Amélie
Nothomb déteste les carpes !
Propos
recueillis par Lucien de Vipoville.
A
l'occasion de son passage à Lyon, la romancière la plus excentrique
mais certainement la plus douée de sa génération a trouvé quelques
minutes pour répondre à mes questions.
Le but inavoué de cette
interview : savoir une fois pour toutes si celle qui a écrit
« Métaphysique des tubes » est folle ou prodigieusement
intelligente.
On
apprend dans ce dernier roman que vous avez essayé de vous suicider à 3
ans en vous jetant dans un étang...
Cela
venait d'un besoin instinctif de ne plus voir 3 carpes offertes pour mon
anniversaire et qui vivaient dans cet étang ; mais c'était aussi
un questionnement réel, parce que la vie est tout à fait logique pour
une petite enfant qui vient de débarquer là et qui n'est pas encore sûre
que ce voyage en vaut la peine.
Vous
parlez dans votre livre du mois de mai, qui au Japon où vous viviez, est
dédié aux garçons et qui est symbolisé par une carpe justement. Ca a
l'air de vous avoir marqué, pourquoi ?
Déjà
je trouve ça très injuste qu'il y ait un mois des garçons et qu'il
n'y ait pas de mois des filles ; et alors ensuite je me suis
toujours demandé pourquoi une carpe pour un garçon. Entre parenthèses
je n'ai toujours pas compris et je ne vois toujours pas le rapport.
Bref, en fait j'ai demandé à ce moment-là à voir une vraie carpe :
on m'a montré des vraies carpes dans un étang et ça a été mon
premier dégoût. Je ne sais pas si vous avez déjà vu la bouche d'une
carpe en train de se nourrir mais je ne connais pas de spectacle aussi dégueulasse.
Moi que très peu de choses dégoûtent, encore aujourd'hui c'est la
chose qui me dégoûte le plus.
Vous
faîtes partie de l'association Les Chiennes de garde, est-ce que
la cause féministe vous passionne ?
Oh
non, vous savez je n'ai jamais été engagée dans un combat pour la
cause féministe. Pour moi, Les Chiennes de garde c'est du
civisme élémentaire, la preuve en est que des garçons y adhèrent.
C'est un mouvement qui est né en protestation contre l'injure sexiste
en politique, c'est aussi valable pour les hommes.
Vous
dites avoir tenté de vous suicider à 3 ans, été alcoolique à 8 ans et
anorexique à 17 ans. Ce sont des expériences peu communes mais pour
autant ne sont-elles pas enrichissantes ?
C'est
tout à fait vrai, on présente souvent l'anorexie par exemple comme une
expérience tragique, comme le grand problème des jeunes filles
d'aujourd'hui... je ne dis pas que c'est bénin, bien sûr que
c'est grave, on peut même en mourir et cependant sincèrement je suis
très contente d'avoir été anorexique, même si vraiment c'était
une anorexie très grave et que j'y ai laissé une grande partie de ma
santé, mais ça m'a appris tellement de chose. Franchement j'ai des
raisons de penser que je ne serais pas devenue écrivain si je n'avais
pas été anorexique, hors je suis très contente d'être écrivain donc
je ne vais pas regretter d'avoir été anorexique.
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