Vous découvrez Lyon à l'occasion de vos études de droit et avez 20 ans
quand débutent les évènements de mai 1968. La jeune Anne-Marie est-elle
l'égérie de la révolution ou de la contre-révolution ?
Alors d'abord il faut s'entendre sur le
mot révolution ? Parce que sans être égérie ni contre, la partie
révolution culturelle de 68 je l'ai bien aimée parce qu'en fin de compte
on voyait bien qu'on changeait de société... Vous êtes trop jeunes, mais on
sortait de quelque chose de pesant et on se disait : « ça y est la liberté
est là ! » Je suis un peu comme Raymond Aron, je fais bien le distinguo
entre la révolution culturelle que j'ai trouvé vraiment sympa et puis la
partie politique qui n'était pas pour les « fillettes »...
Concrètement, vous alliez manifester ?
Non parce que à Lyon c'était moins gai
qu'à L'Odéon. On s'est contenté de beaucoup parler au café de l'Université
de l'autre côté du Rhône ! En faisant attention parce que, ceux qui
étaient issus de l'équivalent de Lyon 2 aujourd'hui, étaient très durs,
vraiment rudes. Même pas de gauche, c'était des diablotins, avec des
trucs... Vous n'y étiez pas ! En fin de compte ce n'est pas la partie drôle
de ma vie...
Pourquoi ?
C'est bien la question que je me pose...
La fameuse liberté dont vous parliez toute à l'heure, vous n'avez pas su
la saisir ?
Pas à la fac, non. En droit public
j'avais des copains drôles mais nous étions drôles 10 minutes par jour et
le reste du temps on travaillait (rires).
En tant que jeune fille vous faisiez vos premiers pas sur la voie de la
liberté ?
La fac, c'est comme lorsque je suis allée
au Tibet, je n'ai pas profité de ces lieux où on ne repassera pas deux
fois...
Votre licence de droit public en poche, vous montez à la capitale. De 1971
à 1974, vous êtes l'assistante d'Arthur Comte, président de l'ORTF... Quel
regard portez-vous sur la télé d'aujourd'hui ?
Enfin de compte, j'ai eu de la chance parce que outre des
tâches de type de gestion, j'ai été celle qui a voulu s'occuper du
département de la recherche sur la musique électro acoustique. Car aucun
administratif ne voulait s'occuper de ce service. C'était Boulez à
l'époque. Aller plaider pour des gens qui font « tingggg » « tonggg » il
fallait être un peu taquin à l'intérieur de soit même ! C'est vrai que par
rapport à l'équipe de Boulez et au service de RTF qui essayait à l'époque
de réfléchir à la télé des années qui allaient suivre, on était un peu
précurseur...
Vous rejoignez ensuite le monde merveilleux des archives (l'INA), puis
Raymond Barre dont vous devenez l'assistante parlementaire à partir de
1978. Comment la rencontre a-t-elle eu lieu ?
Pour me recruter, je n'ai pas rencontré
Raymond Barre. C'est Doustin son directeur de cabinet qui avait entendu
parler de mon action à l'INA qui m'a rencontré. Le jour où il a décidé de
me recruter, j'ai rencontré M. Barre et c'était un peu froid, une poignée
de main. Du style « Ah c'est vous ? » C'était en 1978, il était déjà
premier ministre dans son corps et portait le pouvoir.
Cette histoire paraît surréaliste...
Mais je sais, toute ma vie est
surréaliste. Parce que vous vous êtes un peu moqué de l'INA, mais le
patron de l'INA s'appelait Pierre Emmanuel, un poète rare qu'on nomme
patron d'une boîte mais il restait un homme rare et je me suis retrouvée
chez lui sans avoir rien à demander puisque je voulais aller à Antenne 2 !
Le bruit a couru que
vous aviez eu le poste car vous seriez sa fille cachée... Notre Mazarine en
quelque sorte !
(rires) Je ne suis pas sa fille mais il a de très
jolis garçons...
Justement vous étiez
la fille qui lui manquait... (rires) Vous êtes au courant de cette
rumeur ? D'où est-elle partie ?
Je n'ai pas cherché parce qu'à la fois je suis très fière de mon père mais
c'est vrai que j'aime bien les relations de maître à disciple. Quelque
part j'ai beaucoup appris de Barre même si vous ricanez ! (elle s'adresse
à Nico NDLR). J'ai beaucoup appris parce qu'en 1978 mine de rien,
c'est lui qui dit : « Français, bougez-vous, il faut aller dans le
monde ». Comme je pars du principe que les êtres sont bons, cette
rumeur que l'on m'a rapporté un jour m'a fait rire mais je n'ai pas
cherché...
Vous paraissiez très
proche. Au point de vous emmener en vacances dans sa villa de St Jean Cap
Ferrat ?
Non je n'y suis allée qu'un fois. Je l'avais vue dans Le Monde au moment
où il y avait eu un papier qui annonçait qu'il avait acheté un terrain en
pente... et je lui avais dit : « On achète pas un terrain en pente ! » Il
m'avait répondu : « Oh non, tout va bien ! » Malheureusement aujourd'hui,
il voit ce que ça donne un terrain en pente... Mais je trouve que c'était
bien que M. Barre mette de la distance parce que au moins on travaille
mieux.
Suite de l'interview
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