Le coup de gueule d'Alain Vollerin
Le critique d'Art Alain Vollerin, dont on connaît la
virulence de ton, n'a pas apprécié du tout la "petite" cérémonie organisée pour
la "petite" inauguration de la "petite" place René Deroudille, son père
spirituel en matière de critique artistique.
Même si nous nous gardons de prendre parti dans cette affaire qui nous dépasse,
nous lui avons volontiers donné asile sur notre site. Si son style vous plaît,
vous pourrez le retrouver dans sa revue bimestrielle, "Mémoire des Arts", où il
taille des costumes au monde de la culture officielle.
CHACUN A SA PLACE
Serge Gainsbourg
chanta la passion d'une jambe de bois pour un boulet de canon. Nous connaissons,
à Lyon, les amours d'une limace pour une béquille antédiluvienne. Il faut dire
que dans la cité des sectes et des sociétés secrètes, les sentiments paranormaux
rencontrent un intérêt certain. Le courage, les convictions ne sont pas
héréditaires. Je pardonne à ceux qui organisèrent sans moi, l'ami, le compagnon
de la dernière grande aventure vécue par René Deroudille, la constitution
des éditions Mémoire des Arts, cette triste pantalonnade où Bernard
Gouttenoire, auquel René Deroudille vouait une haine incoercible, ânonna, en
serrant de ses mains moites un minable papier froissé, une liste de noms (ceux
dont le plumitif B.G. peut avoir besoin un jour).
La place Juliette Récamier
changea son nom pour celui de René Deroudille qui, pendant plus de cinquante
ans, homme de cur et de convictions, incarna à Lyon, l'espoir des artistes. Il
mettait parfois la main à son porte-monnaie pour offrir au Musée des Beaux-Arts,
les uvres auxquelles il assurait un avenir dans l'Histoire de l'Art.
Si je me réjouis de cette
reconnaissance officielle, je n'assistais pas à ce spectacle écurant. Ce fut un
effroyable vaudeville. En effet, René Deroudille surnommait Bernard Gouttenoire,
la limace, parce très malade, il avait vu B.G. courir au journal "Le Tout
Lyon" pour tenter de lui ravir sa chronique. Voici l'être troublé par la
volonté de parvenir qu'une famille mal conseillée a choisi pour rendre hommage à
mon fidèle et noble camarade de combat. Car, pour René Deroudille, la pédagogie
en matière d'arts plastiques ressemblait à une lutte. Il avait vécu les années
noires pour les arts plastiques à Lyon où le musée était l'image archétypale du
désert. Il avait continué seul son engagement après la tragique année 1958 qui
vit la disparition d'Henri Béraud, de Marius Mermillon et de
Marcel Michaud. Aujourd'hui où nous nous enfonçons chaque jour un peu plus
dans l'obscurantisme, nous devons être plus vigilants encore et déterminés. René
Deroudille assumait les positions les plus radicales, face aux pouvoirs en
place. Jean-Jacques Lerrant cueillait par derrière les hommages et les
médailles.
Combien de fois, solitaire
à Lyon après la disparition de son épouse dévouée, ne l'ai-je entendu déplorer
l'ingratitude de Jean-Jacques Lerrant ? Celui-ci joua sans faiblir son rôle de
béquille pour les pouvoirs municipaux successifs. Il soutint même l'action de
l'épouvantable Jacques Oudot.
Mourir. Il n'avait pas
aimé cela, l'ami René. Au contraire de ceux pour qui la mort est une
bénédiction. Il était parti avec courage, mais dans le regret de ces moments de
rires et de joies autour d'un bon plat et d'un bon verre. Avec Félix Benoit,
il avait contribué à relancer, après la dernière guerre, la tradition du bouchon
lyonnais. Car il aimait boire et manger, mais autour de préoccupations
artistiques qui ne quittaient jamais son esprit. Il avait beaucoup d'ennemis.
C'est le lot de ceux qui prennent parti contre les chapelles fermées autour
d'une mode. Il s'emportait souvent contre le fric des Fracs et les fric-fracs
des politicards véreux. Il dénonçait aussi l'aveuglement des Drac. Il restera à
jamais pour moi un exemple. Il ne fut jamais question pour moi d'admirer
Jean-Jacques Lerrant, ce roi des promesses jamais tenues, haï dans les ateliers
et les galeries, et qui porte à jamais le titre indigne de critique d'art le
plus décoré au monde
La famille pressée oublia
de prévenir un ami fidèle, Camille Niogret, auquel chaque 14 juillet, le
baron, puisque nous appelions René Deroudille ainsi, téléphonait pour lui
souhaiter un bon anniversaire. On a oublié pourquoi Deroudille, Niogret,
Burlet luttèrent ensemble, et leurs ennemis, les pires salonnards,
triomphèrent dans cette mascarade. C'est à nous ici de dire que l'action
culturelle ne fut jamais un long fleuve tranquille, à Lyon comme ailleurs. Voir
Gouttenoire, le pourfendeur de l'art contemporain, glorifier l'action de René
Deroudille en compagnie de Jean-Jacques Lerrant, est une gabegie. J'avais prévu
cette grande rencontre amoureuse entre la béquille et la limace, car son charme
d'hermaphrodite convient à cette époque où il faut partager toutes les murs. La
béquille a de l'expérience. Nous leur souhaitons beaucoup de plaisir. Mais par
pitié, épargnez-nous les enfants. Au paradis, où son ami Jean-Albert Carlotti
l'a rejoint il y a quelques mois, René Deroudille put se réjouir au spectacle de
cette duplicité. A Lyon, on avait élu Louis Pradel dans des conditions
mystérieuses ; récemment, la droite donna la Mairie à Gérard Collomb qui
fait aussi bien que Raymond Barre, et bientôt mieux.
La tradition se maintient
entre "magouille et barbouille".
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