Texte : Morgan Couturier – Nommé directeur en avril 2022, de l’un des plus importants opéras d’Italie, Mathieu Jouvin est parvenu à relancer une institution en proie à de profondes difficultés financières. Reconstruit en 1973, après avoir été ravagé par les flammes, le Teatro Regio Torino a depuis retrouvé tout son attrait, dont l’illustration est à trouver dans le choix du titre pour la saison 2023-2024 : Amour Toujours.
La symphonie lyrique a souvent pour elle, cette force de transpirer l’amour. Depuis toujours. Dans cette ode partagée à travers les siècles, il n’y a sûrement pas échappé à Mathieu Jouvin cette capacité qu’a la musique, à devenir « la langue des émotions ». Il a même été dit que « l’on ne la vend pas, on la partage ». Une maxime entendue et répétée, sur la piazza Castello, où les abords du Teatro Regio Torino laissent entendre quelques extraits des plus belles compositions de ce monde.
Un prélude entièrement gratuit, dont l’écho résonne un peu plus loin, derrière les douze entrées de ce bijou architectural. Comme les douze mois de l’année. Cela tombe bien, le premier à les emprunter est un ancien lyonnais, un chef d’orchestre apportant une touche de Molière au milieu de la langue de Dante, cette originalité accompagnant l’ancien pensionnaire de l’Opéra de Lyon, depuis sa nomination, il y a deux ans.
Recruté par Serge Dorny en 2008, l’homme aura occupé la place de la Comédie pendant 9 ans, exerçant en ces temps révolus, la fonction de directeur administratif, en hommage à une scolarité opérée… dans l’Hérault, sur les bancs de l’école de commerce. Ses terres natales. « Mais après Montpellier, Lyon est la deuxième ville où j’ai passé le plus de temps de ma vie », contextualise celui que les Turinois appellent le « sovrintendente ».
Dans le texte, le superintendant de l’Opéra. Plus concrètement, le directeur. Un poste attendu depuis longtemps, après avoir baigné dans des registres plus financiers. « J’avais toujours le mauvais rôle, cette figure de méchant qui fatigue un peu. Cela génère une vraie frustration », évoque avec sincérité, cet ancien directeur adjoint du Théâtre des Champs-Élysées.
L’Opéra, une passion écrite très jeune
Alors lorsque le printemps 2022 lui souffla à l’oreille, la possibilité de diriger l’un des plus importants opéras d’Italie, Mathieu Jouvin ne put s’empêcher de postuler. Avec réussite, en dépit d’un italien approximatif, appris au fil des représentations. Fort de son profil de « Français très sérieux », l’ancien adepte du marché de la Croix-Rousse sut séduire. À commencer par le maire la ville, garant du processus de sélection. Une satisfaction encore prégnante deux ans après, le timbre de la voix, vibrant plus de coutume à l’heure d’évoquer une nomination en forme de consécration. Et plus encore, lorsque l’opéra représente une passion brûlante, découverte petit, au bras de ses parents. « Ils m’ont amené assez jeune à l’Opéra. Puis à 17 ans, je vois une représentation de Cavalleria Rusticana (de Pietro Mascagni) et je tombe amoureux de cette musique. Je l’écoute en boucle. De là, j’ai commencé à me passionner pour l’Opéra », livre-t-il.
Au gré des relations et des concours de circonstances, Mathieu Jouvin obtient alors raison. Jusqu’à s’installer ici, à Turin, « une ville magnifique », que l’intéressé « recommande mille fois ». Il en connaît déjà tous les rouages, toutes les rues, parfois mieux que les locaux. Même l’italien est devenu un réflexe naturel, que les nombreux appels reçus permettent d’entretenir. Ainsi sont les aléas d’un poste à responsabilités, où le directeur incarne à lui seul, le conseil d’administration. « Si ça se passe mal, c’est moi. Au départ, j’étais en première ligne sur tout », témoigne-t-il. L’homme préfère en rire, le stress des débuts étant passé, éliminé derrière une mission redressement pleinement perpétrée.
Une mission : redresser une institution en proie à une importante crise financière
« J’arrive dans un théâtre qui a vécu une grosse crise financière, avec un personnel traumatisé. J’étais 100% opérationnel, mais je sentais qu’il y avait une forte attente pour relancer l’Opéra », confirme-t-il, le Teatro Regio Torino étant prêt à sombrer, comme aux heures sombres de 1936 et ce court-circuit qui fit brûler toute sa structure. Fort heureusement, Mathieu Jouvin, comme l’architecte Carlo Mollino en son temps, sut relancer la machine et dessiner un scénario plus optimiste. Doucement, mais sûrement. À sa manière. La nomination d’un directeur artistique aida, au même titre que la diffusion d’une programmation originale, prompte à « marquer les esprits ».
« Aujourd’hui, on dit que Turin est reparti », se réjouit-il, l’Opéra enregistrant un taux de remplissage supérieur à 78%, les quelque 1600 places assises charmant même les jeunes générations. « On est passé de 5500 à 20 000 entrées jeunes, grâce à la mise en place d’avant-premières accessibles pour 10€ pour tous les moins de 30 ans. C’est un succès au-delà de nos espérances. C’est devenu un truc à faire pour ces générations. Il y a un vrai engouement. Le but, ensuite, c’est de reconstruire le public. Il y a une époque où Turin, c’étaient 8, 9 voire 10000 abonnés. Là, on est plutôt autour des 4000. C’est un bon début, mais on aimerait maintenir la dynamique que l’on a créée », complète Mathieu Jouvin, bien décidé à convaincre les visiteurs des bienfaits de cet « art populaire ». À l’écouter, la simple visite de sa nouvelle maison emporte déjà vers de nouvelles poésies. Lui en est convaincu : « il n’y a pas de meilleur support de l’émotion que la musique » !
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