Charles Millon
à Rome
Résidence surveillée
Photos ©
Jean-Luc Mège
De notre envoyée
spéciale Nadine Fageol
Dans la capitale
italienne, rencontre avec un Millon passionné et sous bonne garde. De son poste
d'ambassadeur auprès de
la FAO à
Rome, il a fait une base stratégique pour l'essor de l'Afrique agricole. Mais
quelle attitude attendre de l'ancien président de la Région Rhône-Alpes lors des prochaines échéances électorales ? Trublion.
Rome, jeudi 9 février. On file à travers le quartier
historique pour remonter le Corso Emanuele II jusqu'à
la Résidence où loge Charles Millon actuellement ambassadeur de France auprès du
Fonds des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). Après avoir
montré patte blanche, nous voilà dans l'immeuble, il faut encore un code pour
déclencher l'ascenseur. Notre représentant lyonnais en exil - il est conseiller
municipal du 3e arrondissement - nous expliquera que quatre système
de sécurité surveillent son logis. Justement, il nous attend devant l'entrée.
L'homme a forci quelque peu. Bien mis dans un ensemble sombre sur chemise de bon
faiseur, classique certes mais pas prout Ainay comme certains de ses congénères
de la droite lyonnaise. Manifestement, le coiffeur ne fait pas partie de ses
préoccupations.
Millon, c'est surtout une broussailleuse barrière de
sourcils d'où percent deux lames bleues aiguisées. Assurément il est en forme,
même s'il tousse car il a repris la cigarette. Spacieuse, la résidence de
l'ambassadeur est aux antipodes du chic à dorures Ferrero Roche d'Or. Un
lumineux couloir dessert grand salon, salle à manger et tout au bout la chambre
principale. Cuisine, bain et chambre d'invité, voilà c'est plié. La déco est
restée telle que l'a laissée son prédécesseur, un tantinet apprêtée, carrément
démodée. Deux immenses canapés en coton blanc, une kyrielle de bergères et
voltaires couverts de tissu rose thé, des rideaux saumon et deux immenses tables
basses en Plexi. Dans la salle à manger, une table blanche incrustée, imprimée
on ne sait, de feuilles de lierre ; le lustre lui en ruisselle couleur cuivre
oxydé ! Millon a d'autres chats à fouetter, simplement il a opté avec sa femme
pour quelques affiches d'art contemporain.
L'ancien ministre de la défense est devenu homme du monde, toujours en partance.
Les week-ends à Paris où son épouse enseigne la philosophie. Belley sa terre
d'ancrage et sa maison adorée, et Lyon une fois pas mois, pour prendre le pouls
de la ville et faire le point avec ses troupes au sein du groupe Unir pour
Lyon. La majorité du temps, l'ambassadeur uvre bien sûr à Rome mais aussi à
Bruxelles, à Vienne, Genève ou Tunis pour négocier les budgets nécessaires aux
financements des projets de filières de développement économique qu'il monte en
Afrique. « Le continent oublié », son nouvel eldorado. On attend une
réaction sur les aspects positifs de la colonisation, il balance : « On a
fait de la santé, de l'éducation, du religieux... Mais on a oublié le
développement. On n'a pas formé les jeunes générations comme cela a été fait fin
XIXe, début XXe siècle en France ».
Le pouvoir en place pour mieux propulser Perben à
Lyon a décidé d'exiler cet étrange oiseau. Fils d'industriels du textile dans
l'Ain, travailleur forcené adepte du franc parler et des méthodes parfois
jusque-boutistes, quitte à se commettre avec plus à droite pour conserver le
perchoir. L'homme n'est pas du genre à enfiler les perles, il faut que ça
avance. Plutôt que de grenouiller entre Lyon et la capitale, Millon qui en a vu
d'autres a choisi son nouveau poste. Il se marre, « je suis actuellement le
seul ambassadeur non-fonctionaire ». On ne domestique pas Millon, on fait
avec. Rebelote. Un poste à Rome trop convenu à son goût, « un poste en
politique, c'est ce que vous en faites ; certains s'emmerdent, d'autres se
passionnent, s'investissent ». Lui se décarcasse à dynamiser l'agriculture
africaine. Bref remuer le cocotier et en l'occurrence faire pousser des arbres.
Il s'emballe, raconte ce continent au centre du monde truffé de pétrole, de
minerai, d'or, de plantes aromatiques, médicinales. Si « la
France a perdu un horizon » lui, a gardé l'esprit de conquête. « Nous sommes très
attendus par l'Afrique francophone mais attention en cas de déception. L'Afrique
sub-saharienne éprouve un sentiment d'abandon ; elle a l'impression que
la France n'est plus la puissance qui peut intervenir ».
Enfilant l'habit d'expatrié sans cérémonie, il embarque scientifiques,
agronomes, géographes, repère les pays, puis les régions favorables aux
plantations d'envergure. Piste les entreprises françaises spécialisées dans
l'agroalimentaire, les biocarburants, l'extraction d'huile essentielle... L'acacia
au Sénégal, la gomme arabique au Tchad. L'oignon, produit le plus vendu dans le
monde, au Niger... Il rentre du Burkina Faso où il active les filières beurre de
karité, haricot, mangue et le sésame très utilisé en Asie. Consolider l'ancrage
local par la transformation sur place des productions ; valorisation permettant
de créer des emplois notamment féminins. Sa grande idée ? « L'assurance
plutôt que l'assistance ». Il reprend les recettes appliquées en
Rhône-Alpes, comme pour la préservation du beaufort en Savoie via les programmes
intégrés de développement agricole (PIDA). Il s'enthousiasme pour le capitaine,
ce poisson qui va concurrencer le saumon. Et ne jure que par le jatropha curcas.
En cours d'élaboration, la plantation de
10 000 ha au Mali de cet
arbre surdoué à même de lutter contre la désertification. Il pousse vite, et ses
graines permettent de produire des engrais mais surtout une huile exploitable en
insecticide, en savon ou en biocarburant. « Un biocarburant qui demain
participera au développement ». Son rêve, s'accorder avec un industriel pour
développer un moteur bio.
En passant devant le
Palazzo Madama, le Sénat italien, on le tarabuste sur ses velléités de rejoindre
la section française. Il feint d'ignorer. Et à Lyon, viendra, viendra pas semer
son grain de soufre aux municipales ? Ses apparitions mensuelles - observées à
la loupe - font l'objet des commentaires les plus divers. À l'évidence il
cogite, mais son retour ne se fera pas à n'importe quel prix. L'oiseau reste un
animal politique au carnet d'adresses blindé, ferrailleur de première qui
n'oublie pas que rendre service en politique équivaut à générer un futur ennemi.
« La Région m'a
beaucoup appris et le Ministère de la Défense aguerri aux relations
internationales. Je suis à plein rendement. J'ai 60 ans, disons qu'il me reste
20 bonnes années. Mais l'Afrique sera toujours là, je m'en occuperai autrement
via une association ou à l'extrême en créant ma société de développement ».
Pugnace. Plus tard dans la soirée, il invite au Capriccio de Sicile, sa
tanière à festin, commande en français à un restaurateur bien qu'habitué
toujours incrédule. Lors du pousse café, dans sa résidence matinée de printemps
fané, il lâche quelques buses, raconte ses rencontres épiques de drôles de
manières. Millon a loupé une carrière d'imitateur caricaturiste ! Diplomatie,
Vatican, tourisme, il trouve Rome provinciale et bien plus petite que Lyon en
matière économique. Cela dit, il a son réseau et déjà ses addicts. Dans la
journée un haut fonctionnaire de la FAO, nous glissera : « Ici certains s'en
foutent, lui est estimé parce qu'il est celui qui s'investit le plus ». |