Vous avez bien
verrouillé, plutôt ! On va donc passer directement à votre apprentissage...
J'ai fait Charbonnières. Avant que ce ne soit la Rotonde du
groupe Partouche, il y avait un chef remarquable à l'époque, c'est là où
il fallait passer. Ce chef s'appelle Michel Lorain, il est toujours en vie
et j'ai plaisir à le revoir de temps en temps. Il y avait à l'époque un
restaurant, La Sangria, avec les frères Carrelet, un orchestre, une pièce
d'eau au milieu, c'était l'événement de Lyon. Qu'est-ce que ça a
travaillé ! Tous les Lyonnais allaient s'encanailler avec madame là-bas !
C'était dîner dansant, c'était l'avant à KGB ! Vos grands-parents
faisaient les interviews là-bas ! (rires). Après j'ai travaillé une
saison à l'Escale (Carry-le-Rouet), 2 étoiles Michelin. C'était dans le
midi, en dessous de la maison de Fernandel, un magnifique petit port.
Maintenant c'est devenu plutôt camping mais à l'époque il y avait un très
bon restaurant. J'allais à la pêche malgré mon mal de mer... J'ai aussi
travaillé un été chez Roger Verger, la dernière année où il était au Club
de Cavalière.
A 22 ans, la
disparition tragique de votre papa est le premier drame qui vient
endeuiller votre vie. Est-ce le Fisc qui l'a tué, comme on l'a dit à
l'époque ?
Je venais de travailler chez Lasserre et j'attendais une
place chez Maxim's. À l'époque la trilogie où il fallait passer c'était
Lasserre, Maxim's et la Tour d'Argent. Je suis rentré précipitamment et
j'ai vécu les deux derniers mois avec mon père qui ne dormait plus suite à
ce contrôle fiscal très important... Il se disait que le Fisc devait faire
un exemple, et je pense que cette pression... Il était très fatigué,
prisonnier de guerre, évadé, la restauration est un métier difficile... Il
fallait une certaine santé physique, donc mon père est mort, il n'avait
pas 59 ans. Je l'ai vu de jour en jour diminuer, je l'entendais marcher le
soir, il ne dormait plus, il était très fatigué, avait du diabète... Ce
contrôle fiscal, s'il ne l'a pas fait mourir, il l'a avancé.
Qui a été à vos
côtés dans ces moments particulièrement difficiles ?
Ceux qui m'ont aidé à mes débuts, et je leur rends hommage
chaque fois que c'est possible, c'est Paul Bocuse, Gérard Nandron et
Christian Bourillot. C'étaient les amis et les complices de mon père pour
les blagues et les plaisanteries, qui connaissaient les soucis que se
faisait mon père pour son gamin ! Ils ont fait corps, ils m'ont mis en
avant... Quand mon père est décédé, la maison travaillait beaucoup, on
venait pour l'étoile Michelin ! On venait aussi pour sa convivialité,
boire l'apéro, on venait voir Paul Lacombe... Donc ce n'était pas évident de
prendre la suite quand on a 22 ans.
Alors que vous étiez
à Paris, vous revenez précipitamment à Lyon pour reprendre le restaurant
familial...
Je n'avais pas le choix... On réagit tous les trois, on se
sert les coudes, on se bouche les oreilles, car il se disait plein
d'énormités comme le suicide, que s'il y avait un contrôle fiscal c'est
qu'il y avait des erreurs, qu'il fabriquait de l'alcool de Poire à la
cave. Il se disait aussi le montant pharaonique, phénoménal de ce que nous
allions devoir payer ! Ma mère est revenue un jour écurée de chez le
coiffeur à cause de ce que racontait la bonne femme d'à côté... C'était le
Lyon de l'époque, la province, les choux gras...
Comment avez-vous
moralement et financièrement fait face ?
Pas facile ! Le décès de mon père a choqué voir même dérangé... Moralement,
les amis de mon père nous aident...
Ils vous proposent même de racheter le restaurant ?
Vous imaginez, je n'avais pas encore 23 ans, j'étais avec mon solex et au
Smig ! Et du jour au lendemain de basculer dans des responsabilités comme
ça ! Il faut faire face, plus de clients dans la maison et ce contrôle
fiscal au-dessus de la tête. Nous étions bien conseillés à l'époque par
des amis notaires. Mais ça risquait de prendre de telles proportions,
qu'ils nous conseillent d'accepter « une succession sous bénéfice
d'inventaire »...
En quoi cela consiste-t-il ?
Voici le mécanisme d'une succession sous bénéfices : si l'actif de la
maison Lacombe avait été de 100, et l'amende fiscale de 200, ça voulait
dire que l'on abandonnait tout et ma mère allait chercher du travail chez
les autres ! Si nous n'avions pas pris cette mesure préventive, ma mère,
ma sur et moi, payions la facture de mon père pendant des années. Pour
vous dire, la succession n'a pas pu se régler avant 7 ans ! Il n'y avait
pas d'histoires entre nous, mais ils ont simplement attendu 7 années pour
nous dire : « ça va vous coûter tant ».
Deux ans plus tard, en 1974, vous rebondissez en ouvrant le Bistrot de
Lyon avec votre copain de promo Jean-Claude Caro... C'est une belle revanche
sur la vie, malgré tous ces soucis...
Ce sont des choses que l'on ne peut pas oublier. La rue
Mercière, nous avons été les premiers à nous y installer. Il faut rappeler
que ce quartier devait être rasé et que c'est la loi Malraux, ministre de
la Culture du général De Gaulle, qui l'a sauvé alors que Pradel voulait en
faire du béton, comme la deuxième partie de la rue. Je me suis toujours
dit : « une nouvelle affaire d'accord mais jamais au détriment de la
maison mère». Une des raisons qui m'a plu c'est la proximité. Je réalise
alors que je ne peux pas faire ça tout seul. Je fais appel à Jean-Claude
Caro, car pendant de nombreuses années on a fait beaucoup de choses
ensemble. Je lui propose donc ce challenge en lui expliquant que le
quartier est appelé à bouger,... et il l'accepte ! Lors de la signature, on
a démarré avec rien dans les poches, on a fait les travaux nous-mêmes !
Quand on connaît les prix du mètre carré rue Mercière ! C'est une très
belle histoire.
Suite de l'interview
|