Propos recueillis par Barth Ruzza
Chaque mois, un illustre représentant du monde sportif s’allonge sur le divan de l’infirmier Barth, ancien interné des hôpitaux de Lyon qui enfile blouse blanche et stéthoscope. Le nouveau directeur sportif de l’OL se prête au jeu ce mois-ci dans les salons du Kopster.
Ton retour à l’OL, c’est une suite logique des choses ?
C’est entre les deux. Ce n’était pas forcément facile, le choix a été compliqué comme tu le sais. J’ai joué 20 ans, mon corps et ma tête étaient habitués au haut niveau. Tout arrêter a été pour moi assez violent pendant deux ou trois ans. J’ai toujours eu au fond de moi cette envie de revenir. Quand le président Aulas m’a laissé le choix de l’entraîneur et beaucoup de libertés pour travailler, j’ai su que c’était le bon moment pour moi de revenir.
Considères-tu être chanceux ?
Oui, bien sûr. C’est un privilège ! Combien de joueurs arrêtent leur carrière et ne font plus rien après ? Evidemment, il y a un peu de crainte, mais les vrais héros sont les médecins qui partent travailler gratuitement en Afrique par exemple. Il faut relativiser tout ça. Ce n’est que du football, où il peut y avoir des critiques mais aussi beaucoup d’amour de la part des supporters. Il faut garder en tête que les supporters qui gagnent 1200 euros et qui viennent au stade réalisent un effort. C’est normal de tout faire pour leur rendre. Si tu ne penses pas à ça, tu n’avances pas beaucoup.
Quel est le joueur le plus atypique avec lequel tu as évolué à Lyon ?
(Il réfléchit) J’admire beaucoup Sidney Govou. On savait tous qu’il avait un style de vie particulier. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, peut-être que cela vient de son enfance, mais il n’a jamais triché. Il avait cette faculté de profiter de la vie et nous n’avons jamais eu à le lui reprocher sur le terrain. Même quand il n’était pas bien, il donnait toujours tout. Je pense que c’est un exemple pour les athlètes : d’un côté, il ne se privait de rien, mais de l’autre, il avait conscience de son statut et de sa chance d’être sportif professionnel.
Ce n’est pas trop compliqué dans un vestiaire d’avoir un joueur comme ça ?
Bien sûr que c’est compliqué, et aujourd’hui bien plus qu’avant à mon avis, mais avec Sidney, ça marchait. De toutes façons, seuls les résultats comptent. Avec un joueur comme Sidney, tu peux aller à la guerre.
Que fais-tu au quotidien qui surprendrait beaucoup de monde et que tout le monde ignore ?
(Il réfléchit) J’ai une vie sociale assez bizarre, et on ne dirait pas. Je reste beaucoup à la maison. Pourtant, naturellement, j’aime beaucoup les gens mais je préfère tout de même rester en retrait. J’ai du mal à trouver un équilibre par rapport à ça. Il me faut trop de temps pour faire confiance. À la fin de la saison, je te dirais peut-être autre chose ! (Il rigole)
Est-ce qu’objectivement Lyon peut gagner la Ligue des Champions ?
Aujourd’hui, je pense que c’est compliqué. Pourtant, je sais que nous avons un effectif de qualité avec de bonnes valeurs. Malheureusement, le pouvoir économique reste la clé du succès pour briller en Europe. De toute façon, la Champion’s League se joue au mois de février et tout dépend de l’état de forme et de l’état d’esprit de tes joueurs, des blessures… Pour être honnête, j’ai rêvé toute ma vie de gagner la Champion’s League.
Quelle défaite, entre le Milan et le PSV, reste la plus douloureuse ?
J’ai plus de regrets avec le PSV, et pour plusieurs raisons. Au match aller, on avait la possibilité de marquer deux ou trois buts. Au match retour, tu mènes 1-0, ils égalisent, tu vas en prolongation. L’arbitre oublie un penalty flagrant. Bien sûr, personne ne dit qu’on aurait marqué, mais on avait plus de possibilités. Contre le Milan, j’ai moins joué donc je ressens les choses différemment.
Ce n’est pas trop dur la ressemblance avec Le Professeur ? (La Casa de Papel)
J’adore La Casa de Papel ! J’en suis à la troisième saison. Ne me dis rien si tu l’as vue. La ressemblance ne me gêne pas du tout. J’adore les séries, les relations entre personnages, les messages qu’elles veulent faire passer.
Quelle est la première chose que tu aies fait en arrivant à Lyon ?
Quand j’étais joueur, j’allais souvent rue Mercière avec mes enfants. J’y suis très vite retourné avec Renata (sa femme, ndlr) lorsque je suis revenu. Ensuite, le but était de trouver un appartement rapidement car j’ai beaucoup de mal avec les hôtels. Il fallait vite trouver un endroit pour que je puisse me ressourcer. Autre chose, vous ne vous rendez pas compte à quel point la ville est devenue verte, ça m’a vraiment choqué positivement. En dix ans, c’est fou comme ça a changé. Il y a des arbres partout !
Quel est ton pire défaut ?
Je devrais faire confiance plus vite. Je mets aussi beaucoup de temps à prendre une décision, je doute beaucoup. Ça me gêne trop. Je suis un anxieux, mais j’essaye tous les jours de m’améliorer !
Quel souvenir gardes-tu de l’école ?
J’étais incapable de me concentrer plus de cinq minutes. J’étais un hyperactif mais je n’ai pu me rendre compte de ça que bien plus tard. Il n’y avait que dans le foot que j’arrivais à accorder une totale attention.
Quand tu te regardes dans la glace aujourd’hui, tu te dis quoi ?
J’essaye de me dire « vas-y, profite un peu plus, lâche-toi ! » J’aimerais voir les choses d’une manière plus légère et plus ouverte. Parler avec toi c’est facile, on se connait. Si tu étais un inconnu, je serais certainement sur la défensive.
Avec qui aimerais-tu boire un verre si c’était possible ?
J’aimerais connaitre personnellement Barack Obama. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aime son attitude, son regard envers les autres. Mon plus grand souhait, ce serait de boire un coup avec Lula et qu’il sorte de prison. J’ai déjà eu la chance de discuter avec lui et c’est une des personnes les plus importantes de l’histoire du Brésil.
Si tu avais la possibilité de recruter un joueur avec lequel tu as évolué pour le mettre dans le onze de départ aujourd’hui, qui prendrais-tu ?
(Il réfléchit) Il y en a beaucoup ! J’ai eu des partenaires de très haut niveau.
C’est un jeu, tu ne dois en choisir qu’un.
Alors ce serait Djila Dirarra. C’était un numéro 6 très moderne pour l’époque. Quelqu’un de grand, costaud, mais sa première qualité était la passe qui fracassait les lignes. Il avait un bon jeu de tête. Un grand joueur.
Est-ce que le président a beaucoup changé en 10 ans ou il reste Jean-Michel Aulas ?
Il a toujours son côté compétiteur, comme un joueur. Peut-être qu’aujourd’hui il fait un peu plus confiance aux personnes qui l’entourent. Quand je suis parti, il y avait une petite centaine d’employés au club. Aujourd’hui, on n’est pas loin des 500. À mon avis, il a pris du recul et profite plus des moments de sa vie personnelle. Je le trouve aussi plus émotif qu’avant. Mais ne t’inquiète pas, il reste un entrepreneur (il sourit).
Quand on te voit, on a l’impression qu’il ne te manque rien. Carrière, succès, argent… Je me trompe ?
(Il réfléchit longuement) N’oublie pas que mon premier beau contrat était à l’OL lorsque j’avais 26 ans. Je n’ai pas eu une carrière facile auparavant. Je n’ai pas eu d’adolescence, j’ai été marié très jeune. J’aurais aimé avoir une adolescence un peu plus légère. J’aimerais aussi être moins anxieux, un jour je parlerais plus profondément de tout ça. Si tu savais combien j’aimerais être plus libéré (il est pensif).
Les réseaux sociaux, c’est une chance ou un cauchemar ?
Les deux ! C’est une chance car c’est une opportunité d’avoir une relation supporter-joueur via un écran. De l’autre côté, on montre une vie rose qu’on n’a pas forcément. Ça peut rendre des gens tristes. « Regarde la belle vie qu’il a ! », alors qu’ils ne l’ont pas. Quand les gens étalent leur réussite matérielle, ça me choque. Il faut trouver un équilibre par rapport à ça.
Quel est ton réseau social préféré ?
J’adore Twitter. C’est le seul réseau social où tu trouves des vérités. Il y a bien sûr des fake news, mais beaucoup moins qu’ailleurs.
Maintenant on change, c’est à toi de me poser une question.
Comment expliques-tu la perte de l’état d’esprit de la culture de la victoire ces dernières années ?
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