Klaus
Hersche, noceur des Subsistances
Propos
recueillis par Marilyn Thomasson
Klaus Hersche surprend, à l'image des
Subsistances qui jouent la carte de la
provocation depuis la rentrée. On l'imagine débordé,
il se révèle abordable : ici, pas besoin de
montrer carte de presse dans patte blanche ni
appartenance à un média particulièrement porté
sur la culture (comprenne qui pourra !).
Loin
de l'image « poète maudit perdu dans ses
pensées » que lui prête le gotha-ghetto
lyonnais, l'homme promène sa cinquantaine décontractée
: c'est un large sourire qui souligne ses yeux
rieurs et accompagne une poignée de main
chaleureuse... Peu importe, je ne suis pas une
« journaliste facile » ! Interview enfumée et questions fumeuses à
Klaus Hersche, 51 ans, suisse allemand et
directeur, depuis septembre 2000, des
Subsistances.
Lyonpeople.com
: Par rapport à Guy Darmet, volontiers esthète
et mondain, vous cultivez plutôt un profil
d'intellectuel, au-delà du fait que vous avez
toujours travaillé dans des lieux de culture
alternatifs ?
Klaus Hersche : Si je n'avais pas les pieds sur terre et la tête
dans les nuages, je crois que je ne ferais pas
ce travail : j'ai beaucoup bossé, étant
jeune, chez mon père, ingénieur en génie
civil. J'en ai gardé une fascination pour ce
monde des chantiers. Je me suis dirigé vers la
production de vent, c'est-à-dire d'idées
qui ne sont pas directement utiles, parce que je
suis persuadé qu'on a besoin de
questionnement, d'interrogations et parfois de
stabilisation et de respirations.
Quand vous sortez, est-ce que vous
sortez aussi du milieu culturel ?
Il y a une partie d'obligations qui relèvent
du plaisir mais, quand j'arrive dans une ville
que je ne connais pas, les lieux culturels
viennent presque à la fin. Moi, j'aime bien
les gares, les bistrots, les grands magasins,
les fleuves. A Lyon, j'ai été très attiré
par l'autre côté du Rhône, les rues qui se
trouvent vers Perrache, les Halles, Gerland, la
Pointe
du Confluent. Les gares sont un peu moches à
Lyon.
Est-ce
que vous êtes un « oiseau de nuit » ?
Je suis un « oiseau de nuit » devenu un peu
sage par la force des choses : je n'ai pas
encore eu le temps de faire des virées de bars
parce que je me lève relativement tôt et que
je bosse très souvent le soir. J'espère que
je vais bientôt trouver un peu de temps,
j'adore la vie nocturne : je ne me couche
jamais avant deux heures !
Vous fréquentez les bars, les
restaurants, les boîtes ?
Ah
oui, les restaurants. Je n'ai pas encore trouvé
de bar qui me convienne : je préfère aux bars
à whisky tamisés avec leur public guindé le
petit troquet populaire où l'on peut boire un
verre sans payer...
En échangeant une toile ?
(La remarque le fait sourire) Non, pas nécessairement
cultureux. Mais j'aime bien aussi de temps en
temps un bar à whisky. Je n'ai pas encore
trouvé la bonne adresse. J'adore aussi
inviter des copains pour leur faire la bouffe.
J'adore manger, et particulièrement la
cuisine orientale : chinoise, vietnamienne, etc.
La cuisine lyonnaise a été pour moi une découverte
: au début, je ne pouvais pas m'imaginer
comment les gens pouvaient manger ça tous les
jours, ça me paraissait incroyable ! J'étais
étonné parce qu'on ne voit pas de gens obèses à Lyon alors qu'on voit
sans arrêt des gens qui bouffent. On s'y
habitue : j'arrive à manger, deux fois par
jour, la cuisine lyonnaise sans avoir mal au
ventre ! Ce que j'adore, c'est la sensibilité
du service dans les bistrots que je découvre à
Lyon.
Est-ce
que vous aimez les soirées mondaines ?
Moi,
j'ai toujours aimé changer de milieu sans être
associé à un seul : très franchement,
j'aime les réceptions et je suis parfois tenté
de mettre un costard.
Non
!?
Je
ne le fais pas parce que je trouve ça un peu déplacé.
Qu'est-ce
qui vous paraît déplacé : le costard ou vous
en costard ?
Comment
dire ? Il y a des occasions : je n'irais pas
à l'Opéra en smoking mais j'ai vécu des
soirées où il fallait en porter un et
j'adore ça. Une réception un peu guindée à
l'Hotel de ville me fait un immense plaisir.
Je m'adapte assez bien : je n'aime pas aller
à une soirée mondaine en jeans et pull, je
trouve ridicule de vouloir paraître authentique
par ce biais mais il y a peu d'occasions.
Il
n'y a, selon vous, pas assez de
soirées à Lyon ?
Non,
d'occasions. C'est un jeu, on doit être
au-dessus de ça : on ne va pas mettre un
costard pour répondre à une exigence mais je
prends vraiment beaucoup de plaisir au jeu
...
Jeu de scène ?
...
Jeu de scène ! J'adore danser aussi. Le
tango, le rock'n roll et les danses solo comme
la techno et là non plus je n'ai pas trouvé
le lieu. Un lieu très jeune qui organise énormément
de soirées très différentes et où l'on
fiche la paix, où vous dansez. Cela dit, ça
m'ennuie à un moment donné, j'aime bien
danser avec une partenaire.
Donc...
sur Lyon ?
Je sais qu'il
y a une scène tango près d'ici. C'est une
culture un peu perdue : savoir danser et pas
seulement bouger.
Sur
Lyon, actuellement, il vous manque les amis ou
le lieu ?
Ah non, j'ai
les amis
Il
ne vous manque plus que le lieu ?
Je sais qu'il y a le Ninkasi, plutôt techno.
Heu, qu'est-ce qu'il y a encore ? Si vous
avez quelques adresses...
Le
Seven'th, le Fish, le First, l'A-KGB évoquent
quelque chose pour vous ?
Non
mais je viens d'arriver. Ces derniers temps,
j'étais claqué et je n'ai pas encore trouvé
le confort de me dire : laissons les
Subsistances tourner, moi je me taille !
Si vous ne pouvez aller à la Nuit, il
faut peut-être que la Nuit vienne à vous :
est-ce une hypothèse folle de concevoir les
Subsistances comme un lieu de fête ?
C'est une idée qui me trotte dans la tête :
j'aimerais bien ouvrir, dans la cave, un bar
plate-forme musique et organiser, avec
d'autres, des bals dans la grande cour des
Subsistances, sans que ça devienne une habitude
: ce ne serait pas une chance pour les
Subsistances d'organiser un bal tous les
samedi soir, on ne tiendrait le coup et...
...la municipalité ne serait peut-être pas
enthousiaste si le site devenait la dernière
adresse à la mode !
...
Et les riverains non plus. Mais ce serait
magnifique. On va faire quelques soirées
l'année prochaine dans la grande cour,
certainement avec l'équipe de la Biennale de
la danse.
Rendez-vous
est pris !
On
a fait une belle fête avec les artistes qui ont
vécu ici trois semaines dans le cadre de la
manifestation « Quartiers d'octobre ». J'étais
tellement épuisé que je suis allé me coucher
à 1 heure pour préparer le brunch le lendemain
matin. Il y a dix, quinze ans, j'aurais dit :
je m'en fiche, je fais nuit blanche, j'irai
acheter le pain directement et maintenant je ne
peux plus. J'espère redevenir un terrible fêtard.
Courage et persévérance !
Mais
je ne me réserve pas non plus assez de temps
pour le théâtre. Je suis allé à la Maison de
la danse plusieurs fois, aux Ateliers, à l'Opéra
mais je ne connais pas encore les Pentes avec
leurs petites salles... et puis il ne faut pas
se limiter à Lyon : il y a aussi Grenoble,
Saint Etienne, Villefranche, etc.
Lyon doit s'ouvrir et je n'évoque pas
seulement l'accueil de regards extérieurs
mais aussi la collaboration de la création locale avec le monde. La ville est très ouverte
au niveau de ce qu'on pourrait appeler « la
culture officielle » mais en discutant avec des
créateurs, on perçoit une certaine
frustration. Je dois aussi lire les dossiers et
visionner les cassettes des artistes. Pour
diriger un tel centre, je dois également aller
au ciné ou regarder la télé !
Pour
voir quoi ?
Des
films que je n'ai pas vus en salle et qui
passent très tard, des documentaires, des soirées
thématiques d'Arte concernant l'économie
ou le sport, les classiques du cinéma...
Du
cinéma populaire ?
Oui,
c'est parfois tellement agréable de voir un
thriller hollywoodien. C'est reposant.
Reposant
?
Plus
il y a de sang et d'explosions, mieux c'est.
Je ne suis pas un fana du ciné intellectuel, je
préfère le cinéma qui vous prend. « Eyes
wide shut », « Soldat Ryan » parce que
j'adore les films de guerre, « Seven »...
J'ai aussi vu dernièrement un truc américain
avec Bruce Willis. « Mission impossible 2 »,
c'était horrible d'efficacité et de
perfidie mais ça m'a fasciné. Mon fils de 12
ans se procure des cassettes qui parfois me
choquent. Le cinéma français peut dire ce
qu'il veut, même s'il y a aussi des
conneries dans le cinéma américain...
Pourquoi
y prenez-vous autant de plaisir ?
C'est
un exorcisme. C'est du grand Guignol. De
Shakespeare, on ne garde que les assassinats et
les meurtres mais le réalisme est nouveau : le
théâtre est maladroit à mimer la mort et là,
on a parfois l'impression que le sang gicle
sur la télé !
Est-ce que vous poussez la provocation
jusqu'à être sportif ?
Je ne suis
pas quelqu'un qui reste à la maison parce
qu'il y a un match de foot mais il y a, dans
le sport, un élément fascinant pour le théâtre
: l'impitoyable dans la performance. En fait,
je m'ennuie assez vite, devant, par exemple,
le tennis à la télé. J'ai vu un match de
hockey, j'étais plus intéressé par le
public que par les joueurs. J'adore danser,
nager, escalader mais, non, je ne suis pas
sportif. Et puis, je crois que je deviens un peu
agoraphobe : un concert avec 5000 personnes, ça
m'angoisse.
Directeur
d'une institution culturelle respectable,
agoraphobe, moins fêtard... Finalement, vous
voyez que vous pouvez rentrer dans la case du prêt
à penser !
Peut-être mais ça reviendra. C'est la première
fois que je gère de telles responsabilités.
Jusque-là, je travaillais dans l'associatif
avec une responsabilité collective. Ici, il y a
certes une équipe fabuleuse mais je dois
apprendre à mettre en place la structure pour
être plus léger parce que, débordé de
boulot, on ne fait rien de bien, on n'a besoin
de s'en sortir pour prendre du recul...
Ai-je bien compris : vous souhaitez
devenir léger ?
Sans
superficialité ni « j'm'en foutisme »
mais en distinguant des priorités dans toutes
les contraintes du poste : fric, intendance et
administration occupent encore une place trop
importante afin de donner vie à la création
sans se contenter de gérer le site.
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