Les humeurs lyonnaises de Jean Étèvenaux*
À l’occasion du renouvellement du vœu des échevins le 8 septembre, les nouveaux maîtres écologistes de Lyon viennent de montrer un rapport à l’Histoire oscillant entre méconnaissance et récupération.
Dans un premier temps, le petit groupe « Lyon en commun », organisé autour de Nathalie Perrin-Gilbert, ancienne maire du premier arrondissement et actuelle adjointe à la Culture, a tenté de réécrire l’Histoire. Ce « mouvement politique citoyen, qui a pour ambition d’engager la transition écologique, sociale et citoyenne de la ville de Lyon et de sa métropole » a en effet publié le 3 septembre un communiqué destiné à montrer que la présence de la municipalité à la cérémonie de Fourvière ne constituait qu’un poussiéreux et limité vestige d’autrefois.
Le passé revisité
Comme le maire Grégory Doucet avait en juillet manifesté son intention de s’y rendre, la succursale locale de La France insoumise a récusé toute « soumission du politique au religieux ». Ses membres ont commis un petit texte pour donner leur version des presque quatre siècles écoulés depuis le 8 septembre 1643 lorsque la municipalité de l’époque avait décidé de remercier chaque année la Vierge d’avoir préservé la ville de la peste. En voici l’essentiel :
« L’argument de la tradition, souvent employé par les élus participants, ne tient pas à partir du moment où certains maires comme Édouard Herriot avaient refusé d’y participer. D’ailleurs, après avoir été abolie avec la Révolution française, ni l’Empire, ni la Monarchie de Juillet n’osèrent la rétablir. En fait, il faudra attendre le régime de Vichy pour que le vœu des échevins redevienne une pratique officielle ».
Malheureusement, si Nathalie Perrin Gilbert est diplômée d’Histoire, le texte de son groupe fourmille d’approximations. Dès la Première Guerre mondiale, les conseillers municipaux furent invités à rejoindre les délégués des paroisses et plusieurs vinrent le 8 septembre 1915. À la suite de quoi, des places leur furent réservées à l’intérieur du chœur.
Le 8 septembre 1941, le maire Georges Villiers — qui sera déporté à Dachau en 1944 — relança la tradition et revint l’année suivante, toujours avec les conseillers municipaux. Il en fut de même, mais le 12 mars 1943 à Saint-Nizier, avec son successeur Pierre Bertrand — qui recevra la Légion d’Honneur en 1954 pour faits de Résistance —, toujours accompagné de conseillers.
Ensuite, après le Te Deum du 8 septembre 1944 chanté pour la Libération en présence des autorités civiles et militaires, se mit en place la pratique qui vient d’être rompue par le maire écologiste. Le 8 septembre 1945, l’adjoint Paul Montrochet offrit à nouveau l’écu ; par la suite, le premier adjoint, Armand Tapernoux, se mit à la tête de la délégation.
Puis, Louis Pradel vint lui-même à partir de 1970, comme tous ses successeurs — ce qui n’empêcha pas quelques-uns d’être absents à certains anniversaires, y compris Raymond Barre qui, le 8 septembre 1995, se fit remplacer par le premier adjoint Christian Philip. Pour résumer, s’il est exact qu’Édouard Herriot ne se déplaça jamais, les municipalités de Lyon ont été, d’une manière ou d’une autre, représentées depuis 1943.
Ce 8 septembre 2020, il a donc fallu inventer un cérémonial un peu bizarre puisque, au cours de la messe, on a mentionné les autorités civiles avec la présentation d’une ancienne médaille.
Puis vint l’heure des discours sur l’esplanade. Le président de la Fondation Fourvière, Philippe Desmarescaux, insista sur l’ampleur des travaux en cours, renforcée par les découvertes archéologiques. Celui de la Région, Laurent Wauquiez — accompagné de son premier vice-président, Étienne Blanc, récent candidat à la mairie de Lyon —, a assuré Fourvière de son soutien financier et insisté sur ce « patrimoine qui doit tous nous réunir ».
L’histoire de Fourvière est une petite histoire de France. C’est une histoire chrétienne. Catholiques ou pas, croyants ou pas, pratiquants ou pas, athées ou pas, nous avons tous quelque chose, en tant que Français, qui nous rattache à cette culture et le nier est une erreur. pic.twitter.com/ac7hDzh1NR
— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) September 8, 2020
L’administrateur apostolique, Mgr Michel Dubost — qui, dans son homélie, avait mis en valeur le fait que « nous vivons dans une Histoire » —, a appelé à l’humilité et au souci des autres.
Du Tibet à François
Bien entendu, le plus attendu était le nouveau maire de Lyon. Il avait eu le courage de venir, car il savait bien qu’il serait (un peu) hué. Il a voulu faire bonne figure en orientant son discours dans deux directions : une leçon d’Histoire et une récupération religieuse.
Pour la première, il a longuement développé l’histoire des épidémies, remontant jusqu’aux hauts plateaux du Tibet au début du XIVe siècle pour s’appesantir sur les ravages que connut Lyon avant 1643 ; il en a profité pour reconnaître que « chacun est libre, individuellement ou collectivement », d’interpréter ces événements.
Puis il s’est lancé dans une reprise accentuée de Laudato si’ qui lui a permis de dire tout le bien qu’il pensait du pape François et de manifester son « profond respect » pour la religion de son auditoire ; il venait manifestement de la découvrir, de même qu’il s’est émerveillé, comme d’une grande nouveauté, de ce que l’encyclique ait été adressée à « tous les hommes de bonne volonté », une pratique établie dans l’Église depuis 1963.
Disons que le public s’est montré décontenancé par cette double stratégie d’immersion dans le lointain et de captation d’idées.
Bruno Bernard, le patron également écologiste de la métropole, n’aura pas dû se contorsionner comme Grégory Doucet. Il a tout simplement snobé commémoration et discours. Pour le Grand Lyon, Fourvière n’existe plus — il est vrai que 2,5 millions de touristes représentent autant de risques de pollution pour une agglomération appelée à se refermer sur elle-même.
* Né à Oyonnax en 1947, Jean Etevenaux est journaliste et historien. Dernier ouvrage paru : « Les grandes heures de Lyon » chez Perrin
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