Par Kevin du Coup-Voilà
La Ville de Lyon dépouille en ce moment les réponses à son appel d’offre pour la réalisation et la diffusion de son magazine trimestriel, Au fil de Lyon. On a beau savoir que tout augmente, je dirais à propos du coût annoncé du média municipal « gratuit », à l’instar des analystes financiers les plus pointus : ben ma vache ! Un nouvel épisode dispendieux de la série beauf #Lyon écolo.
Ils ont dû bien rigoler à la grande maison (celle qui donne place de la Comédie, la bien nommée) lorsque, l’an dernier ici-même, j’ai estimé le coût du « Petit livre vert », ce guide présentant les nouveaux élus, comparable en volume et en nombre au magazine municipal : de l’ordre de 40 000 euros, avais-je écrit sans rire. Evidemment, c’est « de l’ordre » qu’il fallait retenir…
Car soyons tout de suite clairs : ce n’est pas 40 000 euros annoncés le numéro, c’est plus de 200 000 € ! Oui. Bon. Tout le monde peut se tromper… J’ai fait une petite erreur de 160 000 euros… Allez-y, moquez-vous… Maintenant, on regarde l’appel d’offre.
Pensez à prévenir votre banque
Comme c’est la règle, les montants indiqués sont des montants maximum. Bien sûr, rien ne dit que l’ardoise finale atteindra ces sommets. Mais comme chacun sait, quand vous dites à une entreprise : « je vous préviens, je ne mettrai pas plus de 10 000 boules« , elle a une curieuse tendance à vous en facturer 9 999, 99. C’est humain. Poursuivons… Le marché est valable 1 an renouvelable 3 fois ; soit une durée totale de 4 ans. Il comporte 5 lots. Rappelons que le canard est trimestriel. Nous parlons donc ici du coût annoncé de 16 numéros. Gare…
Lot 1. Maquette, mise en page, mise au net et retouches : 180 000 euros. C’est, si j’ose dire, le plus « petit » poste. Mais pas donné, compte tenu que la maquette est, théoriquement, réalisée une fois pour toutes, les rubriques arrêtées, les textes calibrés. Le reste n’est qu’ajustements à la marge…
Lot 2. Suivi artistique et conception : 240 000 euros. Là, ça commence à cogner. D’autant plus fort que ce poste pourrait être assumé en interne. Il concerne la conception-création de la couverture, reflet du sujet central, ainsi que l’iconographie et le traitement de l’image, de la compétence d’un (ou d’une) photographe « intégré.e ».
Drôle d’impression
Lot 3. Impression (comprenant papier, façonnage et livraison aux diffuseurs). Alors là, on s’accroche au bastingage : 2 000 000 euros (deux millions) ! On sait que le prix du papier est indexé sur d’autres coûts (matières premières, tensions du marché…) et qu’il grimpe, comme la construction, selon un indice trimestriel. Il faut donc anticiper. D’accord. Mais surtout, il faut utiliser la ressource de la façon la plus rigoureuse et la plus pertinente possible.
Or le canard municipal comporte 52 pages. La pagination la plus inepte pour une édition à gros tirage : si, si, pour moi, 295 000 exemplaires, c’est un gros tirage. Car elle impose de tirer à part (sur une autre rotative) la couverture puis de l’assembler et de l’agrafer au corps du mag. Deux manipulations infiniment plus coûteuses qu’une petite augmentation de pagination : car il suffirait de passer de 52 à 56 pages pour que la couverture fasse partie de l’objet tombant d’une seule rotative.
Evidemment, cette couverture aurait le même grammage que les pages. Mais est-ce que cela défriserait le lecteur ? Une économie comparable (légèrement supérieure) serait réalisée en passant de 52 à 48 pages. Mais cela tiendrait de la castration : l’écologie doctrinaire a trop à dire pour se contenter de ne distribuer que 48 pages chaque trimestre dans les 230 000 boîtes aux lettres des Lyonnais.
Qui peut répondre à cet appel d’offre ?
Petit rappel légal au passage : 428 000 euros. C’est le seuil à partir duquel les collectivités publiques ont obligation de lancer un appel d’offre européen. On voit donc que le seul lot Impression l’impose à la Ville de Lyon. Ce qui veut dire qu’un imprimeur d’Helsinki ou de Bratislava peut remporter le coquetier ! Bonjour l’empreinte carbone pour la livraison (équivalent 2 semi) et le bon à tirer machine (que tout client rigoureux se doit de contrôler « en présentiel »).
D’autant que l’éloignement géographique ne peut être un critère discriminant. Mais rassurez-vous. Le code des marchés est suffisamment hypocrite pour énoncer (article R. 2152 – 7) : « la rapidité d’intervention d’un prestataire ou sa disponibilité peut constituer un critère de choix de l’offre au titre des délais d’exécution« . Bref, l’imprimeur d’Au fil de Lyon va se trouver, au bas mot, à une trentaine de bornes maximum de notre bonne ville (je suis prêt à parier). Mais ça se paie…
Ne nous fâchons pas, mais…
Lot 4. Diffusion boîtes aux lettres : 800 000 euros. Oui, je sais, encore un gros poste ! C’est que l’efficacité du média repose là-dessus. Il faut même commencer par là. Le canard peut être idéalement réalisé, s’il est mal diffusé, il ne sert à rien. Mais il continue de coûter cher. Le diffuseur toutes boîtes doit apporter de sacrées garanties de bonne exécution du marché et accepter les contrôles les plus… inopinés. On peut aussi se demander si à l’heure des médias en ligne, il est indispensable de diffuser tous les trimestres 52 pages de papier à 295 000 exemplaires ! Mais quand vous dites ça à un élu, fût-il écolo, il vous répond en des termes « que je n’ose même pas vous répéter, M’sieur l’commissaire… » (Lino Ventura, alias Antoine Beretto, in Ne nous fâchons pas, Georges Lautner, 1966).
… désolé, vous allez encore tousser
Lot 5. Diffusion métro et ERP (établissements recevant du public) : 200 000 euros. Bah !, on s’habitue, sur 4 ans, ce n’est pas la mort… C’est cela, oui ! Pour les ERP, admettons. A condition que cette diffusion ne démarre pas avant le boîtage. Car « le.la citoyen.ne » qui pousse la porte de sa mairie d’arrondissement, de sa bibliothèque, de son musée… et trouve le dernier « Au fil… » sur le présentoir, que fait-il, hein ? Et bien il le prend, tiens… Puis « il.elle » rentre chez « lui.elle » et le trouve dans sa boîte. Donc il a deux exemplaires. C’est-à-dire un de trop. Mais enfin, admettons – comme les poissons volants – que ce n’est pas la majorité du genre…
Là où il y bien davantage à dire, c’est sur la diffusion métro. A chaque parution trimestrielle, le périodique municipal lyonnais sera à dispo dans les stations stratégiques du réseau. Métro largement fréquenté par des voyageurs non Lyonnais (je ne leur en fais pas reproche) qui n’ont que faire d’Au fil de Lyon. Tandis que les contribuables lyonnais seraient fondés à ruer dans les brancards à l’idée de financer avec leurs sous la diffusion de leur média municipal au-delà du territoire de la commune à des gens à qui il n’est pas destiné !
Personnellement, ça me f… les b…. Et la Chambre régionale des comptes, qu’en pense-t-elle ? Je sais : il y a aussi des Lyonnais dans le métro. Ce n’est pas un argument. Ratisser large pour gratter un peu, cela s’appelle gaspiller. Si un doctrinaire écolo ne comprend pas ça, alors qui ?
Récapitulons !
Lot 1 : 180 000 €
Lot 2 : 240 000 €
Lot 3 : 2 000 000 €
Lot 4 : 800 000 €
Lot 5 : 200 000 €
Total : 3 420 000 € (sur 4 ans)
Soit : 855 000 euros par an pour 4 numéros. Soit le numéro : 213 750 euros.
Et maintenant, visons la date du 16 janvier 2022, date d’activation du marché. Si l’édition de printemps (qui suivra) n’est pas dorée sur tranche, à ce prix-là, c’est qu’il y a arnaque quelque part…
La Pastèque d’honneur LyonPeople
A l’auteur de l’appel d’offre pour la réalisation du périodique municipal. Je n’ai pas l’honneur… Mais il mérite la plus grosse pour avoir fait avaler au Service de la commande publique de la Ville de Lyon, réputé tatillon :
– que 52 pages est la pagination pertinente pour une bonne gestion de la ressource papier
– que distribuer le périodique municipal sur l’aire métropolitaine (via plusieurs stations du métro) est juridiquement irréprochable.
Entre autres…
J’espère qu’ Etienne Tête va réagir
Dieu vous entende, cher Calixte. Mais qui est Etienne Tête ?
K du CV
Ce « Kevin du Coup-Voilà semble bien connaitre son affaire… et s’il m’a bien fait marrer avec les mots, il me fait moins rire avec les chiffres.
Qu’attend le maire pour l’attaquer en diffamation sur son magazine gratuit ?
» Quand c’est gratuit, c’est toi le produit » mais « quand le produit sort son pognon c’est lui le couillon ! «
Ce dicton illustre bien votre sagacité, mon cher Guy.
Mais de bol, c’est sur nous que ça tombe…
Rien n’est jamais gratuit, ou que ce soit.
Vous comparez avec le prix du magazine mensuel précédent ? Il ne devait pas être gratuit non plus.