à 100% dans votre projet. Il n’est jamais trop tard pour se réinventer. Il faut juste être conscient que cela ne va pas être simple. Il faut être capable de tout recommencer, et de se remettre en question. Pour ma part, j’ai trouvé cela extraordinaire. Mon mari et moi avons pu nous réinventer, évoluer et nous avons énormément appris en nous ouvrant à d’autres cultures. Après, vous aurez toujours le petit virus du voyage.
Si vous aviez une baguette magique, quelle mesure prendriez-vous pour permettre aux femmes d’être plus engagées dans la société ?
Ce qui est important, c’est l’éducation, parler à ses enfants dès le plus jeune âge. Il faut faire attention à ce que l’on dit et ce que l’on fait. J’aimerais que l’on parle de cela très tôt à l’école, et qu’on puisse expliquer aux petites filles qu’il n’y a pas de limite. J’ai mis un grand poster dans la chambre de ma fille qui a 8 ans, qui lui dit qu’elle peut être astronaute, ou pompier, ou ce qu’elle veut, et elle a des rêves plein la tête.
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