Mardi
9 mai 2000
Détenu : Denis Trouxe
Commissaires politiques : Thierry (aKGB) et Marco
(Lyonpeople)
Denis
Trouxe, vous avez été convoqué à
l'interrogatoire à Lyon People - àKGB, vous êtes donc l'adjoint de
Raymond Barre à la Culture et au patrimoine.
On va vous demander
de décliner votre
identité !
Eh bien moi je m'appelle Aimé - Denis
Trouxe
Aimé,
C'est votre prénom ? il est systématiquement occulté ?
pourquoi ?
Il est occulté parce qu'avec la vie je ne suis plus tout
jeune et que les choses se
modifient.
Et donc maintenant c'est
Denis
pour tout le monde, et Aimé pour les intimes
!
Non même pas, c'était un vieux souvenir d'une période
où j'étais comédien, et un jour
j'avais transformé mon nom, j'avais choisi de m'appeler
Denis, alors bon beaucoup de gens m'ont connu comme ça. Vous savez
quand on 17/18 ans, on a envie de changer de nom, de prénom, on a envie
d'avoir tout ce qu'on a pas. C'était ma période, et ça m'est
resté, parce que mes copains
m'ont connu comme ça et puis comme ça me plaisait bien, je ne faisais
rien pour revenir en arrière.
Quel est votre âge et
votre situation matrimoniale ?
J'ai
63 ans et je suis marié, mais je l'ai été deux
fois. Et j'ai des enfants, j'ai trois filles au total. Je ne suis pas
né à Lyon, je suis un Dauphinois.
Votre
carrière professionnelle de publicitaire vous a occupé jusqu'en 1995.
Vous pouvez nous la résumer en quelques mots ? Comment êtes-vous
venu à la publicité
et qu'avez fait pendant ces
longues années ?
J'y suis venu tout à fait par hasard. Comment démarrer ?
Quand on raconte sa vie il faut faire attention !
Donc vous arrivez à Lyon,
ensuite ?
J'arrive à Lyon à l'âge de 17 ans. Moi à l'époque
je voulais être champion du monde de natation.
Vous n'avez pas trop la
carrure !
Cette info, vous pouvez la contrôler, c'est dans les
tablettes de la fédération. J'étais l'un des meilleurs nageurs de ma génération,
voilà, c'était mon ambition, et elle s'est vite estompée car
c'est un sport très dur ; on
est la tête dans l'eau, on regarde le fond, on nage...comme me le
disait un de mes profs de gym qui était très nature :" on ne devient pas
comme les poissons !" ça m'a tourmenté et j'ai décidé de
sortir de l'eau. A l'époque, j'étais inscrit à l'école de Commerce de Lyon, et comme je m'embêtais un peu,
j'ai suivi les cours du
conservatoire d'art dramatique.
Comment avez-vous vécu
Sup de Co ?
J'étais dans les
derniers ! Et c'est très drôle car il y avait quelques copains
qui occupaient avec moi les travées au fond de la classe. Que ce soit
dans l'informatique ou dans la pub, ils ont particulièrement bien réussi, alors que les premiers étaient partis où ? Dans les grandes
filières, dans les grandes boîtes, bien entendu ! Où
l'on est toujours barré par un HEC, un Sup de Co de Paris, un
HEC, après par un polytechnicien, un énarque, c'est une hiérarchie !
Quant à moi, j'avais choisi tout à fait par hasard d'aborder la pub, c'était
pour gagner ma croûte, parce que je n'avais pas de métier et j'ai
été embauché comme vendeur de
pub.
Chez qui ?
Pour une agence qui s'appelait Universal, qui n'existe
plus depuis trente ans ! et je vendais des programmes pour la Foire
de Lyon, j'étais un peu innocent, ça marchait très bien, je croyais
beaucoup à çà. Un jour on m'a essayé en rédaction conception,
j'ai fait la première annonce de ma vie et là j'ai continué rédacteur
concepteur. Je m'occupais des études de marché, des études de
motivation. J'ai été promu directeur du marketing, directeur des médias,
et un beau jour en 1974 j'ai acheté la boîte.
Combien de temps
restez-vous ?
J'ai revendu en 1981.
Donc à l'époque, vous
êtes un homme riche ?
A l'époque je voulais m'arrêter ! Oui, je
pouvais m'arrêter .
Vous aviez quel âge ?
Tout juste 40 ans !
40 ans, vous pouviez voir
venir !
Je pouvais voir venir ! Mais l'acheteur décide de
me garder comme salarié !
Donc vous vendez mais vous
restez PDG ?
Je vends à Walter, je reste
PDG et je fais partie du
directoire.
En fait pour résumer,
l'agence décline pendant que vous êtes PDG ?
Non elle
ne décline pas, elle se maintient ! Elle ne profite
pas des occasions qui lui sont données de développement extérieur, elle évolue
vers des marchés nouveaux, la promotion, les relations publiques ... elle
ne décline absolument pas ! je n'ai pas perdu d'argent !
Toujours est-il que vous
rachetez l'agence en 1988 !
Je rachète mais je rachète dans un combat dont vous
n'avez aucune idée, on pourrait faire un émission là-dessus, mais
vraiment elle est trop longue, si un jour çà vous intéresse je vous la
raconterai !...
Les mauvaises langues
disent que vous avez racheté au moment où l'agence était en pleine déliquescence,
vous avez fait un coup de fusil parce
que vous avez vendu au plus fort et vous avez racheté ensuite quand les
comptes étaient dans le rouge !
Mais je vais vous le dire, ça marchait très bien,
cependant c'est vrai qu'on loupait des voies de développement qui
nous auraient permis de marcher plus, parce que dès qu'on voulait faire
une diversification, c'était impossible parce qu'il fallait monter un
dossier qui était ensuite transmis à New-York, et à New-York on nous disait
"zéro " parce qu'il ne fallait pas mettre le titre en danger en bourse par des décisions
prises par des managers.
Alors quelle proposition
faites-vous ?
Je rachète dans une conjoncture qui nous était favorable :
Walter Thomson venait de se faire racheter par Sorel,
qui avait monté une société qui s'appelait WPP. Il avait une cote
terrible ce mec là, je me souviens d'avoir calculé son chiffre
d'affaires qui avoisinait les 100 Millions de dollars. Il avait les capitaux
pour racheter Walter Thomson et il avait la confiance des banques. Notre
dossier arrive sur son bureau, il
met en vente dans l'année : il sent bien que ça va foirer, que notre équipe
va peut être se barrer avec ses clients, ça ne peut pas durer et il le
comprend, et il veut vendre au plus offrant. Je n'étais
pas connu bien sûr, mais après une grosse bagarre en interne, nous
l'avons emporté !
Vous rachetez combien ?
Je rachète, je rachète...
Il y a pratiquement 15 ans
maintenant.
Il y a prescription !
J'ai racheté un prix, qui était un prix qui aurait été
meilleur pour eux s'ils n'avaient pas fait les cons !
Vous rachetez ...
Tout l'immeuble de la rue Tête d'Or , fonds de
commerce et murs compris ! On rebaptise l'ensemble Euro TSG.
C'est à nouveau votre
affaire et vous la faites booster, ce que vous n'aviez pas fait pendant
quelques années auparavant
!
On
remonte une boîte en pleine crise de la pub et quand nous la revendons en 1994, elle avait fait plus de 300 MF de
chiffre d'affaire.
En 1995, vous revendez
l'agence à Ericsson ? Combien mettez-vous dans votre poche à ce
moment là ?
Ça n'a pas été ma meilleure affaire...
Combien de centaines de
millions de franc ?
Je ne le dirai pas . En fait ça reste confidentiel !
Donc en 1995 vous vendez,
vous avez 58 ans vous êtes encore jeune, fringant et multimillionnaire.
Connaissant un petit peu votre vivacité d'esprit, on comprend que vous
n' ayez pas eu
envie de tout plaquer.
Est- ce
à ce moment là que
l'on vient vous
chercher pour intégrer l'équipe municipale ?
Depuis
1995 on commençait à me dire ... « Denis, il
n'y a personne pour la culture, ça nous intéresserait que tu sois
candidat. » On demande des candidats pour la culture et pourquoi moi
? Parce qu'au royaume des aveugles les borgnes
sont rois ! J'avais laissé tomber mes premières amours de
comédien mais j'avais conservé beaucoup d'amis dans le monde
artistique. J'avais rendu
pas mal de services, j'étais publicitaire de beaucoup d'institution :
je faisais la pub de la biennale de la danse, les Célestins, l'Opéra...
Vous avez hésité avant
d'y aller ?
Oui, au début je voulais pas ; on est en Janvier 95,
les élections sont en avril ...Je demande à Jean-Michel
Dubernard : « ça prend combien de temps, à ton avis, de
faire l'adjoint à la Culture ? »
Vous aviez déjà décroché
professionnellement ?
J'étais passé à mi-temps et je voulais
m'arrêter. Ce n'était pas une question de boulot, c'était tout
simplement une question d'organisation et il me dit :"Si tu te démerdes
bien, ça te prend simplement le samedi et le dimanche" . Et puis
j'ai fait un diagnostic qui m'a demandé du temps et je me suis aperçu
qu'il y avait des choses vraiment intéressantes à faire.
Et à partir de ce moment là, j'ai fait ce qu'il
fallait pour exister, et j'ai été terriblement aidé. Je dois rendre
hommage à Mérieux mais je
dois dire aussi que c'est que la passion qui m'a pris. J'ai rattrapé le
temps perdu, et la bagarre que j'ai menée par la suite sur mes
chantiers, c'est une bagarre intérieure que vous n'avez pas vue.
On peut constater que vous
avez un solide appétit. On aurait pu penser le contraire vu les
nombreuses couleuvres que vous avez du avaler depuis que vous êtes à la
Mairie !
De quelles couleuvres voulez-vous parler ?
Rien que vos rapports avec
Raymond Barre, comment se sont-ils
dégradés ...Apparemment,
ce n'est pas le grand amour !
Non, les moments
où l'on est en tête à tête avec lui
sont des moments où l'on a un point de vue à défendre. Ces moments
ont été 9 fois sur 10 extrêmement positifs, enfin pour moi en tout cas !
Si
vous abandonniez la langue de bois,
vous reconnaîtriez
simplement que Raymond Barre ne vous apprécie pas spécialement?
C'est vrai qu'on a pas été d'accord sur de nombreux
sujets, mais parfois au bout d'un moment il m'a donné raison,
certainement parce qu'il avait recueilli lui-même certainement des
informations complémentaires qui sont venues s'ajouter à celles
qu'il avait avant pour pouvoir juger de la situation. Je pense que
c'est un politique et qu'il n'y a pas de cadeau dans ce métier, les
mots : s'aimer, s'apprécier, pas s'apprécier n'ont aucun
sens...
Il a quand même profité
de vos vacances pour virer Chomarat !
Ce
n'est pas très fair play de sa part !
Chomarat,
je suis d'accord avec lui sur le fond mais je ne suis pas
d'accord sur la forme, je le lui ai dit et ça c'est clair, je l'ai
fait écrire même. Qu'est-ce
que tu veux, Monsieur Barre c'est un ancien Premier Ministre, il ne faut pas lui
dire qu'il prend la mauvaise décision ! Quand on dit certaines
choses, on sait qu'on va en prendre plein la gueule alors on en prend
plein la gueule !
Au niveau de votre bilan,
il y a des commentaires qui ont été publiés dans Lyon Capitale par Henri Destezet qui dit, je le cite : « Denis
Trouxe n'a pas une grosse vision de la culture de la ville »
D'abord ça m'a énormément
étonné ! J'ai constaté
avec stupéfaction que j'avais travaillé - dans le cadre des biennales-
pendant cinq ans avec quelqu'un qui
pensait çà ! Il s'en va et il lâche le morceau, et moi je
l'aimais bien !
C'est
un choc pour vous ?
C'est un choc d'abord parce qu'il a travaillé
comme directeur de cabinet avec
tous les autres adjoints et jamais avec moi. Il avait donc sur les autres
une vision quotidienne. Si encore il avait eu la vision quotidienne de mon
action, une action qui a débuté dans la crise! Henri Destezet m'a
laissé une situation guère brillante :des déficits de plus de 6
millions de F sur les Célestins, 1,2 MF chez Guignol, une situation à l'Opéra
qui se passe de commentaires...
Racontez-nous vos débuts
d'adjoint à la culture !
J'ai vécu un démarrage d'adjoint que je ne souhaite
à personne et il m'a fallu toute mon expérience de chef d'entreprise
pour croire en mon étoile !
Je croyais que tout le monde comprenait qu'i fallait résorber les
déficits ! Mais non, Monsieur, mais non ! J'ai été habitué à gérer et à
me dire : " Il faut que je paye mes
employés, il n'y aura pas de subvention pour les payer ".
Donnez-nous quelques
exemples de réussite de votre mandat
Par exemple le Rectangle, un truc tout bête ! J'ai
pas 1 franc et je développe un concept sur la Place Bellecour, dans lequel
le contribuable n'a pas un mis 1 franc et j'ai créé trois emplois. On a
organisé l'exposition Ousmane
Sow qui a battu en fréquentation le record des expos des musées !
C'est marrant parce que
ce bilan là, il est sorti nulle part !
Non, c'est sorti dans Lyon
Cap. Ce n'est pas sorti comme je vous le présente moi, c'est
évident, mais parce que les gens se méfient c'est la politique... J'ai essayé de rentabiliser au maximum soit en prenant ce que j'avais dans ma délégation , soit je
grappillonnais des économies.
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