André Mure,
une figure de proue du journalisme
Par Serge
Tonioni, délégué général du Club de la Presse
L'homme
élégant à l'il vif et au sourire malicieux, qu'il feignait de dissimuler
derrière ses grosses lunettes rondes en écaille, respirait le charme, la volonté
et la force tranquille de celui qui a vécu à la hauteur de ses rêves jusqu'à son
dernier souffle. À 84 ans, André Mure livrait au Progrès le lundi ses
« petits fours... tout » à la fois savoureux et désinvoltes. La disparition de
cette chronique après celle « des petits riens » de son compère Bernard
Frangin marque la fin d'une époque.
Ces deux humanistes, aussi épicuriens
qu'inclassables, aimaient se retrouver dans l'artère historique de la presse
lyonnaise à La Tassée pour partager tout simplement un petit moment de
bonheur. Avec eux, une page de l'histoire de la presse vécue avec une
authentique passion, se tourne. Coïncidence ? Tous deux avaient débuté leur
carrière journalistique avec le même maître de stage, le très distingué et
charmant chef de la locale Joseph Barraud, grand-père de notre confrère
François Mailhes. Son existence aurait pu être celle, toute tracée, d'un
très bon négociant, à l'image de son père Adrien, qui tenait boutique rue
Victor-Hugo. Mais André Mure nourrissait déjà de multiples passions qui
l'animeront toute sa vie : photo, courses de chevaux, gastronomie, écriture,
peinture, musique, art contemporain... André Mure n'était pas du genre à tracer
des frontières entre les genres, bien au contraire, il était curieux de tout et
s'imprégnait de chacune de ses passions qui allaient jalonner son impressionnant
parcours. Rien de mieux pour comprendre la photo que de devenir photographe. Et
pour comprendre la société... De se glisser dans la peau d'un photographe de
presse. Ce sont les chevaux qu'ils lui mettront le pied à l'étrier du
journalisme. Il s'essaiera comme chroniqueur hippique avant de devenir
chroniqueur tout court. Un métier qu'il exercera en indépendant avant de signer
un bail de 55 ans avec Le Progrès !
Un précurseur curieux et
désinvolte
En 1954, il participait aux rencontres de
Résonances lancées par Régis Neyret et Maurice Montans, artisan de
la 1ère télévision lyonnaise. A cette époque, il faut savoir que la
culture ne s'appréciait que durant le week-end. Les artistes « parisiens »
arrivaient le vendredi et s'arrêtaient à l'heure de l'apéro au Morateur
rue Grôlée, un lieu qui n'avait pas encore deux étoiles mais brillait déjà de
mille feux. André Mure, grâce ou à cause d'un papier paru dans Le Progrès
Soir donna un sérieux coup de projecteurs à ces rencontres. Régis Neyret dût
les arrêter car elles devenaient fréquentées par trop de « poétesses ». Dans les
années 60, on lui confie la direction d'un journal concurrent de « Salut Les
Copains » intitulé « Bonjour les amis ». Dès lors, avec sa femme Claudette,
qui n'était pas étrangère à l'affaire, il fréquente assidûment le Palais d'hiver
et la Côte d'Azur en compagnie des vedettes des 45 tours. Il créa même l'émeute,
rue de la République, en accompagnant Claude François au Progrès.
Le journal des amis s'arrêta avec la fin des années Yé-Yé. Amoureux des arts de
« tous » les arts, à commencer par ceux de la table, André Mure propose à Régis
Neyret une rubrique gastronomique à insérer dans Résonances en plus de
ses critiques d'art. Celle-ci préfigurera le fameux guide gastronomique « Lyon
Gourmand » sorti en 1970 et aujourd'hui réalisé par son fils Christian.
« A la fois
journaliste et homme publique, André Mure savait nouer des contacts moins
institutionnels » confie son ami et confrère Paul Gravillon. «
C'est une espèce de franc-tireur officiel, un avant-gardiste à la tête de
chroniques actives qui provoquaient le débat.../... Il était un électron libre
partout, même en politique », poursuit-il. Rappelons qu'il avait quitté sa
famille politique pour se rallier à Mitterrand et permettre ainsi le
financement par l'Etat des projets culturels lyonnais faisant déjà l'objet de
mécénat privé. Si Pierre Mérindol, autre figure du Progrès, a su
percer les secrets du milieu, André Mure avait su infiltrer tous les milieux.
Un personnage lyrique qui
jouait son propre rôle
Son ami et complice, Jean-Jacques Lerrant,
le dépeint comme un journaliste curieux et désinvolte qui aime autant les lueurs
de sa ville que ses cotés obscurs et secrets : « il en connaissait tous les
complots et avait même un goût particulier pour ses épices » confie-t-il.
Pour lui, André Mure était un personnage lyrique qui sa vie durant, aura joué
son propre rôle. Nous le revoyons tous avec son grand chapeau et son écharpe à
la Bruand. À la fois séduisant et attachant il vous exhortait à vous
asseoir à la table d'un jeune chef, fier de recevoir le fondateur de Lyon
gourmand, et vous livrait les dernières anecdotes avec la truculence et la
verve qu'on lui connaissait. Séducteur, il trouvait toujours le mot juste pour
dépeindre le pittoresque d'un personnage qu'il soit très commun ou hors du
commun. La vie est simple avec André Mure, la passion engendre la fonction. Il
aimait participer à la vie locale. Son amour des arts le conduira tout
naturellement au poste d'adjoint au maire de Lyon, chargé de la culture. Un
poste qu'il partagera avec Joannès Ambre avant de récupérer la totalité
du poste durant deux mandatures sous Francisque Colomb. A ce titre, les
Lyonnais lui doivent de nombreuses institutions, dont on connaît le succès
aujourd'hui, comme le marché de la création, mais aussi l'Institut Lumière, la
Maison de la danse, le club C3, chère à Gisèle Lombard et l'Elac qui préfigurait
le musée d'art contemporain qu'il a bâti en formant une trilogie active avec ses
complices René Déroudille et Jean-Jacques Lerrant.
André Mure était un précurseur habité d'on ne
sait quelle prescience. Il en voudra longtemps à Michel Noir d'avoir
supprimé son salon du livre qu'il avait créé avec Xavier Lejeune. Mais
cela ne l'empêchera pas de l'accueillir, grand seigneur, en qualité d'auteur - à
l'occasion de la sortie d'un livre sur l'économie - à l'académie du Merle Blanc
qu'il présidait depuis la disparition d'Edmond Locard. En véritable
directeur littéraire, il recevait chaque jeudi autour d'une table de l'institut
Vattel tout le gratin lyonnais et même dauphinois... C'est lui qui le disait...
André Mure savait aussi ne pas se prendre au sérieux.
Il faudrait
plusieurs ouvrages pour rassembler les souvenirs d'André Mure. Heureusement, le
prévoyant André Mure est l'auteur d'une dizaine de livre dont le plus
autobiographique est : « Lyon, mon pays », publié aux éditions des traboules.
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