Primeur :
les raisons de la colère de Jean-Louis Manoa
Vice-président des Authentiques Bouchons Lyonnais, propriétaire du Mercière et
associé aux Planches, un pieds dans le passé, l'autre dans la branchitude... Le
verbe haut et la moustache en bataille, il n'y va pas avec le dos de la cuillère
quand on lui parle du primeur...
L'interdiction de boire du Beaujolais primeur avant le 3ème
jeudi de novembre, c'est encore respecté ou c'est bidon ?
Il faut bien reconnaître qu'on le goûte largement avant ! Il n' y a donc plus le
plaisir de la découverte du dernier moment. Pour des raisons de commodité, on
reçoit toujours le vin cinq jours avant la date fatidique. Sous condition
express de ne pas le vendre !
La fête est donc un peu galvaudée !
Non, ça reste magique pour un vin qui n'est pas terrible ! Et c'est une fête
populaire comparable à la fête de la bière de munich. Trois jours de bringue
dans la morosité de novembre, ça ne se refuse pas !
Quel
message souhaitez-vous faire passer à cette occasion ?
Le Beaujolais ne se réduit pas au seul primeur. On peut en boire toute l'année !
Le Beaujolais Nouveau a été trafiqué, galvaudé... Ce sont des gens comme Duboeuf
qui sont les premiers responsables... Duboeuf a été obligé de ratisser large parce
qu'il vend dans le monde entier. Il est donc dans l'incapacité d'assurer une
qualité extrême. Son primeur est différent en fonction de ses destinataires.
Chez les grands chefs, il envoie ses meilleures cuvées. Par contre à Hong Kong...
A-t-il nivelé le primeur par là-bas ?
Pour plaire à un large public, il a fait une qualité standard. Certains parlent
même de « duboeufilisation » ! C'est comme le Guigal en Côtes du Rhône, c'est un
vin linéaire, sans risques...
C'est pas très bandant, tout ça !
Tout cela est du au fait qu'on s'éloigne du terroir. Le gamay est un cépage
difficile à travailler. Et l'on a donc traité les vignes et les sols à outrance.
Certains n'hésitent donc pas à utiliser des levures sélectionnées en
laboratoire pour que le vin ait du goût. On s'éloigne ainsi des levures
indigènes propres au terroir.
Qui se partage la responsabilité d'une telle situation ?
Elle est collective : vignerons et marchands d'un côté, vendeurs de produits
chimiques et d'engrais qui ont appauvri les sols, de l'autre. Aujourd'hui, c'est
difficile de faire machine arrière. Pour s'en sortir, les vignerons doivent
refaire de l'agriculture au sens premier du terme.
Le consommateur a-t-il aussi une part de responsabilité ?
Aucune. Mais il n'est pas dupe ! Surtout à Lyon ! C'est paradoxal, mais il y a
plus de plaisir autour de la bouteille et du vin dans les bistrots parisiens !
Pour le consommateur, le prétexte c'est la fête, pas le vin !
C'est un peu la philosophie des Authentiques Bouchons Lyonnais ?
Exactement ! Faire retrouver le plaisir du vin à la jeune génération !
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