Robert Saint-Clair
n'est pas un photographe comme les autres. Atteint de poliomyélite, il s'est
fait une spécialité de couvrir tous les événements les plus marquants de Lyon et
d'ailleurs. Peu importe les risques à courir. La photo, c'est le sel de sa vie.
Sa vie, il se l'est inventée. Ses séjours
hors de prix dans un palace à Cannes, ses face à face au dixième de seconde avec
Mick Jagger, Sharon Stone, Bill Clinton ou Jacques
Chrirac : inventés. Ses incursions dans les meetings politiques, dans les
salons d'Hôtel de ville, dans les manif ou les soirées mondaines : inventées.
Même son propre nom est inventé. Non pas que Robert Saint-Clair soit un
affabulateur. Son métier, c'est reporter photographe. Et comme il travaille en
free lance, les reportages qu'il réalise sont souvent d'abord le fruit de ses
envies, plutôt que l'exécution d'une commande de journaux. Il "shoote" de
préférence les célébrités et les stars, mais aussi tout bonnement la vie,
surtout si une prise de risque est nécessaire. Sur le terrain, autour de lui, il
suscite à peu près la même impression qu'un extraterrestre débarqué de sa
planète. Quoi de moins ordinaire, en effet, qu'un paparazzi atteint de
poliomyélite ?
Saint-Clair a toujours eu le goût de la
photo, mais l'idée d'en faire carrière lui est venue assez tard. L'occasion lui
a été donnée en 1987, à l'occasion du quarantième festival de Cannes. A
l'époque, un ami photographe le met au défi de couvrir la manifestation. Robert
a alors 28 ans. Il n'hésite pas à s'endetter pour couvrir tous ses frais de
transports, de bouche et de représentation - dont six smokings taillés sur
mesure, protocole oblige. "Pour ne rater aucun moment important, j'avais
réservé une chambre au Royal Hôtel. Cet établissement occupait une place
stratégique, à mi-chemin entre deux des plus grands palaces de Cannes et tout
près du Palais des festivals".
Ce coup pour voir sera son déclic. Il se
jette dans l'inconnu, sympathise avec d'autres photographes, se faufile dans des
trous de souris pour être présent aux premières loges, risque même de se rompre
le coup pour des images en plongée que d'autres ne feront pas. "Imagine : je
n'avais aucune accréditation. Juste mon sourire, mes béquilles, mon appareil
photo et une fausse carte que je m'étais fabriquée. A chaque fois, il fallait
que je passe à travers la foule et que je grimpe sur des poteaux ou sur des
toits de camions pour faire mes prises de vue. J'étais en bonne lignée : je
profitais des flashes des autres photographes." Robert part dans un éclat de
rire : "Dire que cette année-là, j'ai fait le portrait de Sharon Stone
sans même savoir qui elle était !"
C'est avec le même sourire carnassier,
souligné par une fine moustache d'hidalgo, que Robert Saint-Clair parle des
"situations dingues" dans lesquelles il aime se fourrer. Enjamber des barrières
en pleine Feria de Nîmes, brûler la politesse à des vigiles sur un meeting de
campagne présidentielle, ou se retrouver bloqué dans une manifestation de rue,
aucun obstacle ne l'effraie vraiment. Son plaisir, c'est de mettre de la folie
dans sa vie, quand d'autres se contentent de la rêver : "Un grand photographe
ne se rend jamais compte des risques qu'il prend. Dans l'action, il n'est plus
qu'un il qui capte la vie. Et puis tu sais, il y a une solidarité incroyable
dans ce métier. Les gens s'entraident. Il m'est moi-même arrivé de défendre un
cameraman dans une manif qui tournait mal. J'ai distribué de grands coups de
béquille pour le protéger". Il en tend une et observe la réaction : "Eh
oui, la tige est pleine. Les béquilles ordinaires, je finis toujours par les
casser !"
Robert n'a pas le sentiment que le handicap soit un frein pour exercer. Primo,
"parce que je n'ai jamais connu la situation de valide : j'ai contracté la
poliomyélite à l'âge de cinq mois, à l'hôpital. J'ai grandi en prenant
conscience de mon handicap surtout dans le regard des autres". Secundo,
parce que "c'est sur le terrain que tu te fais un nom. Les gens qui acceptent
ou pas de te laisser entrer ne regardent pas le photographe, mais le personnage.
C'est donc préférable d'être différent des autres. Ma force, c'est d'avoir voulu
démontrer que la profession de reporter n'est pas une question de physique".
A 44 ans, Robert Saint-Clair n'a qu'un regret
: "J'ai pratiquement tout fait, à l'exception des photos de guerre. Bien
qu'aujourd'hui je sois accrédité, l'administration me refuse toujours le droit
de partir pour des questions de sécurité". Peu importe. Il ferme
soigneusement son impressionnant press-book et met le cap sur son atelier. Quel
sera son prochain sujet : pince-fesses people, réunion politique ou reportage en
entreprise ? Il ne le sait pas encore. Composer au jour le jour, c'est justement
ce qu'il préfère.
Laurent Poillot / Pleins Titres
Robert Saint-Clair
Studio 216, rue du
14-juillet
69100 Villeurbanne
Tél : 06 09 09 59 52
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