Le départ de votre
Chef Joseph Viola a-t-il été également un coup de poignard dans le dos ?
On dira seulement que ça a été une déception, et il le sait
très bien... Je lui avais proposé de lui passer le relais en douceur sur une
dizaine d'années, ce qu'il avait accepté, et il a préféré racheter un
bistrot. Ça veut dire beaucoup de chose, c'est dur la gastronomie... Très
lourd... Mais il a ses raisons qu'il nous a exposées...
Vous resterez dans
l'histoire comme celui qui a rompu la chaîne. Qu'en pense votre maman ?
Je vais vous donner son téléphone... Ma petite mère, qui a 86
ans - elle va bien, Dieu merci - m'a fait plusieurs fois des réponses
différentes. Elle nous fait confiance sur tout, mais ça allait de « tu te
débrouilles » à « tu le bazardes,... ». Elle n'est plus dans le truc. Elle a
travaillé plus de trente ans, je crois qu'elle est heureuse car elle nous
voit soulagés. C'est très lourd... Vous avez plein d'exemples de gens qui
rendent leur étoile, moi je n'ai pas rendu les miennes... Je ne me le serais
pas permis, je respecte trop le Michelin.
Vous dites « je ne rends pas mes étoiles »...
Tout à fait, on se laisse dix mois pour mener la maison à
son meilleur niveau et le maintenir jusqu'au 31 décembre. Il y a encore
dix mois pour tous ceux qui veulent venir nous voir, après ça sera une
autre vie... Quand le Guide 2008 paraîtra, nous ne serons plus un restaurant
gastronomique.
Vous êtes prêt à
céder les 1400 m2 du fond à n'importe qui - c'est un bail tous commerces.
Même à Mc Do ? Comment allez-vous choisir votre repreneur ?
J'ai appris que dans la vie on apprend constamment, et bien
sauf « garage et pressing » pour répondre à votre question (rires),
boîte de nuit, sex-shop,... Parce que, je ne le savais pas, mais il doit y
avoir des problèmes de nuisance, de voisinage, tous commerces sauf ceux
que je viens de vous citer.
L'hypothèse de la restauration rapide reste d'actualité ?
Je vais vous faire rire mais j'ai toujours rêvé de racheter
plus gros que moi ! Imaginez que ce soit Léon de Bruxelles qui rachète
Léon de Lyon... ça serait un scoop quand même, puisque je n'ai pas pu
racheter Léon de Bruxelles ! (rires) Il y a plus de 20 ans, le Café
la Paix a été racheté par Mac Do ! La municipalité a tout fait pour
empêcher, les gens,... le bruit que ça avait fait !
Pourquoi ne
privilégiez-vous pas une reprise de la maison par un jeune Chef ? Manuel
Viron ? Mathieu Viannay ?
Mon épouse et moi sommes ouverts à toutes les propositions ! Si toutefois,
il devait y avoir un jeune professionnel talentueux, ce n'est même pas à
prix égal, nous lui faciliterions la tâche...
Avez-vous été
approché depuis votre annonce de fermeture ?
Si vous saviez tout ce qui s'est passé... Et tout ce qui se dit ! Tout le
monde affirme que ça appartient au patrimoine lyonnais... Que voulez-vous
que je vous dise ? On a neuf mois pour trouver une solution et là ça fait
15 jours !
Paul Bocuse est triste. Vous lui en aviez parlé avant d'officialiser votre
décision...
Je suis allé voir un homme que j'estime beaucoup et que
j'aime profondément, la veille pour lui annoncer sinon il aurait été vexé
voire peut-être blessé, de l'apprendre par le journal le lendemain. Je ne
savais d'ailleurs pas que ça ferait la Une du Progrès ! Il m'a semblé
normal, compte tenu de nos relations, d'aller le prévenir.
Vous abandonnez le
combat, vous prenez une retraite anticipée alors que vous êtes en pleine
force de l'âge... C'est incompréhensible !
C'est vrai que depuis j'entends plein de choses... Peut-être
que je me sous-estimais, que j'avais mauvais caractère mais c'est fou le
nombre de gens qui ont eu une réaction d'amitié, de soutien. Les gens me
disent : « Je vous comprends, vous avez raison !». D'autres disent : « Tu
raccroches tes casseroles ! Il faut que j'emmène ma femme avant que tu
fermes ». C'est sympathique !
Pour ma part, je ne vois pas de raisons de se réjouir...
Si ! C'est bien de finir en haut de l'affiche !
Paul Bocuse a 81 ans et est toujours à la tête de son restaurant...
Je vais vous dire, j'ai une grande admiration et grande
amitié pour Paul Bocuse, pour sa carrière professionnelle... C'est un modèle
pour tout le monde, pour tous les jeunes. Il a été un modèle pour moi
pendant 35 ans...
À quel moment le modèle s'arrête-t-il ?
Je
ne me crois pas capable d'avoir la force qu'il a et de continuer jusqu'à
81 ans ! Il a dit en plus qu'il était là pendant 20 ans encore ! Je
préfère baisser les bras avant ! (rires) Ce n'est pas « jeter
l'éponge » comme vous dites ! Surtout qu'il y aura une vie après la
gastronomie. Laissez-moi profiter un peu plus de ma famille, aller un peu
plus souvent à la montagne, jouer au golf, j'adore ça ! Voir mes amis ! Je
ne suis jamais allé à l'opéra, aux Célestins, vous ne me voyez dans aucun
cocktail, dans aucune inauguration... Je fais mon métier professionnellement
tel qu'on me l'a transmis et appris. Mais j'ai envie de faire des choses
comme ça aussi ! À partir du 1er janvier, j'accepterai une
bonne partie des invitations qu'on m'enverra, mais peut-être qu'on ne m'en
enverra plus !...
Suite de l'interview
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