Vous effectuez votre scolarité au Lycée Ampère, vous aviez pour copains de
classe Michel Noir et Jean-Pierre Michaux. Vous étiez au premier rang et
au fond à côté du radiateur ?
Non mais ça a été decrescendo. J'ai été
très brillant en sixième où j'ai eu le prix d'excellence et puis
progressivement je suis passé limite en seconde, je n'ai pas eu, comment
on appelle ça, mon brevet. Je me suis
rapproché du radiateur un peu parce que je m'embêtais. En sixième je
trouvais ça passionnant et puis en seconde ce n'était pas terrible et puis
j'ai été rattrapé par le prof de maths qui s'appelait Gauthier qui était
un prof absolument formidable et un prof de latin ensuite en première qui
s'appelait Savinel qui était un type
extraordinaire et là, j'ai eu les meilleurs profs de la terre et donc je
me suis re-séparé un peu du radiateur et j'ai passé mon bac avec une
mention, ce qui a étonné tout le monde d'ailleurs.
Vous avez 21 ans quand débutent les fameux évènements de mai. Vous avez
déclaré « Mai 68 m'a marqué plus que je ne le pensais alors ! ». Alors
comment s'est comporté le jeune Boiron à ce moment là ? Est-ce que vous
vous êtes révolté contre vos parents, les avez-vous traité de « petits
bourgeois », avez-vous écrasé vos mégots sur les tapis persans de
l'appartement familial de la rue Thomassin ?
Non j'ai eu un Mai 68 assez fleuri,
assez Peace and Love. Le matin on allait révolutionner gentiment à la
faculté en discutant avec les profs, en faisant des comités de réflexion
de transformation du milieu universitaire. J'étais moi-même à l'amicale
des étudiants en pharmacie de Lyon, j'étais un peu en première ligne avec
d'autres pour les discussions qui étaient déjà un peu philosophiques, un
peu sociologiques sur comment vivre différemment la fac. C'était
intéressant mais pas du tout révolutionnaire. Et puis à partir de midi, on
s'en allait, on se mettait à 18 dans des 2CV et dans des Fiat 500 parce
qu'il n'y avait pas d'essence et puis qu'on était pas riches, et on allait
généralement déjeuner au bord de la Saône d'une friture de poissons...
L'après midi, on allait chez un copain une copine et puis on allait jouer
à la pétanque et puis on écoutait des disques et tout ça jusqu'au soir. Et
ça a été notre passage révolutionnaire de 68. Très tranquille !
Une révolution de velours...
Cela étant, je pense que ça m'a marqué
et c'est ce que j'ai dit dans un de mes récents livres. Il m'en est resté
l'idée que le bonheur est possible sur cette terre. Et je me trouve
complètement imprégné de cette notion et j'ai découvert au gré d'une
lecture qu'effectivement c'est ce qui avait marqué 68. Et mon dernier
bouquin sur le bonheur c'est ça. C'est effectivement très bouddhiste,
c'est très aristotélicien, c'est très tout ce qu'on voudra, mais c'est
aussi soixante-huitard.
Toujours est-il que deux ans plus tard, donc après avoir terminé
pharma et puis l'IAE, vous intégrez très sagement l'entreprise familiale...
J'ai l'impression que je suis trop
psycho-philo... faudrait pas que je me croie à France Culture... (rires)
...comme responsable export, Che Gevara ce sera pour une autre fois. Et à
défaut de faire la révolution, vous menez votre carrière tambour
battant puisqu'à 29 ans, vous êtes nommé directeur général de l'entreprise
familiale avant d'en être nommé PDG 7 ans plus tard.
Cela étant, ce qui m'a intéressé dans le
fait de rentrer dans cette entreprise c'était la possibilité de faire la
révolution. C'est ce que j'ai fait pendant 30 ans dans l'entreprise. Mais
sans annoncer que c'était une révolution, c'est tout. Tout ce que j'ai
fait sur le plan social et avec tous les membres de l'entreprise, au
départ un peu réticents, y compris le paternel, c'était une révolution
conceptuelle. Il s'agissait de mettre l'épanouissement des salariés et
leur bien-être comme primum movens de la politique sociale. En
disant que le résultat dépendait de l'état d'esprit des gens qui
travaillent dans l'entreprise. Donc ça c'était une véritable révolution.
Simplement je n'avait pas la tête d'un révolutionnaire, je ne me sentais
pas obligé de me faire pousser la barbe et de fumer des joints pour
appliquer tout ça.
Suite de l'interview
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