Par James de Sans-Troys
Grand amateur de Molière et de Voltaire, Gérard Angel le sait bien : la sortie de scène fait partie du jeu de l’acteur. Molière mourant, lors de la représentation du « Malade imaginaire », réussira d’ailleurs à faire croire à son public qu’il jouait une scène…
Demain matin, le microcosme politico-économique apprendra en ouvrant Les Potins d’Angèle que la sucrerie du jeudi matin est la dernière. Clap de fin pour l’un des derniers titres de la presse satirique de France, victime collatérale du Covid et des déboires des Messageries Lyonnaises de Presse qui, durant des mois, n’ont plus distribué les journaux en kiosque.
8 septembre 2005, il y a 15 ans quasiment jour pour jour, le journaliste Gérard Angel, tout juste libéré du Progrès, fonde Les Potins d’Angèle, un journal satirique mélangeant caricatures et articles. Très vite, c’est un véritable succès auprès des décideurs lyonnais, l’hebdo du jeudi réussissant à être le support les mieux informé de la vie politique locale.
Il faut dire que, tout comme Lyon People, il repose sur la vanité humaine qui consiste à adorer dire du mal de ses camarades (sous le manteau, et parfois sous le maillet), mais aussi à s’auto-satisfaire d’être cité. Comme l’écrivait Voltaire dans Xénophane, « L’amour-propre est sans bornes quand on ne pense qu’à soi.”
Gérard Angel, accompagné de son chien Faust -qui en vérité mord bien plus que son maitre-, écume donc les réunions de conseil municipal, les meetings, les soirées people et autres festivités en quête de la petite info qu’il saura tourner en potin. Il suffit de passer quelques heures avec lui pour constater que son téléphone est un véritable standard.
Sur l’écran, les noms du Tout Lyon défilent, sauf celui de sa « tête de turc » préférée Jean-Michel Aulas. Chaque correspondant y va de sa confidence, de son scoop, de sa vacherie, de sa suggestion d’article, tout en criant Grand Dieux n’avoir aucune relation avec ce plumitif d’Angel. « Les langues ont toujours du venin à répandre » écrivait Molière dans Tartuffe…
Reste à trier, à vérifier, à soupeser, à oublier volontairement les épisodes les plus scabreux, et à écrire.
Résultat, chaque jeudi, 12 pages de potins, révélations, moqueries, critiques… « On écrit très mal ce que l’on écrit à contrecœur », pensait Voltaire. Gérard Angel, en bon disciple de son maître, rédigeait avec son cœur (qui fut parfois versatile !), sachant tour à tour flatter puis souffleter les puissants.
Son ami et compagnon de voile, Gérard Collomb, en sait quelque chose. Lui qui a totalement raté sa sortie de scène sous les moqueries des Potins. Depuis, ils se battent froid, Gégé oubliant que Voltaire écrivait « Un lion mort ne vaut pas un moucheron qui respire. »
Les Potins, c’était aussi La Lettre de Ferney, un pastiche des correspondances de Voltaire où chaque personnalité de Lyon avait son personnage attitré. La pièce se jouait alors par allusions où seuls les initiés savaient décrypter les messages.
Pendant 15 ans, Gérard Angel a suivi les préceptes de Monsieur de Voltaire, « À mon âge, il faut se moquer de tout, et ne vivre que pour soi. » Molière aussi, dans Amphitryon, estimait que « 15 ans de mariage épuisent les paroles. Et depuis un long temps, nous nous sommes tout dit. »
Fin des interviews du matin sur Jazz Radio ; sabordage des Potins ; fin des recueils de caricatures (photo ci-dessus) que les entreprises s’arrachaient pour mieux les stocker à la cave, persuadées que la dépense les préserverait de la plume assassine ; fini les pièces de théâtre en alexandrins consacrées aux « branleurs » de la politique où les personnages étaient aussi nombreux que les passagers du métro à 18 heures.
Gérard Angel quitte la scène avant le numéro de trop.
C’est une plume que, chez Lyon People, nous regretterons car il savait nous faire rire avec des sujets sérieux, même si nous avons parfois ri jaune, qualifié à l’envie de « journal des shampouineuses et des vendeurs de bagnoles ».
Voltaire écrivait dans l’une de ses lettres à son amie la Marquise du Deffand « Je travaille jour et nuit ; la raison en est que j’ai peu de temps à vivre, et que je ne veux pas perdre de temps ; mais je voudrais bien aussi ne pas vous faire perdre le vôtre. »
C’est donc, suivant le propos de Voltaire, avec élégance, que Gérard Angel tire sa révérence. C’est aussi à ça que l’on reconnaît les honnêtes hommes.
Va t’il enfin quitter son appart sacvel ?
à l’envi